Yahya Sinwar, leader du Hamas : l’art de la manipulation
Chef du Hamas dans la bande de Gaza depuis 2017, Yahya Sinwar est le cerveau des attaques du 7 octobre. Cet homme charismatique et cruel est parvenu à duper les renseignements israéliens pendant des années. Portrait.
Pour Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, Yahya Sinwar, est « un mort ambulant ». Mais, selon le Financial Times, le leader du Hamas dans la bande de Gaza est une figure « populaire » et une « légende vivante » aux yeux de nombreux Palestiniens. Et ce, même si les plus modérés considèrent qu’il a ramené son peuple à « l’âge de pierre » et que certains l’appellent « le boucher de Khan Younès ».
Un surnom dont cet homme, né en 1962 dans le camp de réfugiés de Khan Younès (situé dans le sud de Gaza), a hérité au milieu des années 1980. Il avait alors déjà mis sur pied la branche militaire du Hamas, fondé et dirigé Majd – un redoutable appareil de sécurité intérieure, considéré comme la police du Hamas, et chargé (entre autres) d’éliminer ceux qui collaborent avec l’État israélien.
C’est d’ailleurs ce qui vaudra à Yahya Sinwar d’être arrêté par le Shin Bet – les services de renseignement intérieur israéliens – en 1989. Accusé d’avoir assassiné douze « collaborateurs » palestiniens, il est finalement reconnu coupable de quatre meurtres et condamné à trente années de réclusion criminelle en Israël. À Micha Kobi, agent du Shin Bet, Yahya Sinwar confiera, au cours d’un interrogatoire, avoir contraint un membre du Hamas à « enterrer vivant son frère ».
Le « général » du Hamas qui parlait l’hébreu
Décrit comme « cruel, autoritaire, féroce et violent », Yahya Sinwar est également charismatique, « capable d’exalter les foules », extrêmement rusé et doté d’une endurance exceptionnelle. Il est, en outre, un manipulateur hors pair. Il a profité de son long séjour en prison pour apprendre l’hébreu et lire tous les ouvrages consacrés aux plus grandes figures d’Israël : Vladimir Jabotinsky, Menahem Begin, Yitzhak Rabin.
« Il a tout appris sur nous, de A à Z », explique Micha Kobi au Financial Times. En 2004, interviewé par la télévision israélienne, Yahya Sinwar choisit de s’exprimer dans un hébreu parfait et exhorte l’opinion à opter pour la « trêve » (houdna) plutôt que pour la guerre. Il va jusqu’à déclarer : « Nous savons qu’Israël possède deux cents ogives nucléaires ainsi que l’armée de l’air la plus sophistiquée de la région. Nous savons que nous n’avons pas la capacité de démanteler [l’État d’] Israël ».
La même année, des médecins israéliens l’opèrent d’une tumeur au cerveau, le sauvant d’une mort certaine. En prison, Yahya Sinwar devient le leader de tous les membres du Hamas emprisonnés en Israël, et on l’appelle « le Général ». En 2011, au bout de vingt-deux années de détention, il fait partie des mille prisonniers que l’État hébreu relâche en échange du soldat Gilad Shalit, capturé par le Hamas en 2006.
En 2017, celui qui avait commencé sa carrière au sein du Hamas en étant l’un des conseillers de Cheikh Ahmed Yassine (fondateur du mouvement islamiste), est élu à la tête de son bureau politique. Succédant à Ismaïl Haniyeh, il dirige de facto la bande de Gaza. Sous son autorité, le Hamas « calibre son recours à la force » (manifestations aux frontières avec Israël, ballons incendiaires et tirs de roquette), afin d’inciter l’État hébreu à poursuivre les négociations indirectes en utilisant le canal de l’Égypte, du Qatar et des Nations unies.
Ultime tromperie
En 2018, il déclare néanmoins, au cours d’une interview accordée au journal israélien Yediot Aharonot, que « la guerre ne sert à rien ». Mais lors de la « vague terroriste » de 2022 qui frappe Israël, et un an après avoir été réélu pour un mandat de quatre ans, Sinwar lance à ses administrés : « Que chacun prépare chez lui son fusil ! Et, s’il n’en a pas, sa hache ou son couteau ! »
Vu d’Israël, « le Général » est considéré comme un « extrémiste dangereux, qui ne sera jamais docile ». Pour autant, les services de renseignement estiment que Sinwar est plus occupé à renforcer le pouvoir du Hamas à Gaza et à obtenir des concessions économiques (soutien financier qatari, permis de travail israéliens…) qu’à échafauder des plans pour détruire l’État juif.
Grossière erreur d’appréciation ? Assurément. À partir de 2023, Sinwar a « complètement disparu ». Un responsable palestinien, habitué à se rendre régulièrement dans la bande de Gaza afin de négocier un « pacte national » avec le Hamas, ne parvient plus à le rencontrer. Ce qui aurait dû être un signal alarmant n’a pas été pris en compte par Israël, qui demeure persuadé que Yahya Sinwar est intéressé par un accord plus large avec les Israéliens.
Jusqu’aux attaques du Hamas du 7 octobre dernier, qui ont fait 1 400 morts du côté israélien. Une opération dont les préparatifs auraient duré au moins un an… Yahya Sinwar a donc réussi à duper les services de renseignement et le gouvernement israéliens. Son mobile reste une énigme. En attendant, la riposte israélienne à ces attaques a déjà fait plus de 10 000 morts parmi les civils palestiniens, selon le Hamas. Quant à Sinwar, « il ne se rendra pas, et mourra à Gaza », estime Micha Kobi.
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