Guerre Israël-Hamas : que veut vraiment l’Iran ?
Derrière l’affrontement entre Israël et le Hamas, nombre d’acteurs s’agitent de manière plus ou moins visible. Allié du Hezbollah et discret soutien du Hamas, l’Iran espère peser sur les équilibres régionaux et profiter du conflit.
« Ne le faites pas » : l’avertissement, sans équivoque, a été lancé par le secrétaire à la Défense américain, Lloyd Austin, « à un groupe ou à un pays qui serait tenté d’intervenir » dans ce qui se joue à Gaza et dans la région. C’est ensuite le ministre de l’Économie israélien, Nir Barkat, qui a prévenu de façon moins allusive : « Si l’Iran nous menace, nous frapperons. » Avant de durcir encore le ton : « Israël a un message très clair à ses ennemis. Regardez ce qui se passe à Gaza, vous recevrez le même traitement si vous nous attaquez, nous vous effacerons de la surface de la Terre. »
Une réponse aux messages volontiers provocateurs du ministre des Affaires étrangères iranien, Hossein Amir Abdollahian, qui enchaîne de son côté les sorties virulentes à l’adresse d’Israël. Dans l’une des plus récentes, il avertit « les États-Unis et leur mandataire que, s’ils ne mettent pas immédiatement fin au crime contre l’humanité, tout est possible à tout moment, et la région deviendra incontrôlable ». Le « mandataire » en question étant, dans l’esprit des dirigeants iraniens, Israël.
Dès le 7 octobre et l’attaque du Hamas, les regards se sont tournés vers le Hezbollah, appui essentiel du groupe islamiste palestinien dans la région, et son parrain, l’Iran. Dans la vague de réactions qui a suivi, peu de médias ont relayé celle du Guide suprême de la République islamique, Ali Khamenei, qui a immédiatement et formellement nié toute implication de Téhéran dans l’opération conduite par le Hamas. Opération à laquelle il a toutefois apporté son soutien dans un discours prononcé le 10 octobre, assurant : « Nous embrassons les fronts et les bras des initiateurs et des courageux jeunes Palestiniens. »
De Beyrouth, où il a rencontré le dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le chef de la diplomatie iranienne a quant à lui adopté un discours beaucoup plus direct. « Toute mesure prise par la résistance du Hezbollah provoquera un énorme tremblement de terre dans l’entité sioniste. Je veux avertir les criminels de guerre et ceux qui soutiennent cette entité avant qu’il ne soit trop tard pour arrêter les crimes contre les civils à Gaza, parce qu’il pourrait être trop tard dans quelques heures », a-t-il prévenu.
L’impuissance de la Ligue arabe
Et, tandis que le conflit se développe autour de la bande de Gaza, le Hezbollah multiplie, à partir du Sud-Liban, les provocations en direction d’Israël. Une stratégie pour affaiblir la force de frappe de l’État hébreu en le contraignant à se déployer sur deux fronts ? Peut-être. Comme il peut s’agir également de l’installation d’une guerre d’usure, tant il parait évident, du moins pour l’heure, qu’un cessez-le-feu n’a actuellement presque aucune chance d’être adopté.
Dans cette configuration, les États arabes se sont à nouveau réunis le 21 octobre au Caire pour un nouveau « sommet de la paix », qui n’a abouti à aucune résolution et n’a finalement servi qu’à afficher au grand jour les divisions et l’impuissance de la Ligue arabe. Ces divisions internes profitent à l’Iran, qui avance ses pions : sa relation avec le Qatar consolidée, Téhéran tente un rapprochement avec l’Arabie saoudite à la faveur des bons offices de la Chine, élargit son influence à des pays comme l’Algérie ou la Tunisie et se donne une image de puissance fréquentable. Entre États sans grande considération pour les droits de l’homme, on se comprend.
Face à Washington, qui affiche bruyamment son soutien inconditionnel à Israël et évoque « une démocratie qui se défend », Téhéran privilégie toutefois une forme d’action silencieuse. Mais nul n’est dupe : le soutien financier et la fourniture d’équipements, d’armes et de formation dont bénéficie le Hezbollah profite aussi à son petit frère palestinien, le Hamas. Et l’Iran a d’ailleurs été prévenu : le moindre débordement du Hezbollah entrainerait évidement une riposte israélienne, mais aussi américaine.
Au sein même du pays, le généreux appui apporté au groupe palestinien est mal perçu par une population qui se débat avec une crise économique sans fin. « Personne ne comprends que les mollahs préfèrent diffuser leur idéologie au Moyen-Orient plutôt que de veiller à éviter que le niveau de vie des Iraniens ne se détériore encore plus », commente un natif d’Ispahan en exil à Genève. Avec une opinion iranienne qui conteste de plus en plus son pouvoir et qui se montre nettement défavorable à ce développement régional de son influence, l’Iran ne tient donc pas à être, en plus, cloué au pilori par les Occidentaux, et ne souhaite surtout pas accroître des tensions qui entraîneraient la République islamique dans un conflit armé dont l’issue est toute aléatoire et risquée. Ni les Occidentaux, Américains y compris, ni l’Iran, qui dispose de relais en Syrie et en Irak, où des milices chiites à la frontière syro-israélienne sont en embuscade, n’ont intérêt à ce que le conflit déborde du creuset de l’ancienne Palestine.
Influence extérieure et crise intérieure
Pour l’heure, l’Iran se contente donc d’observer et prend note d’un déplacement des curseurs. L’Arabie saoudite a gelé le processus de normalisation, qui semblait bien engagé avec Israël, l’opinion publique dans les pays arabes mais également dans les pays occidentaux tend à dénoncer la colonisation entreprise par Israël, les dirigeants arabes, dont le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, ont annulé une rencontre avec le président américain, Joe Biden, au surlendemain de la frappe, le 17 octobre, de l’hôpital Al-Ahli à Gaza…
Mais les évènements sont trop fluctuants pour permettre à l’Iran de préciser sa stratégie, d’autant que Téhéran ne peut choisir entre sortir le pays de la crise où il est englué et soutenir un conflit qui risque de s’enliser et demander de sa part plus d’implication financière ou matérielle. Une politique qu’il n’a pas, actuellement, les moyens de se permettre, même s’il peut compter sur les revenus de son pétrole et de son gaz pour sa survie.
Avec cette fragilité interne de l’Iran en toile de fond, la question se pose : le conflit déclenché par le Hamas n’a-t-il pas été une action déclenchée trop tôt par rapport un agenda préétabli ? Ou était-ce une façon de faire pression pour que l’Iran entre dans la danse et inverse le leadership régional en faveur des chiites ? Dans ce cas, le Hamas, en ayant été impulsif, semble avoir réactivé une stratégie israélienne offensive sur Gaza, alors qu’elle était plutôt statique depuis la construction du mur.
Mais, pour les observateurs avertis, dont le général Michel Yakovleff, ancien vice-chef d’état-major de l’Otan, le fait que le conflit implique les uns ou les autres n’est pas déterminant. « Cette guerre n’a de solution que politique, martèle-t-il. Les Israéliens doivent le comprendre. »
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