Israël-Hamas : la résurrection de la rue arabe

Si l’on en juge par les manifestations de soutien aux Palestiniens qui ont cours dans le Maghreb, le monde arabe semble à nouveau se dresser pour une cause. Une mobilisation que peu de médias occidentaux relaient, regrette Fawzia Zouari.

Manifestation estudiantine pro-palestinienne, sur l’avenue Habib-Bourguiba, à Tunis, le 18 octobre 2023. © Yassine Gaidi/Anadolu via AFP

Manifestation estudiantine pro-palestinienne, sur l’avenue Habib-Bourguiba, à Tunis, le 18 octobre 2023. © Yassine Gaidi/Anadolu via AFP

Fawzia Zouria

Publié le 21 octobre 2023 Lecture : 3 minutes.

Il faut être de l’autre côté de la Méditerranée, et sur le continent africain, pour saisir l’énorme décalage qui existe en matière d’information sur les récents événements au Proche-Orient. Un décalage dont je vous parlais naguère à propos du conflit russo-ukrainien et pour lequel, contrairement aux Occidentaux défenseurs inconditionnels de l’Ukraine et dont les médias ne souffrent pas la moindre critique à l’égard de Kiev, les Africains ne cachent pas leur soutien à la Russie, à sa politique, à sa guerre. Pourquoi ? Rares sont les journalistes du Nord à s’intéresser à leur opinion.

La magie de la cause palestinienne

Il en va de même pour le conflit israélo-palestinien. Sur les écrans du Nord, très peu d’échos d’une rue arabe en admiration devant « l’offensive » du Hamas et qui y adhère totalement. Pour qui croyait, comme moi, que les révolutions, les guerres et la normalisation avec Israël avaient signé le début de la fin du monde arabe, la surprise est de taille.

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Le monde arabe ressuscite, par la magie de la cause palestinienne. La seule qui semble susceptible de rappeler que les peuples de la région ont quelque chose en commun. Leurs États ont beau serrer la main de Netanyahou et signer des accords avec Israël, ça ne marche pas. La haine de « l’entité sioniste » est tenace, et l’approche occidentale de la question palestinienne ne fait que mettre de l’huile sur le feu. En tant que journaliste du Sud, vous n’avez qu’une envie : donner un autre son de cloche, relater ce qu’il se passe sur le terrain, comme en Tunisie, par exemple, où je me trouvais au moment de l’attaque surprise du Hamas.

Pour qui connaît le président tunisien, Kaïs Saïed, sa position pro-palestinienne et ses discours enflammés contre « l’État juif » n’ont rien d’étonnant. Il a tout naturellement donné l’ordre d’envoyer des vivres et des médicaments à Gaza. Les pauvres Tunisiens, qui croulent sous les dettes, font la queue devant des boulangeries aux rayons vides et souffrent d’énormes pénuries de médicaments, n’ont pas contesté les mesures présidentielles. Au contraire. Tout le monde s’est dit solidaire.

Keffieh et drapeau palestinien

Et du coup, ce pays que rien – ni partis politiques, ni élus, ni vision d’avenir – ne fédérait plus, a semblé uni. Société civile, responsables politiques et syndicats sont descendus en rangs serrés sur les avenues du centre-ville et dans les campus. Vieux et jeunes ont arboré le keffieh ou le drapeau palestinien pour défiler, parfois pour sortir tout simplement. Toutes les activités culturelles ont été suspendues. Les chants de guerre pro-palestiniens ont fusé sur les ondes. Les écoles ont reçu l’ordre de réunir les élèves avant l’heure des cours pour les briefer sur « l’injustice infligée aux Palestiniens ». Il s’est trouvé de rares voix discordantes : « Mais ce sont des enfants, a osé une maman. Vous êtes en train de semer la haine dans leur tête. Vous faites de l’idéologie là où il faut enseigner la paix ». Propos tombés dans l’oreille d’un sourd.

Des grandes villes aux petites bourgades, j’ai vu les Tunisiens collés à leur petit écran, vivant la guerre comme s’ils y étaient. Si vous vous hasardez à dire que le Hamas tué des civils, on vous réplique fermement : « Oui, mais comment les Algériens auraient-ils pu mettre fin à la colonisation française s’ils n’avaient pas posé des bombes et tué des civils ? Ce que vous appelez terrorisme, c’est de la résistance contre l’occupant. » Même mon neveu de 30 ans a tenu ces propos à son épouse : « Écoute, ma chérie, ne sois pas surprise si, l’un de ces matins, tu trouves une lettre de ma part t’annonçant que je suis parti combattre en Palestine. »

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Voilà ce qu’il se dit et ce que l’on pense, du côté du Sud. Un situation qui contredit ces médias occidentaux qui refusent d’ouvrir les yeux sur la réaction des autres peuples, fussent-elles injustes ou erronées. Et qui ne voient pas que leur aveuglement est aussi cause de ressentiment et de violence.

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