Nneka plus ultra, l’autre voix du Nigeria

Depuis vingt ans, la chanteuse germano-nigériane diffuse sa soul panafricaine loin des tendances et des mesures d’audience. Avec « Back and Forth », elle prouve qu’elle ne cesse de se réinventer.

La chanteuse germano-nigériane Nneka. © Officiel Nneka

La chanteuse germano-nigériane Nneka. © Officiel Nneka

eva sauphie

Publié le 4 novembre 2023 Lecture : 5 minutes.

La Scala, salle de théâtre parisienne. Un petit bout de femme, sweat à capuche sur le dos, short ample et informe noyant sa silhouette, s’avance timidement sur la scène. Le plancher craque sous ses pas chancelants. Elle attend que le silence s’installe, s’assied, règle la sangle de sa guitare aux couleurs rastafari, égrène quelques accords, toussote dans sa manche bien trop large, sort de l’une de ses poches une set list, la dépose délicatement sur un tabouret en la défroissant d’un revers de main, puis sort, de son autre poche, un spray antibactérien qu’elle pulvérise sur son micro, non sans ironie. Des rires pudiques s’élèvent dans le public. Quand, soudain, une voix de velours, divine, enrobe l’espace et met fin à ce jeu de pantomime.

Transe quasi mystique

S’il fallait représenter le visage de la sobriété, celui-ci emprunterait les traits de Nneka. Pas de maquillage, rien de superflu. Seul un chèche « protecteur » coiffe sa chevelure bouclée. Privée de boissons alcoolisées dans la salle, l’assistance est médusée. L’ivresse ira se trouver ailleurs, quelque part dans la transe quasi mystique dans laquelle « la mère suprême » (traduction de son prénom, en igbo) nous transporte en cette soirée d’automne.

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La spiritualité guide depuis toujours cette Germano-Nigériane, née il y a quarante-deux ans à Warri, « la ville du pétrole », située dans le Delta du Niger. Son dernier et sixième opus, « Love supreme » (2022), en témoignait déjà. Une bonne année plus tard, celle qui, il y a onze mois, a donné naissance à son premier enfant, qu’elle trimbale partout depuis le début de sa tournée européenne, n’a pas fini de conter l’amour inconditionnel et la foi.

« Dieu représente tout pour moi. On recherche tous la paix et le bonheur en dehors de nous-même, à travers la quête du succès, de l’argent, dans le désir d’avoir un bébé… On en veut toujours plus, et c’est éreintant. On oublie d’être dans la gratitude. Le monde est si bruyant, on a besoin de silence, philosophe-t-elle quand nous la retrouvons dans les bureaux parisiens de son agent, quelques jours après son show.

Partition panafricaine

C’est une fois de plus incognito qu’elle déboule, presque confuse de ses quelques minutes de retard. Elle a troqué son chèche contre une casquette, mais le sweat doudou est toujours là. Malgré ses vingt années de carrière, Nneka Lucia Egbuna ne joue ni les stars ni les divas. « Exister, c’est être et non paraître », pose-t-elle en s’excusant presque d’échapper aux injonctions liées à la féminité et à l’hyper-sexualisation que l’on assigne volontiers aux femmes, et en particulier aux chanteuses. « Si je monte sur scène avec une petite jupe, on dira que je veux vendre des disques. C’est une histoire de perception. Je veux juste être Nneka. »

Dissimuler l’enveloppe pour ne retenir que l’essentiel, les textes, qu’elle déclame en anglais pidgin ou en yoruba, « tout simplement parce que c’est [sa] langue », la voix et la musique. Cette partition panafricaine exquise puise autant dans la soul que dans le reggae, le blues et le R’n’B. « L’industrie [du disque] veut nous ranger dans des boîtes pour qu’on soit “vendables”. Je ressens parfois cette pression, mais je refuse souvent de m’y soumettre », prévient-elle.

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Si, en effet, elle se moque des chiffres et des streams, elle ne s’en dit pas moins extrêmement fière de voir des musiciens nigérians, comme Burna Boy, avec qui elle a déjà partagé la scène, acquérir une audience mondiale.

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Nneka ne s’accorde que 45 mn d’Instagram par jour, « le temps de poster, d’un coup, toutes les stories de [son] concert et de refermer aussitôt le téléphone pour éviter d’être influencée ou de se comparer aux autres artistes ». Mais pour Back and Forth, titre éponyme de son nouvel EP, l’enchanteresse a cédé à quelques arrangements pop, consciente de devoir se conformer aux bandes FM. « La version studio est un peu plus commerciale que le live, concède-t-elle, mais le résultat me plaît quand même. Pour le reste, j’ai besoin d’authenticité. » Une version dépouillée, qu’elle se plaît plus volontiers à expérimenter sur scène, où elle ne cesse de se réinventer, comme lorsqu’elle s’amuse à créer des boucles avec sa voix à l’aide d’une machine électronique qu’elle a apprivoisée durant le confinement.

Le Sahel veut s’émanciper. Je comprends totalement cette envie de se rebeller

Sur la scène, son « laboratoire expérimental », deux guitaristes brésiliens et un percussionniste nigérian, « un ami de longue date », l’accompagnent, alors que résonnent les pulsations de son hit martial Heartbeat. De sa voix suave s’échappe une pensée pour le Nigeria, le Niger et le Burkina Faso. « J’ai cité le nom de ces pays parce qu’à l’origine cette chanson faisait référence au colonialisme britannique au Nigeria. J’ai écrit ce morceau il y a quinze ans, et pourtant on est toujours coincés dans des mentalités coloniales, on est toujours nos propres esclaves. Mais le Sahel en a décidé autrement. Il veut s’émanciper. Je comprends totalement cette envie de se rebeller et de gagner sa souveraineté. C’est pour cela que j’ai actualisé ce morceau », plaide-t-elle.

Activiste autoproclamée, elle se refuse à aller voir l’exposition Senghor, au Musée du quai Branly pendant son escale parisienne. « Cela reviendrait à participer au financement de l’oppression », lâche-t-elle, sentencieuse.

Gandhi, Bouddha, Jésus

Si elle a longtemps lu les poèmes de l’ancien président sénégalais, ainsi que les livres de Frantz Fanon, Nneka préfère aujourd’hui se nourrir de philosophie indienne et se rapprocher de la nature. Elle cite volontiers Gandhi, Bouddha, et bien sûr, Jésus, parmi ses pères spirituels. « Tous les grands ont eu besoin de se retirer du monde quarante jours pour prendre du recul. Je fais comme eux. Quand je ne chante pas, je m’exile dans la forêt. Ce qui me fait tenir dans la musique et ce qui fait que j’ai encore un message à porter, c’est ma capacité à prendre de la distance, avoue-t-elle. Car, pour moi, tout ceci n’est pas un business ». Mais plutôt une philosophie de vie qui n’appartient qu’à elle.

Nneka, Back and Forth, en tournée européenne jusqu’au 16 décembre.

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