À Tunis, fin de cavale pour les cinq terroristes
Les cinq évadés du 31 octobre ont tous été repris en moins d’une semaine. Mais les questions concernant les complicités qui ont rendu leur courte cavale possible restent, pour l’heure, sans réponses, même si plusieurs agents de l’administration pénitentiaire ont été placés en garde à vue.
Retour à la case prison pour les cinq évadés de la prison de la Mornaguia (Grand Tunis). Leur cavale n’aura duré que cinq jours. Un communiqué du ministère de l’Intérieur annonce que quatre d’entre eux ont été arrêtés par l’unité spéciale de la Garde nationale à l’aube du 7 novembre alors qu’ils se cachaient sur le Boukornine, ce mont biscornu emblématique de la silhouette du golfe de Tunis. L’affaire aurait pu être un fait divers banal, s’il ne s’était agi de cinq terroristes parmi les plus dangereux du pays. Et qu’ils s’étaient échappés de la prison la plus surveillée de Tunisie dans des circonstances aussi étranges et rocambolesques que celles de leur cavale.
Les cinq hommes – Ahmed Melki (alias Al-Somali, le Somalien), Nader Ghanmi, Alaeddine Ghazouani, Ameur Belazi et Raed Touati – sont tous en lien soit avec Ansar al-Charia, qui a prêté allégeance à Al-Qaïda, soit avec Jund al-Khilafah, affilié à Daech. Ils ont été jugés pour terrorisme et lourdement condamnés pour leur implications dans des assassinats, notamment ceux des leaders de gauche : Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, et des attentats contre les forces de l’ordre entre 2013 et 2015 .
À l’étonnement suscité, le 31 octobre, par l’annonce de leur évasion, a succédé l’inquiétude : on les signalait un peu partout tandis que des experts assuraient qu’ils avaient sûrement franchi la frontière libyenne, certains indiquant même qu’ils se trouvaient à Derna. Les faits ont montré qu’ils étaient en fait restés dans le Grand Tunis, où ils avaient pu circuler sans encombre malgré les contrôles, et qu’ils avaient besoin d’argent.
Al-Somali a été repris dès le 5 novembre : il a été reconnu puis ceinturé par des citoyens alors qu’il se tenait tranquillement, dimanche matin, près d’une boulangerie dans le quartier populaire d’Ettadhamen, au nord de Tunis. Son survêtement l’a trahi. C’est d’ailleurs le même que portait un homme filmé lors d’un braquage d’une banque perpétré le 3 novembre à Boumhel, zone résidentielle au pied du Boukornine. La Garde nationale avait alors rapidement donné l’alerte : parmi les cinq cambrioleurs, qui avaient emporté 20 000 dinars (moins de 6 000 euros), des indices concordants indiquaient la présence de deux des évadés de la Mornaguia. Il est étonnant qu’Al-Somali n’ait pas fait preuve de plus de vigilance et se soit exposé un dimanche matin dans le quartier le plus densément peuplé du pays. « À moins qu’il n’ait voulu se faire attraper : il n’a pas opposé de résistance et n’était pas armé », rapporte un témoin.
Un quartier familier
Beaucoup se sont étonnés que les évadés soient restés sur Tunis et aient eu besoin d’argent. Ils ont aussi trouvé étrange qu’ils n’aient pas assuré financièrement leurs arrières et n’aient pas fui le plus loin possible, dès lors que leurs photographies avaient été largement diffusées. D’autres se sont souvenus que cette zone au sud de Tunis a été aussi l’un des fiefs d’Ansar Al-Charia, et que le Boukornine a souvent été utilisé comme maquis notamment lors de l’affaire de Soliman, en 2005 – un coup de filet qui s’était soldé par l’arrestation de trente jihadistes prêts à mener des opérations dans le Grand Tunis. Le précédent est là : ces hommes ont des repères dans cette banlieue.
Les esprits chagrins qui fustigeaient l’absence de communication du ministère de l’Intérieur et augmentaient la tension en se perdant en spéculations en sont en tout cas pour leurs frais. « Les sécuritaires ont choisi de ne rien révéler pour ne pas créer de panique dans la capitale, ils étaient vraisemblablement sur la piste des terroristes et savaient qu’ils étaient dans la banlieue sud de Tunis », confie un ancien des services. En témoigneraient les contrôles accrus notamment observés sur les grands axes autour de Tunis depuis le 4 novembre.
Il est pratiquement certain que la bande des cinq finira par parler, mais pour le moment de nombreuses interrogations persistent sur leur évasion. Le premier à avoir levé le voile sur l’organisation de cette fuite rocambolesque a été le président de la République Kaïs Saïed. Il a immédiatement affirmé : « On les a fait fuir », dénonçant une mystérieuse « complicité sioniste » et faisant allusion à une mesure de rétorsion suite à sa position sur le conflit entre le Hamas et Israël.
Mais cette opération, visiblement organisée de longue date, n’a sans doute pas de rapport avec l’actualité au Moyen-Orient. Le président Saïed a également qualifié les photos montrant une fenêtre aux barreaux sciés et une corde attachée à la fenêtre d’un des miradors de la Mornaguia de « mise en scène ». Effectivement, ces photos, dont on ne sait qui les a prises et de la manière elles l’ont été puisque les prises de vue sont interdites dans les enceintes carcérales en Tunisie, intriguent mais semblent surtout viser à brouiller les pistes.
Huit agents en garde à vue
De quoi soulever de nombreux questionnements, d’autant que la prison de la Mornaguia, réputée pour son système de surveillance, répond aux plus strictes normes de sécurité. Car celles-ci n’ont pas empêché ces hommes, qui n’étaient pas dans la même cellule et ne se croisaient pas durant les différentes activités, de s’évader ensemble le 31 octobre au petit matin. Auraient-ils été réunis à faveur de la prière de l’aube ? Est-il même possible qu’ils aient pu franchir seul les différents sas les conduisant vers l’extérieur. Et comment se fait-il qu’une fois arrivés là, à découvert dans l’immense no mans’ land entourant la prison, ils n’aient pu être appréhendés ? La mise en garde à vue de huit cadres et agents du système pénitentiaire, dont le directeur actuel de la prison qui a été nommé il y a moins de deux mois, semble confirmer des complicités intérieures.
Il reste étonnant qu’une telle opération, montée avec autant de soins, ait finalement échoué. « On dirait que les terroristes ont été lâchés dans la nature. Soit le programme initial a tourné court et n’a pas trouvé de relais, soit les évadés attendaient un signal pour entrer en action sur Tunis, soit il s’agissait d’une semonce du commanditaire pour montrer qu’il était possible de faire sortir des condamnés et menacer la sécurité publique », déclare un expert en matière sécuritaire.
En ce 7 novembre, date anniversaire du coup d’État médical qui a écarté Habib Bourguiba du pouvoir en 1987, quelques certitudes se font jour. Les sécuritaires ont accompli leur mission et rassuré la population. Et une purge dans les rangs des ministères de la Justice, dont dépendent les centres pénitentaires, et de l’Intérieur, est à prévoir. Quant aux questions que ces événements ont soulevées s’agissant de sécurité nationale, elles attendent des réponses qui ne seront sans doute jamais rendues publiques.
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