Public-privé : comment doper la Zlecaf et les échanges commerciaux africains ?

La Zone de libre-échange continentale africaine, qui vise à créer un marché unique de 1,7 milliard de personnes d’ici à 2030, reste trop peu connue des entrepreneurs africains. Nicole Sulu, fondatrice du Business Forum Makutano, propose des pistes pour y remédier.

À la frontière entre le Kenya et la Tanzanie, en mai 2020. © REUTERS/Thomas Mukoya

À la frontière entre le Kenya et la Tanzanie, en mai 2020. © REUTERS/Thomas Mukoya

Nicole Sulu
  • Nicole Sulu

    Fondatrice du Business Forum Makutano et du Réseau d’affaires Makutano

Publié le 4 novembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Entre 2015 et 2022, la part du commerce intra-africain  est passée de 14,6% à 13,1%, selon la Banque africaine de développement (BAD). Cette baisse est inquiétante, en particulier au moment où se met en place la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Si l’on y ajoute la baisse du nombre de pays dotés d’une politique ouverte d’octroi de visas – passé de 13 à 9 au cours de la même période –, la situation devient franchement alarmante.

Approche collaborative

Ces indicateurs majeurs, qui sont dans le rouge, nous intiment de changer profondément la manière dont nous concevons et dont nous mettons en œuvre les initiatives qui visent à faire croître le commerce continental, fondamental pour le développement durable et inclusif, pour la création d’emplois décents et  pour l’intégration de l’Afrique dans les chaînes de valeur mondiales.

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En associant davantage les bénéficiaires que sont les entreprises à l’élaboration, à la mise en œuvre, et, surtout, à la promotion de ces initiatives, nous pouvons inverser la tendance. Des réseaux tels que Makutano, à travers ses multiples actions fédératrices – comme son Business Forum –, et les groupements patronaux, sont prêts à apporter leur pierre à l’édifice. Les États comme les institutions panafricaines gagneraient à nous faire contribuer à cette dynamique, de manière collaborative et participative. La Zlecaf et le commerce intra-africain deviendraient ainsi des enjeux prépondérants pour les dirigeants d’entreprises africaines.

Établie en 2018 par les chefs d’État et entrée en vigueur le 1er janvier 2021, la Zlecaf a pour objectif de créer un marché unique africain de 1,7 milliard de personnes d’ici à 2030, parmi lesquelles 600 millions feront partie de la classe moyenne. L’ambition des gouvernements africains est que le commerce intra-africain représente 26% du volume total de leurs opérations commerciales d’ici à 2040.

Les bénéfices sont tout aussi évidents pour le secteur privé. Grâce à la suppression des barrières douanières, les entreprises auront accès à un marché unique de 3 400 milliards de dollars, susceptible, selon le Centre du commerce international, d’attirer 4 000 milliards d’investissements. Ce changement d’échelle pourra transformer les entreprises africaines en leaders de l’économie globale.

Le marché continental, quant à lui, se caractérisera par la libre circulation des biens et des services, facilitée par la circulation des personnes ainsi que par un cadre légal commun assurant une homogénéité, une stabilité et une transparence, notamment en matière de procédures douanières. À ce jour, 46 pays se sont déjà engagés à supprimer les droits de douane sur 90% des marchandises d’ici à 2030, puis sur 7 % supplémentaires d’ici à 2035. Huit pays (le Cameroun, l’Égypte, le Ghana, le Kenya, Maurice, le Rwanda, la Tanzanie et la Tunisie) ont déjà soumis leur liste de concessions, ce qui signifie que leurs entreprises peuvent déjà échanger dans le cadre des protocoles de la Zlecaf.

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La Zlecaf, une si faible notoriété

Pour parvenir à cette étape essentielle, qui démontre que la zone de libre échange est fonctionnelle, les autorités panafricaines ont dû surmonter de nombreux obstacles, comme la prolongation des négociations entre États sur l’élimination de barrières tarifaires et non-tarifaires, les problèmes administratifs et les chevauchements avec des unions douanières existantes. Pendant que ces éléments techniques étaient – à juste titre – traités, les entreprises, elles, ont été laissées pour compte. Résultat : la Zlecaf jouit d’une faible notoriété auprès de celles qui doivent en faire usage. Un récent sondage a ainsi montré que 60% des entrepreneurs nigérians ignoraient son existence.

La tâche à laquelle s’attèlent les gouvernements africains et les institutions panafricaines est titanesque. Les éléments à prendre en compte sont nombreux et complexes. Difficile de trancher sur ce qui prime, entre les besoins financiers, la réalisation d’infrastructures essentielles au commerce transnational ou l’impérative  homogénéisation réglementaire. Tout est important, tout semble urgent. Une certitude demeure, cependant. Seuls, les pouvoirs publics ne parviendront pas à atteindre des objectifs aussi ambitieux. Ils y arriveront encore moins en suivant le schéma habituel qui, bien qu’il prévoie des phases de concertation, reste vertical et descendant. Nos approches doivent être innovantes et audacieuses si nous voulons parvenir aux résultats tant attendus et ce, dans les délais impartis.

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Sortir 50 millions de personnes de l’extrême pauvreté

Pour cela, il serait particulièrement judicieux de s’appuyer sur les acteurs qui jouissent de la confiance des entreprises africaines et qui les fédèrent, de la très petite entreprise à la multinationale. Tout d’abord parce que les chefs d’entreprise savent mieux que quiconque quels sont les freins au commerce intra-africain : ils en subissent les contraintes au quotidien. Ils peuvent donc être force de proposition.

Ensuite, les réseaux d’affaires ont prouvé leur efficacité en créant des espaces de dialogue fructueux entre le secteur public et le secteur privé. Ils sont également porteurs de solutions, qui mobilisent et font coopérer les acteurs transnationaux. En réunissant les responsables publics ainsi que les dirigeants privés panafricains, les 20 et 21 septembre 2023, le Forum Makutano a contribué à cette opération de sensibilisation, qui vise à rendre la Zlecaf pleinement fonctionnelle et à libérer, enfin, un potentiel d’exportation africain inexploité de 21,9 milliards de dollars.

En parvenant à renforcer les échanges intracontinentaux en collaboration avec les acteurs de terrain, les pouvoirs publics parviendront à faire croître les revenus des pays africains de 9%, à créer 18 millions d’emplois, et, plus important encore, à sortir 50 millions de personnes de l’extrême pauvreté d’ici à 2035. Les Africains attendent cette collaboration depuis trop longtemps, ne perdons plus de temps !

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