Masque Ngil à 5 millions d’euros : l’État gabonais s’en mêle

Le gouvernement de la transition a déposé une plainte pour recel, en France. Objectif poursuivi : la restitution d’un masque fang, vendu aux enchères en mars 2022.

Le masque Ngil, du Gabon, mis en vente en mars 2022. © DR

Le masque Ngil, du Gabon, mis en vente en mars 2022. © DR

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Publié le 4 novembre 2023 Lecture : 3 minutes.

C’est une première pour l’État gabonais. Au début du mois d’octobre, le gouvernement de la transition, que dirige Raymond Ndong Sima, a chargé deux avocats de déposer, en France, une plainte au pénal pour recel. Olivia Betoe Schwerdorffer, avocate au barreau d’Alès (Gard), et le Lyonnais Jean-Christophe Bessy, sont ainsi intervenus, le 31 octobre, au nom du Gabon.

Objectif : obtenir un sursis dans la procédure en cours. Cette dernière, dont l’audience s’est tenue au tribunal d’Alès, oppose un couple de retraités d’Eure-et-Loir au brocanteur qui leur avait acheté un masque Ngil pour 150 euros. Aujourd’hui, le Gabon s’implique en tant que partie civile et réclame la restitution de ce masque très rare, utilisé par une société secrète fang lors de rituels judiciaires. L’intervention de Me Betoe Schwerdorffer et de Me Bessy durant l’audience d’Alès a été décriée par les autres protagonistes, qui ont contesté la recevabilité de leur demande et dénoncé une action « opportuniste ».

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Barbe en fibres de raphia

Si le sursis que réclame l’État gabonais était accepté par le tribunal d’Alès, qui doit se prononcer sur ce point le 19 décembre, Me Betoe Schwerdorffer et Me Bessy obtiendraient, espèrent-ils, suffisamment de temps pour que leur plainte au pénal soit déclarée recevable. « Il a été démontré que le bien avait été collecté au Gabon », affirme Olivia Betoe Schwerdorffer à Jeune Afrique. 

Le masque, en bois de fromager sculpté et en kaolin, représente un visage, dont la barbe est faite de fibres de raphia. Il a été rapporté en France à la fin des années 1910 par René-Victor Edward Maurice Fournier, un gouverneur du Moyen-Congo (qui regroupait les territoires de la République du Congo et du Gabon colonisés par la France). Un couple de retraités (aujourd’hui impliqué dans le contentieux) l’a retrouvé à son domicile et l’a revendu à un brocanteur. Lequel a mis le masque aux enchères à l’Hôtel des ventes de Montpellier, en mars 2022, où il s’est vendu 5,2 millions d’euros.

Une première démarche avait été engagée par Gabon Occitanie, une association de la diaspora, qui réclamait le retour au pays de ce masque datant du XIXe siècle. L’objectif de ce collectif était également d’interpeller l’État français et de le sensibiliser à la question de la restitution des œuvres d’art. C’est chose faite, puisque, si la plainte déposée porte uniquement sur le masque, d’autres contentieux pourraient surgir dans les prochains mois.

Initiatives africaines

Depuis quelque temps, les initiatives se multiplient dans le domaine de la restitution des œuvres d’art africaines. Lors de sa visite à Ouagadougou, en 2017, Emmanuel Macron, tout juste élu, avait promis de susciter une « nouvelle relation d’amitié » entre la France et les pays africains. Avec, pour « premier remède », le domaine culturel. « Je ne peux pas accepter qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France, affirmait alors le chef d’État français. Je veux que, d’ici à cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».

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Six ans plus tard, nombre d’associations et de pays africains estiment que la promesse n’a pas été tenue. Sous l’impulsion d’État de la diaspora africaine, une organisation que dirige l’universitaire Louis-Georges Tin – par ailleurs président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) de France –, une action médiatique collective (dite « class-action ») a vu le jour ; elle regroupe quinze pays, parmi lesquels le Bénin, la Guinée, le Liberia, Madagascar, l’Ouganda, la RD Congo, le Tchad et… le Gabon. Gouvernements, associations et familles royales ont mandaté l’État de la diaspora africaine à cet effet.

À l’issue de la conférence de presse qu’elle a tenu à la fin d’octobre, l’association a dit espérer obtenir « à l’amiable » une réponse des États concernés, en particulier de la France et du Royaume-Uni, d’ici à deux mois. Elle réclame la restitution du masque Ngil, comme de milliers d’autres biens culturels. « C’est une action sans précédent, soutient Louis-Georges Tin. Lorsque nous avons lancé notre campagne, il y a quelques années, nous n’avions touché que le Bénin. Cette montée en puissance va au-delà de nos espérances. »

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Si elle n’obtient pas de réponse, l’association compte porter l’affaire devant les tribunaux. « Nos avocats travaillent déjà en vue d’intenter des actions judiciaires contre différents pays, au premier rang desquels la France et le Royaume-Uni, mais aussi la Belgique, l’Allemagne, le Vatican, la Suisse… », ajoute Tin.

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