France-Algérie : pourquoi ça bloque ?
Membre de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française, Frédéric Petit a rencontré diplomates et acteurs de la coopération, en France et en Algérie. Points de crispation, pistes pour en sortir… Que contient son rapport ?
Député de la 7e circonscription des Français établis à l’étranger (qui regroupe l’Allemagne, l’Europe centrale et les Balkans), membre de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale française, vice-président de la commission des Affaires européennes, Frédéric Petit a séjourné en Algérie – à Alger et à Oran – du 17 au 21 septembre, dans le cadre de ses fonctions de rapporteur du budget de la diplomatie culturelle et d’influence française.
« Initiatives courageuses »
Au cours de ce déplacement, il a rencontré des diplomates français ainsi que des membres de la société civile algérienne. Ces échanges, qui s’ajoutent à ses discussions avec des diplomates du Quai d’Orsay ainsi qu’avec des cadres de différents ministères et agences de coopération, nourrissent le rapport sur les relations algéro-françaises qu’il vient de présenter aux membres de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française. Une soixantaine de pages, dans lesquelles il dissèque ces relations et montre, exemples à l’appui, quels sont les points de blocage.
D’emblée, un constat : les rapports entre la France et l’Algérie paraissent « tout aussi foisonnants sur le plan humain que dysfonctionnels sur le plan politique ». Malgré les « initiatives courageuses » d’Emmanuel Macron, juge Frédéric Petit, il est « difficile de ne pas constater la permanence des blocages de la relation d’État à État ». Et ces pierres d’achoppement ne datent pas d’hier, comme si l’apaisement relevait du vœu pieu.
En mars 2003, rappelle le député, les présidents Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika annoncent la signature d’un traité d’amitié et l’instauration d’un partenariat d’exception. Mais le traité s’éteint dès l’été 2008, quand une première grande crise oppose les deux pays, à la suite de l’arrestation d’un diplomate algérien supposément impliqué dans l’assassinat, en 1987, de l’opposant franco-algérien Ali Mecili. En décembre 2012, François Hollande et le même Bouteflika signent la déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération. Elle fera long feu. Nouveau président, nouvelle tentative : en voyage en Algérie, en août 2022, Emmanuel Macron propose au débotté à Abdelmadjid Tebboune « une déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé ».
Trois traités en vingt ans
En l’espace de deux décennies, des présidents français et algériens ont donc signé trois déclarations, sans pour autant mettre fin aux difficultés. Pourquoi ? « Toute approche strictement institutionnelle semble buter irrémédiablement, en Algérie, sur des obstacles sans cesse renouvelés, qui trouvent leur origine dans l’organisation même de l’État algérien », note le député dans son rapport, dont Jeune Afrique a obtenu copie.
Frédéric Petit souligne que les nombreux intervenants qu’il a rencontrés en Algérie lui ont indiqué qu’ils « considèrent que, de façon structurelle, les accords signés n’engagent pas le partenaire algérien ». Quels sont donc ces mécanismes, ces leviers et ces contraintes ?
Le député en énumère plusieurs. Le premier : l’armée et la nomenklatura algériennes contrôlent les ressources du pays, qui échappent ainsi au regard du Parlement et de la Cour des comptes. De même, elles contrôlent « les passages obligés d’une consommation nationale très dépendante à l’égard des importations, comme les ports et les douanes ». L’administration, y compris au plus haut niveau hiérarchique, est grevée par l’instabilité, l’opacité et la précarité, de sorte qu’il est très difficile d’identifier des interlocuteurs susceptibles de mener des projets dans la durée.
Les ministres comme les administrations, écrit aussi le rapporteur, « hésitent à prendre des initiatives, sur fond de crainte de règlements de comptes instrumentalisant des procédures judiciaires », étant entendu que tout changement est susceptible de bousculer des réseaux et des intérêts en place.
Hostilité bien ancrée
La valse des ministres, des hauts fonctionnaires et des walis (préfets) remet fréquemment en cause les projets, ajoute le député. Il souligne également que les « administrations algériennes ne disposant pas d’annuaires publics ni de sites intranet, les échanges professionnels n’ont lieu qu’à travers des messageries personnelles : lorsqu’un responsable administratif change, il n’y a pas de solution de continuité, et les interlocuteurs extérieurs à l’administration peuvent ne pas être informés pendant de très longues périodes. « Tout cela « constitue un obstacle structurel à nos modes traditionnels d’action diplomatique », observe Frédéric Petit.
Celui-ci note encore que les perspectives de coopération interétatiques sont hypothéquées par une hostilité à la France qui trouve de solides points d’ancrage dans la société, notamment au sein de la puissante famille révolutionnaire. S’y ajoutent les progrès de l’islamisme ainsi que des politiques publiques visant à faire reculer l’usage de la langue française.
Cette volonté des autorités algériennes de favoriser l’arabe et l’anglais au détriment du français, le rapporteur l’illustre par plusieurs exemples. En septembre 2023, Alger a forcé 22 établissements, qui comptaient 10 000 élèves, à renoncer au « LabelFrance Éducation », que le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères attribuait aux fières bilingues d’excellence, et qui pouvait constituer une première étape vers l’homologation. Cette décision, note-t-il, intervient un an après la déclaration d’Alger (août 2022) annonçant la « facilitation mutuelle de l’ouverture de nouveaux établissements scolaires ».
En Algérie, il existe un seul lycée français (contre 17 au Maroc), qui dispose de deux antennes, l’une à Oran, l’autre à Annaba. Mais les capacités d’accueil de ce Lycée international Alexandre-Dumas, qui scolarise 2 119 élèves (dont 80% sont de nationalité algérienne ou binationaux), sont saturées. Les autorités françaises souhaitaient l’ouverture d’un second lycée – qui porterait le nom de Mouloud Feraoun, écrivain algérien assassiné par l’OAS en mars 1962. Alger a conditionné son accord à l’obligation d’un quota d’inscriptions au profit des enfants de hauts responsables. Depuis, le projet est au point mort.
Deuxième partenaire après la Chine
Certes, sur le plan économique et commercial, la France reste le deuxième fournisseur de l’Algérie après la Chine (avec 4,5 milliards d’euros d’exportations en 2022), son deuxième client (avec 6,6 milliards d’euros d’importations) et le troisième investisseur (2,6 milliards d’euros). Mais cela ne constitue pas un vecteur d’amélioration de la relation franco-algérienne dans son ensemble, conclut le rapporteur.
Les entreprises françaises qui travaillent avec l’Algérie ou dans le pays se heurtent en effet aux mêmes difficultés que les entreprises algériennes, notamment à « l’instabilité normative » ou aux « contraintes du contrôle des changes. » Pourtant autant, la France possède des atouts : ancienneté et densité des échanges, proximité géographique, langue, et, de façon croissante, « des formes de symbioses entrepreneuriales des jeunesses françaises et algériennes ».
Le rapporteur préconise ainsi de renégocier sereinement l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles – que plusieurs responsables politiques français ont récemment suggéré de remettre en cause –, afin de renforcer le développement des liens économiques bilatéraux. Cette révision, estime-t-il, devrait prendre en compte la question de la circulation professionnelle, tant pour les Algériens en France que pour les Français en Algérie.
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