À Tunis, l’Italie de Giorgia Meloni revient à la charge
Quelques semaines après le rejet par le président Kaïs Saïed du mémorandum européen, le ministre italien des Affaires étrangères était à Tunis pour relancer la coopération. Avec toujours la même idée en tête : l’aide au développement contre un contrôle des flux migratoires.
Rome, visiblement, ne désarme pas. Après l’échec du mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global entre l’Union européenne et la Tunisie, signé le 16 juillet 2023, le ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tajani, était de retour à Tunis vendredi 20 octobre.
Dans son escarcelle, un autre protocole d’accord, qui ne lierait cette fois que l’Italie et la Tunisie. D’une durée de trois ans, le document prévoit le recrutement par la péninsule d’un quota annuel de 4 000 travailleurs tunisiens qualifiés pour des contrats non saisonniers. Pour sa part, le chef de l’État tunisien s’est déclaré prêt à juguler l’hémorragie migratoire vers l’Europe et à en finir avec les réseaux de traite humaine.
« Du travail contre un coup de frein à la migration irrégulière », ce pourrait être en substance la nouvelle stratégie de l’Italie, qui affiche ses liens avec la Tunisie et dit partager avec le pays une vision commune pour une solution à deux États en Palestine.
Surprenant dans la mesure où, au moment où Kaïs Saïed adressait à Tajani un plaidoyer pour la Palestine, la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, annonçait son déplacement à Tel-Aviv pour exprimer son soutien à son homologue israélien, Benyamin Netanyahou. Le chef de la diplomatie italienne s’est d’ailleurs prudemment gardé de se prononcer sur la tragédie qui se déroule à Gaza ou sur le rôle joué par le Hamas.
L’objectif de l’Italie – et du voyage à Tunis de son ministre – est ailleurs : il s’agit de mettre en place le plan Mattei, du nom d’Enrico Mattei, homme de gauche et premier président, en 1953, de la compagnie énergétique nationale ENI. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Mattei avait considéré qu’il fallait en finir avec la mainmise des grandes compagnies pétrolières et défendu une approche vertueuse de partenariat et de croissance entre l’Europe et les pays africains.
S’il est paradoxal de voir l’extrême droite aujourd’hui au pouvoir reprendre son projet, Giorgia Meloni y apporte quelques aménagements et propose derrière un partenariat qui se veut toujours « gagnant-gagnant » d’échanger, une fois encore, aide au développement contre contrôle des flux migratoires.
Premier partenaire de la Tunisie
De fait, Antonio Tajani, outre l’annonce du mémorandum sur la migration, est venu avec ses rois mages : le ministre de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et des Forêts, Francesco Lollobrigida, et la ministre du Travail et des Politiques sociales, Marina Elvira Calderone. Tous ont discuté avec leurs homologues tunisiens de divers projets bilatéraux. Parmi les domaines évoqués : l’agriculture, l’agro-industrie, la gestion de l’eau, la recherche et l’innovation.
Les discussions concernent donc des sujets d’une importance cruciale pour la souveraineté tunisienne et s’annoncent délicates. Mais la coopération bilatérale entre les deux pays est actuellement au beau fixe : avec des échanges commerciaux d’une valeur de 1,7 milliard d’euros en 2022, la Péninsule a ravi à la France la place de premier partenaire commercial de la Tunisie.
Sur le volet migration, Antonio Tajani reste sur la stratégie développée dans le mémorandum de juillet 2023 et annonce la tenue d’un nouveau sommet pour faire suite à celui qui s’est déroulé à Rome en juillet. L’événement, cette fois, se tiendra à Tunis pour complaire au président Kaïs Saïed. Son organisation soulève tout de même quelques questions dans la mesure où les liens entre la Tunisie et de nombreux pays subsahariens sont plus que distendus depuis les propos xénophobes tenus par le président en février 2023 et alors que la guerre fait à nouveau rage en Palestine, menaçant les équilibres régionaux.
Le 20 octobre au soir, en tout cas, le ministre italien des Affaires étrangères semblait satisfait de son déplacement. Qui intervenait dans un contexte difficile puisque, fin septembre, le président tunisien a rejeté le soutien financier européen qui accompagnait le mémorandum de juillet 2023, qualifié d’« aumône ».
De quoi Antonio Tajani se satisfait-il ? D’avoir maintenu l’Italie comme premier fournisseur de la Tunisie ? D’avoir mis « la natte avant la mosquée », selon le proverbe tunisien, c’est-à-dire d’avoir encore une fois distribué des broutilles tout en s’immisçant dans des domaines de souveraineté au prétexte de coopération et d’une amitié dont la réalité reste encore à prouver ?
Pour l’heure, en tout cas, la lune de miel entre Tunis et Rome semble se poursuivre. Mais l’entente reste fragile : il suffirait d’un faux pas sur la question palestinienne ou sur l’exploitation des ressources tunisiennes pour que cette amitié vole en éclats.
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