Génocide au Rwanda : une odyssée contre l’impunité

Un documentaire revient sur la traque que mènent Dafroza et Alain Gauthier contre les auteurs, réfugiés en France, du génocide contre les Tutsi.

Le couple franco-rwandais Alain et Dafroza Gauthier, à Reims, le 31 octobre 2012. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

Le couple franco-rwandais Alain et Dafroza Gauthier, à Reims, le 31 octobre 2012. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

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Publié le 2 novembre 2023 Lecture : 5 minutes.

« Nous sommes des gens peu importants qui avons été entraînés dans des événements excessivement importants. Bon, voilà, c’est notre histoire… » Ainsi commence le récit d’un couple de retraités – elle est née rwandaise, lui est né français – installé à Reims de longue date et qui vit depuis près d’un quart de siècle au rythme des procédures judiciaires engagées contre les auteurs, réfugiés en France, d’un crime imprescriptible commis en 1994 à plus de 6 000 km de la salle des pas perdus du tribunal de Paris, dans laquelle ils ont déambulé si souvent.

Dafroza Gauthier et son époux, Alain, ont fondé en 2001 le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). Depuis, tels des auxiliaires de justice bénévoles, ils consacrent le plus clair de leur temps à rassembler les preuves de la responsabilité pénale de Rwandais soupçonnés d’avoir sévi au « pays des mille collines » entre avril et juillet 1994, et qui se sont ensuite fondu dans l’anonymat, en France, espérant que cet exil rimerait avec impunité.

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Ce couple discret, qui arpente sans relâche le Rwanda à la recherche de témoins, aussi bien parmi les rescapés du génocide perpétré contre les Tutsi que parmi les tueurs qui purgent leur peine dans l’une des prisons du pays, a acquis sans le vouloir une certaine notoriété.

Au cours de ces dernières semaines, un roman graphique (Rwanda, à la poursuite des génocidaires, de Thomas Zribi et Damien Roudeau), puis un documentaire de 52 minutes (du même Thomas Zribi, cette fois avec Stéphane Jobert) leur ont ainsi été consacrés.

Dans ce film, diffusé le 16 octobre sur La Chaîne Parlementaire (LCP) et disponible en replay sur YouTube, la caméra suit les Gauthier dans l’un de leurs innombrables voyages au Rwanda, sur les lieux mêmes où Philippe Hategekimana – naturalisé en France sous le nom de Philippe Manier –, adjudant-chef de la gendarmerie à Nyanza et accusé par la justice française d’avoir été un rouage de l’implacable machine génocidaire, avait officié en 1994.

Il a donné l’ordre d’achever ceux qui n’étaient pas morts sur le coup

François HabimanaRescapé du génocide contre les Tutsi
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Dans son pays natal, celui qu’on surnommait « Biguma » a laissé dans la mémoire des rescapés une trace que trois décennies n’ont pas effacée. « Il a donné l’ordre d’achever ceux qui n’étaient pas morts sur le coup, se souvient François Habimana, un survivant des massacres. Biguma a tué tellement de gens ! Il était sans pitié : il a tué des jeunes filles, des femmes âgées et des bébés. Ils ont tiré sur des bébés sous mes yeux. »

Fantômes

Pendant les près de cent jours qu’aura duré le génocide, Dafroza et Alain Gauthier ont vécu le drame des Rwandais de la diaspora, pendus entre fax et téléphone, en quête de nouvelles de leurs proches demeurés au pays, victimes en puissance parce que nés tutsi ou liés aux partis de l’opposition. Durant les trois mois du génocide, « on va vivre comme des fantômes », résume Alain Gauthier.

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Pour Dafroza, l’espoir s’éteint très vite quand elle apprend que sa mère, Suzanne, a été tuée le 8 avril 1994, au lendemain du déclenchement du génocide, fusillée au sein même de l’église où elle s’était réfugiée avec d’autres personnes menacées. Depuis, Dafroza a la phobie des rapaces, ces oiseaux au vol majestueux qui avaient alors envahi les collines, dont la végétation luxuriante était tapissée de cadavres sans sépulture.

Si un seul d’entre nous survit, il faudra qu’il raconte notre histoire

Appolonie CyimusharaRescapée du génocide contre les Tutsi

« Un génocide ne réussit jamais complètement. Les rescapés sont là pour témoigner de ce qu’il s’est passé », résume-t-elle. C’est notamment le cas d’Appolonie Cyimushara, qui décrit sobrement devant le couple ce que fut ce crime de masse à nul autre pareil : « Les gens tombaient comme les fruits d’un arbre », soupire-t-elle.

Après avoir énuméré les atrocités commises par les tueurs sous les ordres de Biguma, Appolonie précise qu’en témoignant devant la cour d’assises de Paris elle ne fait qu’honorer le serment qu’avaient prêté les quelques rescapés avec qui elle partagea un abri précaire tandis que la mort rôdait alentour : « Si un seul d’entre nous survit, il faudra qu’il raconte notre histoire. » Filmée par Stéphane Jobert et Thomas Zribi au palais de justice de Paris, la rescapée se réjouit, malgré l’épreuve que constituent ces retrouvailles avec l’accusé : « Je suis fière car ce jour est enfin arrivé. »

Durant leur longue enquête sur Philippe Manier Hategekimana, « les Klarsfeld du Rwanda », comme on les a parfois surnommés, ont dû aussi se confronter aux génocidaires condamnés au Rwanda. Un passage obligé, selon Dafroza Gauthier : « On a besoin de leur témoignage. Ce sont eux qui savent », explique-t-elle. Même si, le plus souvent, la parole de ces tueurs inaccessibles au repentir ne fait qu’effleurer la vérité. C’est le cas de ce génocidaire interviewé dans le documentaire, qui purge une peine de trente années de réclusion et qui affirme, en kinyarwanda, ne rien savoir de Biguma, si ce n’est qu’on lui a rapporté que, durant le génocide, celui-ci avait un jour tué un bœuf dont la population s’était ensuite partagé la viande.

Négateur professionnel

« Le gros menteur ! Négateur professionnel ! », peste Dafroza Gauthier au sortir d’un entretien en prison lors duquel elle a dû se faire violence pour demeurer impassible. De colline en colline, ajoute-t-elle, « le décalage entre le macabre [des récits] et la beauté [des paysages] est toujours aussi saisissant. On ne s’y habitue pas. »

Le 28 juin 2023, peu avant 21 heures, Philippe Hategekimana Manier était condamné par la cour d’assises de Paris à la réclusion criminelle à perpétuité. Il a, depuis, interjeté appel et reste présumé innocent. Dans la salle des pas perdus, Dafroza Gauthier et ses proches entonnent Intsinzi bana b’u Rwanda, un chant de victoire composé durant la lutte de libération qu’a conduit le Front patriotique rwandais (FPR) contre le régime de Juvénal Habyarimana, au début des années 1990. Du 13 novembre au 22 décembre prochains, avec Alain, elle sera de retour au même endroit pour assister, cette fois, au procès du médecin Sosthène Munyemana, qui, installé en France depuis septembre 1994, est poursuivi pour génocide et crimes contre l’humanité.

La plainte qui le vise, à laquelle le CPCR s’était associé peu après sa création, avait été initialement déposée par l’association Survie et par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) le 18 octobre 1995. Il y a tout juste vingt-neuf ans.

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