RD Congo : le suisse Argor-Heraeus accusé d’avoir blanchi de l’or pillé
La justice helvétique a ouvert une enquête contre l’entreprise suisse de raffinage d’or Argor-Heraeus. Le groupe est accusé d’avoir blanchi trois tonnes d’or pillé en RD Congo entre 2004 et 2005.
La justice suisse vient d’ouvrir une enquête pour déterminer si le groupe Argor-Heraeus, basé à Mendrisio, en Suisse, s’est rendu complice de crime de guerre en raffinant sciemment de l’or pillé dans l’est de la RD Congo. C’est la première fois, depuis la Seconde Guerre mondiale, que la justice helvétique lance une enquête pour des faits liés au pillage – défini comme un crime de guerre par la convention de Genève – contre une entreprise basée dans le pays.
L’enquête ouverte contre le groupe Argor-Heraeus, l’un des cinq plus grands raffineurs d’or au monde, fait suite à une « dénonciation pénale » faite le 1er novembre 2013 par l’ONG Trial (Track Impunity Always).
Selon Trial, Argor-Heraeus SA ne pouvait ignorer l’origine criminelle de cet or
La dénonciation de l’ONG, basée à Genève, fait suite à une enquête de près de neuf ans menée par l’activiste Kathi Lynn Austin, ancienne membre du groupe d’experts de l’ONU sur la RDC [UNGE], et responsable de l’ONG Conflict Awareness Project. Selon les informations recoltées par cette dernière, Argor-Heraeus aurait raffiné près de trois tonnes d’or fournies par la société Hussar, basée à Jersey (Grande-Bretagne), entre juillet 2004 et juin 2005.
Pillage
Cet or serait issu de l’exploitation de la « concession 40 », située dans la région de l’Ituri, sous contrôle du groupe rebelle congolais, le Front nationaliste intégrationniste (FNI) – dissous en août 2007 – qui aurait « utilisé l’or pillé dans cette région pour financer ses opérations et acheter des armes, en violation de l’embargo des Nations unies », indique un rapport de Conflict Awareness Project de novembre 2013 (PDF – Anglais), rédigé par Kathi Lynn Austin.
Selon ce rapport, une partie de cet or a été vendu en Ouganda par le Dr Kisoni Kambale, un négociant d’or congolais, à une société basée à Kampala en Ouganda, Uganda Commercial Impex (UCI), qui l’aurait ensuite revendu à Hussar avant qu’il ne soit raffiné par Argor-Heraeus.
Coup de tonnerre
Accusé par le Groupe d’experts des Nations unies en février 2006, le groupe Argor-Heraeus a indiqué selon le rapport de Kathi Lynn Austin avoir résilié son contrat avec Hussar en juin 2005. D’ailleurs, aucune entreprise européenne ne figurait sur la liste de sanctions établie par le Conseil de sécurité de l’ONU pour violation de l’embargo sur la RDC.
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Selon un communiqué publié le 4 novembre, Argor-Heraeus, qui dit avoir reçu l’annonce de cette enquête comme « un coup de tonnerre jailli de nulle part », indique rejeter « fermement ces accusations pour des faits dont elle avait déjà été blanchie dans le cadre d’enquêtes approfondies menées par l’ONU, le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) et l’Autorité de surveillance des marchés financiers (FINMA) ».
« Blanchiment aggravé »
Dans un communiqué mis en ligne par Trial, l’ONG affirme pourtant : « Argor-Heraeus SA ne pouvait ignorer l’origine criminelle de cet or. Ainsi, en raffinant près de 3 tonnes d’or pillé en RDC en moins d’un an, elle pourrait s’être rendue coupable de blanchiment d’argent aggravé ». Dans le même communiqué, Bénédict de Moerloose, avocat de l’ONG en charge de l’affaire, indique : « Si Argor-Heraeus SA est à l’époque parvenue à éviter les sanctions de l’ONU concernant l’embargo, cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’a pas violé le droit pénal suisse ».
Dans son rapport de novembre 2013, Kathi Lynn Austin rappelle « qu’avant de publier leurs rapports, le UNGE a contacté ces entreprises au sujet de leurs rôles respectifs ». Selon elle, ni UCI, ni Hussar ni Argor-Heraeus n’ont nié, à l’époque, l’origine congolaise de l’or en question. L’entreprise de raffinage d’or sud-africaine Rand Refinery – à laquelle Hussar avait précédemment recours – a rompu ses relations avec Hussar dès l’été 2004, en raison notamment d’une nouvelle procédure de due diligence introduite pour éviter, entre autres, l’utilisation de l’or de la RD Congo.
Contacté par Jeune Afrique, Bénédict de Moerloose confirme que « des démarches sont actuellement menées avec nos partenaires Open Society Justice Initiative et Conflict Awarness Project, pour poursuivre le volet britannique de l’affaire, notamment en ce qui concerne le rôle joué par Hussar. »
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