Fernand Lopez, le MMA à poing nommé

Promoteur, entrepreneur, ex-entraîneur de Francis Ngannou et de Cédric Doumbé, ce grand manitou du MMA s’est imposé dans un sport longtemps interdit en France. Rencontre avec le controversé Fernand Lopez.

Fernand Lopez, grand manitou du MMA, a été condamné à quatre mois de prison avec sursis dans une affaire de violences conjugales. © Pascal ViLA/SIPA

Fernand Lopez, grand manitou du MMA, a été condamné à quatre mois de prison avec sursis dans une affaire de violences conjugales. © Pascal ViLA/SIPA

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 1 novembre 2023 Lecture : 7 minutes.

Il était arrivé en retard au rendez-vous que nous nous étions fixé dans le 7ème arrondissement de Paris. Fernand Lopez avait accepté cet entretien alors qu’il était en pleine tempête médiatique, la presse se faisant l’écho des déclarations tapageuses de Cédric Doumbé, l’un de ses anciens protégés qui l’accuse de violences conjugales. Lopez reconnaît de son côté avoir «giflé » celle qui était alors son épouse.

Elle, décrit au contraire le geste comme « un parpaing de forain ». « Première touche, je suis KO », a-t-elle ajouté. Condamné à quatre mois de prison avec sursis, l’accusé estime avoir « payé » pour son délit. Quant à l’intérêt de la presse, Lopez y voit la main de ceux qui prennent ombrage de son succès dans l’industrie du MMA en cours de développement en France.

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Produit marketing

Pour en discuter avec nous, l’un de ses amis lui avait prêté la salle de réunion d’un cabinet d’audit. En retard, donc, Fernand Lopez prétendit qu’il cherchait une place de stationnement. Et quand il put stationner son Range Rover sur une place de livraison à proximité, il en laissa le coffre ouvert. Petite astuce, révéla-t-il, pour échapper à une contravention.

Son nom n’est pas si imprononçable que ça. Mais peu importe, ce quadragénaire trapu au physique de lutteur a quand même fait disparaître Owonyebe. Tant pis si cela donne de lui l’image d’une personne en apesanteur, sans attache ni origine ethnique, une personnalité d’ici et d’ailleurs, comme certains de ces jeunes migrants qui ont brûlé leurs vaisseaux pour naître de nouveau, au point de changer d’identité. Fernand Lopez, c’est presqu’un produit marketing issu du Mixed martial arts (MMA), un sport de combat devenu en quelques années, grâce aux technique du merchandising et à une scénarisation proche de la téléréalité, une industrie pesant 30 milliards de dollars.

Propriétaire de salles de sport, entraîneur, manager, promoteur de spectacles, producteur de contenus télévisés… Le coach sportif a su devenir un homme d’affaires multitâche. Il fait son chemin dans ce business où tous les coups sont permis. Pourtant, Lopez ne vient pas de nulle part. C’est un enfant des années de braise, l’une de ces « générations sacrifiées », celle dont l’adolescence fut marquée dans les années 1990 par le traumatisme de la chute brutale des cours de produits d’exportation, précipitant le Cameroun dans une crise économique inédite, suivie de politiques d’austérité imposées par le FMI sous l’appellation de plan d’ajustement structurel.

« À la suite de deux baisses des salaire successives et de la dévaluation du franc CFA en 1994, nos parents, fonctionnaires pour la plupart, avaient perdu les trois-quarts de leurs revenus » se souvient Francis Mbede, son ami. Parmi eux, quelques enfants de militaires putschistes exécutés après la tentative de coup d’État du 6 avril 1984. À la pause de midi, sans argent de poche, il faut tromper l’ennui et, surtout, évacuer la colère due au déclassement. Avant la reprise des cours dans l’après-midi, ils s’en vont soulever de la fonte et apprendre les techniques de la lutte gréco-romaine au gymnase de la Gendarmerie. Après le baccalauréat, tous veulent quitter le pays pour se donner une chance de réussir par le sport.

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Du rugby au MMA

Une partie d’entre eux atterrit en France mais faute de remporter une médaille d’or olympique, ils se sont recyclés dans la sécurité, notamment au sein du Groupe de protection et de sécurité des réseaux (GPSR) de la RATP. Quand il foule le sol de France un jour de 1999,  le jeune Lopez débarque lui aussi avec un projet sport-études. Naturellement, il fait un peu de lutte à l’Insep. Ancien capitaine de YUC Rugby à Yaoundé, il touche au ballon ovale, poursuit des études et travaille dans le même temps comme électrotechnicien, spécialisé dans la programmation pneumatique des lavomatiques et des ascenseurs. Une hernie cervicale l’éloigne du rugby, il se fait opérer, mène une rééducation pendant trois ans, reprend progressivement le sport et se met au grappling (sport de combat spécialisé au sol).

Puis, un jour, il tombe dans le MMA, qui se développe sans l’autorisation de l’État. Contrairement aux apparences, Lopez ne fait pas partie des précurseurs de ce phénomène en France. « J’ai intégré ce sport il y a seulement dix ans. Mathieu Nicourt, mon prof de MMA, y est depuis trente ans. », avoue-t-il. Au départ, il est lui-même un combattant mais, une dizaine de combats plus tard, il comprend vite qu’il ne deviendra pas un grand champion. De combattant, il passe à entraîneur. L’homme d’affaires qui sommeille en lui pressent le potentiel de ce nouveau sport dans l’industrie française du divertissement.

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Le MMA est né en 1993 aux USA, d’une idée folle : mettre deux combattants dans un octogone conçu comme une cage. Il n’y a pas de règles, pas d’issue de secours. Les deux adversaires se battent jusqu’à soumission ou renoncement. Il surfe sur la violence et le côté avilissant de la chose. Les Brésiliens sont en avance. Les Américains ne sont pas en reste. Mais des résistances subsistent. Un sport qui se déroule dans une cage, qui permet de frapper au sol son adversaire, est un sport qui ne respecte tout simplement pas les valeurs éducatives. Il est longtemps interdit dans plusieurs États américains. En France aussi.

En 2001, l’Ultimate Fighting Championship (UFC) est racheté pour 2 millions de dollars par les gérants de casino Frank Fertitta III et Lorenzo Fertitta et sa présidence est confiée à l’entraîneur de boxe Dana White. Douze ans après, l’affaire est valorisée 30 milliards. « Comment ont-ils fait ? Ils ont amélioré l’image, explique Fernand Lopez. Le MMA ne faisait plus peur. Très rapidement, comme ils devaient vendre les combats, engranger des vues sur internet, ils ont élaboré un plan marketing, ont intégré les codes de la téléréalité. Avant, il n’y avait pas de règles, pas de grades, rien du tout. Ils ont aussi travaillé le merchandising, les mises en scène avec lumière. Il fallait opérer ces changements pour être accepté par l’État ».

Un éco-système complet

En 2020, après 25 ans d’interdiction, le MMA est enfin autorisé en France. Lopez saute sur l’occasion. Recruté comme directeur sportif chez Vivendi avec pour mission de créer une ligue professionnelle de MMA, il lance Ares fighting championship avec son associé Benjamin Serfati. Leur société signe avec Canal+ un contrat de diffusion qui court jusqu’en 2027. Mais un imprévu, le Covid, menace de tout détruire. Le confinement met un coup d’arrêt aux spectacles. Il faut fermer boutique. Puis vient le sursaut. Les deux compères décident de créer une bulle sanitaire afin d’organiser des combats filmés sans spectateurs, pour créer des contenu avec des combattants suivis et vaccinés. C’est un succès.

Ils ne vont plus s’arrêter d’investir. « J’ai monté un écosystème complet. Je possède une salle de sport. Lorsque les combattants qui s’y entraînent atteignent le haut niveau, au lieu d’aller ailleurs voir une agence, je leur propose la mienne. Ils recherchent une ligue ? Au lieu de s’exiler en Angleterre au Cage Warriors, je leur propose Ares où ils auront une excellente visibilité parce que nous avons un contrat avec Canal+ et même avec l’UFC Fight Pass, la plus grosse plateforme diffusant des sports de combat dans le monde, qui touche plus d’un milliard de foyers… » « Je peux comprendre que notre choix de maîtriser les différents métiers du MMA nous vaille de nombreuses inimitiés. C’est normal que des gens en prennent ombrage ».

Même à la Fédération française de boxe, qui a la délégation du MMA, l’entrepreneur touche à tout dérange et ne compte pas que des amis. Lui qui a le Fight management collège (FMC) forme les préparateurs physiques, les entraîneurs, les préparateurs mentaux, les diététiciens, avec une habilitation du ministère du français du Travail. « Il n’y a qu’un seul diplôme d’État (créé en France il y a moins de deux ans) qui donne la possibilité à un technicien de devenir coach de MMA, ça s’appelle le Certificat complémentaire de MMA (CCMMA), affirme-t-il. J’ai tout de suite travaillé dessus avec mes collègues, nous avons sorti un ruban pédagogique et obtenu l’habilitation du ministère du Travail. FMC est la seule école habilitée à octroyer des diplômes CCMMA. Nous avons déjà diplômé deux promotions de 60 élèves. »

Ce faisant, Fernand Lopez se pose en concurrent de la Fédération. Mais il multiplie les projets en dépit de l’adversité. Ares Fighting Championship veut se positionner sur l’axe afro-européen, à l’instar de l’asiatique One FC, proposant un MMA adapté aux Asiatiques. Lopez et ses associés, qui ont déjà accueilli de nombreux combattants venus d’Afrique, dont les champions Francis Ngannou et Cédric Doumbé, envisagent de renforcer leur présence sur le continent. L’entretien touche à sa fin. Fernand Lopez, le controversé entraîneur star, nous quitte. Son astuce a marché : au bout de deux heures d’entretien, aucun papillon n’a atterri sur le pare-brise du véhicule. Avant de voir Fernand Lopez Owonyebe le faire, nous n’avions jamais vu personne ainsi tenter le sort pour éviter un PV.

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