Entre Israël et l’Afrique du Sud, des relations en dents de scie
Le soutien indéfectible de Pretoria à la cause palestinienne fragilise ses relations avec Israël à chaque résurgence du conflit au Proche-Orient.
Elles plient mais ne rompent pas. Les relations diplomatiques entre Israël et l’Afrique du Sud souffrent un peu plus à chaque nouvelle escalade du conflit israélo-palestinien, mais l’ambassade d’Israël à Pretoria reste ouverte malgré les appels à la fermer. Une demande formulée par le parti des Combattants pour la liberté économique (EFF) qui manifestaient devant le bâtiment en soutien à la Palestine, lundi 23 octobre, mais aussi par certains militants du Congrès national africain (ANC, au pouvoir), qui défilaient le 20 octobre.
« Ajouter de la douleur à la douleur »
Alors que le gouvernement sud-africain qualifie Israël de régime « d’apartheid » et l’accuse de « génocide » et de « crime de guerre » à Gaza, comment envisager le moindre dialogue avec les diplomates israéliens ? « Ils sont nos messagers et nous espérons qu’ils coopéreront pour transmettre notre message. Mais s’ils ne coopèrent pas et qu’ils n’apportent aucune valeur ajoutée, pourquoi rester ? Autant qu’ils fassent leurs valises au lieu d’ajouter de la douleur à la douleur », mettait en garde Nomvula Mokonyane, secrétaire adjointe de l’ANC chargée des relations internationales, rencontrée dans le cortège à Pretoria.
Le 7 mars 2023, l’Assemblée nationale a entériné la rétrogradation de la représentation diplomatique sud-africaine à Tel-Aviv. L’ambassade était devenue un simple bureau de liaison en 2018 sur recommandation des militants de l’ANC. « Ce n’est pas sans conséquences », regrette Adi Cohen Hazanov, ambassadrice adjointe à l’ambassade d’Israël à Pretoria : « Moins vous avez de personnel, plus vos communications deviennent difficiles. C’est pourquoi notre ambassade [à Pretoria] est dotée de tout le personnel nécessaire, car on croit fermement qu’il faut garder les canaux de communication ouverts en dépit des désaccords. »
Une dégradation supplémentaire des voies diplomatiques n’est pas souhaitable, selon Elizabeth Sidiropoulos, directrice du South African Institut of International Affaires (SAIIA), un groupe de réflexion. « On a besoin de toutes les options pour sortir de la spirale de violence, et de l’engagement de toutes les parties, qu’elles soient fortement impliquées ou non. Je ne pense pas que l’Afrique du Sud ait l’oreille d’Israël, mais si elle fait partie d’une initiative plus large, venant de l’ONU par exemple, et qu’elle a accès au Hamas, c’est un atout qui peut servir. »
Entretien téléphonique avec le Hamas
La ministre des Affaires étrangères, Naledi Pandor, a eu un entretien téléphonique avec le chef du bureau politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, le 17 octobre. Il a été exclusivement question de la livraison d’aide humanitaire à Gaza, selon le ministère, qui a démenti tout soutien à l’opération militaire Déluge d’Al-Aqsa menée par le mouvement islamiste palestinien. « Nous ne pensons pas que quiconque devrait parler avec eux, sauf à condamner leurs actions », a réagi Adi Cohen Hazanov.
L’Afrique du Sud s’enorgueillit d’une forme d’expertise en matière de médiation et défend son choix de parler à tout le monde. Pretoria a accueilli les négociations de paix dans le cadre de la guerre éthiopienne du Tigré en octobre 2022, puis Cyril Ramaphosa a mené la délégation pour la paix en Ukraine et en Russie en juin 2023. Le régime d’apartheid (1948-1994) est en partie tombé grâce « à la clairvoyance de dirigeants qui ont mis leurs divergences de côté pour rechercher la paix plutôt que la vengeance », a rappelé le président sud-africain, qui participait au sommet pour la paix qui se tenait au Caire, en Égypte, et où il a appelé à l’ouverture de négociations sous l’égide des Nations unies.
Mais dans la guerre en Ukraine comme dans le conflit israélo-palestinien, il est reproché à l’Afrique du Sud de prendre parti, même si Pretoria revendique son non-alignement, qui n’est pas une neutralité. « Si quelqu’un se perçoit comme un médiateur, il doit être impartial, avoir un dialogue franc et maintenir un canal de communication avec les deux parties », pointe Adi Cohen Hazanov.
Une relation en zigzag
Il y a de la friture sur la ligne mais le tandem Pretoria–Tel-Aviv continue d’avancer en zigzag malgré l’obstacle que représente le conflit israélo-palestinien. L’Afrique du Sud est le premier partenaire commercial africain d’Israël avec une balance commerciale d’environ 350 millions de dollars. Des entreprises israéliennes implantées en Afrique du Sud travaillent dans le domaine des panneaux solaires, des cyber-technologies, de l’agriculture ou de la gestion de l’eau.
Israël veut d’ailleurs partager son expertise dans le domaine de l’eau alors qu’une ville comme Le Cap est menacée par les pénuries et envisage de construire une usine de désalinisation. Le directeur israélien de l’Autorité de l’eau a visité l’Afrique du Sud au mois de mars et a rencontré quelques officiels, mais pas de haut niveau, regrette l’ambassade israélienne. La province du Cap Occidental et la mairie du Cap sont dirigées par l’Alliance démocratique, un parti proche d’Israël, mais les investissements israéliens sont exposés aux dénonciations du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), soutenu par l’ANC.
« Israël aimerait avoir de bonnes relations avec l’Afrique du Sud, mais celle-ci est très suspicieuse à l’égard d’Israël, qu’elle voit comme un protagoniste négatif au Moyen-Orient et dans le monde », observe Asher Lubotzky, docteur en histoire et auteur d’une thèse sur les relations entre Israël et l’Afrique du Sud à l’université américaine d’Indiana. Pourtant, dans les années 1960, c’est Israël qui était très critique envers le régime d’apartheid sud-africain. « Il est le premier pays occidental à voter des sanctions contre l’Afrique du Sud », rappelle Asher Lubotzky, qui parle alors d’une « lune de miel » entre l’ANC et Israël.
Combat anticolonialiste
Mais après la guerre des Six Jours, quand Israël conquiert des territoires égyptien, jordanien et syrien, en juin 1967, l’ANC se tourne vers la Palestine et affirme davantage son combat anticolonialiste. « Le plus important, c’est qu’au début des années 1970, Israël abandonne son opposition au régime d’apartheid pour devenir plus neutre et même ouvert à la coopération et à la collaboration avec le régime d’apartheid pour des intérêts sécuritaires », souligne Asher Lubotszky. Le régime d’apartheid détient une industrie militaire très importante et Israël a besoin de se défendre.
Entre le milieu des années 1970 et 1987, la minorité blanche au pouvoir en Afrique du Sud et Israël sont « des alliés très proches », explique Asher Lubotsky. Dans les yeux de l’ANC, « cette trahison est impardonnable », dit-il. Leurs relations connaîtront une forme de détente au début des années 1990 avec la fin de l’apartheid, l’élection de Nelson Mandela en 1994 et la politique de l’ancien premier ministre Yitzhak Rabin, signataire des accords d’Oslo en 1993. Mais à chaque conflit entre Israël et Gaza, « l’Afrique du Sud reste la voix la plus critique d’Israël », note Asher Lubotzky. L’attaque unilatérale du Hamas, le 7 octobre 2023, « signe une nouvelle étape », juge le chercheur.
Réaction lente
L’agression du mouvement islamiste palestinien n’a pas été condamnée par l’ANC et le gouvernement sud-africain. Ils ont mis quelques jours à exprimer leurs condoléances aux familles des victimes civiles israéliennes et à prendre leurs distances avec le Hamas. « Nous ne sommes pas du côté des actes de terreur et des assassinats d’innocents. Nos alliés sont l’OLP [Organisation de libération de la Palestine] et les Palestiniens », a fini par expliquer Fikile Mbalula, secrétaire général de l’ANC, lors d’une conférence de presse, le 18 octobre.
Malgré cette escalade inédite du conflit entre Israël et Gaza et sa traduction politique en Afrique du Sud, l’ambassadeur israélien, Eliav Belotserkovsky, dit toujours espérer pouvoir améliorer les relations diplomatiques entre les deux pays. En intervenant dans les médias locaux, il essaie d’obtenir le soutien de la population dont une grande partie « a une opinion positive d’Israël », d’après son adjointe, Adi Cohen Hazanov, ce qui est invérifiable. « Israël cherche la sympathie du monde, le plus d’alliés internationaux possible », fait remarquer Asher Lubotzky. Et même si l’Afrique du Sud est considérée par Tel-Aviv comme « l’un des pays les plus compliqués où envoyer un ambassadeur », selon le chercheur, son opinion publique peut toujours être amadouée.
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