Comment Ghazouani a fermé la porte aux lobbyistes pro-israéliens
Depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël, le président mauritanien exprime un soutien total aux Palestiniens. Il dissuade ainsi ceux qui espéraient vivement le voir rétablir des relations diplomatiques avec Tel-Aviv, gelées depuis 2010.
Le 21 octobre, lors du Sommet pour la paix au Caire, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani est sorti de sa prudence habituelle en prononçant un discours ferme. « Ce à quoi sont exposés les civils sans défense [à Gaza] contredit toutes les valeurs et tous les principes, et entre en conflit avec les fondements de la conscience humaine », a déclaré le président mauritanien.
« La violence et les catastrophes dont est témoin cette région ne sont rien d’autre qu’un résultat inévitable et un stigmate du problème central qui mine sa sécurité et sa stabilité depuis des décennies, à savoir l’incapacité à faire respecter le droit des Palestiniens à établir un État souverain avec Jérusalem-Est pour capitale », a-t-il poursuivi, apportant son soutien à la solution à deux États.
Sans le dire ouvertement, Ould Ghazouani a ainsi probablement définitivement fermé la porte à des intermédiaires pro-israéliens, qui le courtisait depuis son arrivée au pouvoir en 2019, dans l’espoir qu’il rétablisse les relations diplomatiques avec Tel-Aviv, rompues depuis 2010 par son prédécesseur, Mohamed Ould Abdelaziz.
« Vous avez une opinion, moi aussi »
Une situation dans laquelle les Émirats arabes unis (EAU) ont joué un rôle très actif. Non seulement Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani est proche du président Mohammed Ben Zayed, mais Abu Dhabi a pu s’appuyer sur l’influent et très respecté cheikh mauritanien Abdallah Bin Bayyah, ardent défenseur des accords d’Abraham qui ont scellé en 2020 la paix entre Israël et les EAU, mais aussi entre Israël et Bahreïn.
Selon nos informations, Mike Pompeo, alors secrétaire d’État américain, avait également milité en ce sens. Mais le chef de l’État mauritanien a toujours répondu à ses interlocuteurs : « Vous avez une opinion, moi aussi ». En mars 2023, les autorités ont démenti l’existence de contacts entre Israël et leur pays.
En 1999, la Mauritanie a été le troisième pays de la Ligue arabe à établir des relations diplomatiques avec Israël, après l’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994. Le contexte était particulier : « Le pays faisait l’objet de rapports défavorables du Département d’État américain sur l’esclavage et le passif humanitaire, ce qui passait mal auprès du président d’alors, Maaouiya Ould Taya, rapporte un témoin de cette période. Nouakchott, qui a soutenu le régime de Saddam Hussein pendant la guerre du Golfe, devait opérer une réorientation diplomatique, et cela passait aussi par Israël. »
Initiatrice de la conférence de Madrid de 1991 et promotrice d’un dialogue euro-méditerranéen à travers l’initiative 5+5 (UE et les pays du Maghreb, Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie), l’Espagne, par ailleurs liée économiquement à Nouakchott, s’est donc placée en première ligne. Le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Miguel Ángel Moratinos, fut ainsi à l’origine des premiers contacts entre la Mauritanie et Israël. Un « dialogue conjoint » a été annoncé et des « sections d’intérêt » ont été créées dans les deux pays, en 1996.
Bénéfices et coût
Puis, la deuxième phase a été enclenchée et des relations diplomatiques ont été établies au niveau des chargés d’affaires, avant d’impliquer les ambassadeurs des deux pays avec l’ouverture de représentations en 1999. Le président Maaouiya Ould Taya a pris cette décision seul, sans consulter les autres membres de la Ligue arabe.
« Il en a tiré quelques bénéfices, assure notre témoin. D’abord, une meilleure visibilité dans les rapports du Département d’État, mais aussi la cessation des soutiens américains et israéliens aux Flam [Forces de libération africaines de Mauritanie, opposition non politisée mais influente à cette époque.] Enfin, il a obtenu des financements américains dans les domaines de l’agriculture et de la santé. »
Mais les conséquences négatives ont été lourdes. Le rapprochement avec l’État hébreu fut l’une des raisons de la sanglante tentative de putsch perpétrée en 2003. Il est aussi à l’origine de l’attentat revendiqué en 2008 par Al-Qaïda contre l’ambassade d’Israël à Nouakchott, qui a fait trois blessés au sein de la communauté française. D’autres tentatives ont également été déjouées. Et les Mauritaniens sont restés viscéralement attachés à la cause palestinienne.
C’est finalement Mohamed Ould Abdelaziz qui a gelé, puis rompu les relations diplomatiques en 2010 à la suite de l’opération militaire israélienne « Plomb durci » menée dans la bande de Gaza l’année précédente. Contrairement aux rumeurs, le siège de l’ambassade n’a en revanche jamais été rasé. Comme ses prédécesseurs, à l’exception de Ould Taya, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani n’a jamais été favorable à ce rapprochement.
Très grande sensibilité
Ce dernier affiche, comme l’ensemble de la population, un plein soutien aux Gazaouis. Sur X (anciennement Twitter), il a dénoncé le 18 octobre, au lendemain de l’attaque d’un hôpital dans l’enclave palestinienne, « les massacres, le siège et les déplacements que subit le peuple […] frère. »
Le 7, jour des attaques terroristes perpétrées par le Hamas, le gouvernement mauritanien a « exprimé sa profonde préoccupation face à l’escalade en cours dans les territoires palestiniens occupés », disant y voir « le résultat logique des provocations continues et des violations régulières des droits du peuple palestinien et du caractère sacré de la Mosquée Al-Aqsa par les autorités d’occupation israéliennes, en plus de la poursuite de l’expansion des colonies ».
Toute la classe politique est par ailleurs descendue dans la rue à de multiples reprises depuis le début de la guerre. Autre preuve de cette grande sensibilité chez les Mauritaniens, lorsque le blogueur Sidi Kmach, très suivi dans le pays et installé aux États-Unis, a pris ses distances par rapport au Hamas (avant de se rétracter), il a perdu une part importante de ses milliers de followers.
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