Guerre Israël-Hamas : Marwan Barghouti peut-il être un recours ?

Emprisonné depuis vingt ans pour des attentats qu’il n’a jamais reconnus, intransigeant mais favorable à des négociations avec Israël, le leader palestinien reste un symbole d’espoir pour ses compatriotes. Mais Tel-Aviv ne semble guère pressé de le libérer.

Le leader du Fatah Marwan Barghouti, devant le tribunal de Jérusalem, le 25 janvier 2012. © Bernat Armangue/AP/SIPA

Le leader du Fatah Marwan Barghouti, devant le tribunal de Jérusalem, le 25 janvier 2012. © Bernat Armangue/AP/SIPA

Publié le 10 novembre 2023 Lecture : 6 minutes.

Le conflit entre Hamas et Israël est devenu, depuis le 7 octobre 2023, une guerre impitoyable qui s’installe dans la durée et semble sans issue pacifique. Mais dans tous les esprits se pose, sans être réellement formulée, la question de l’après. D’autant que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, très critiqué par ses propres concitoyens, assure qu’Israël contrôlera alors la sécurité de la bande de Gaza. Une manière de signifier que les Palestiniens n’auront plus leur mot à dire sur la gestion de leur territoire, avec le risque d’une annexion progressive via l’installation de colons comme cela a été le cas en Cisjordanie. Une option qui annonce de nouvelles violences plutôt que la paix.

Mahmoud Abbas a bien fait part au secrétaire d’État américain, Antony Blinken, de la volonté de l’Autorité palestinienne de gérer la bande de Gaza en lieu et place du Hamas. Évidemment, ce serait sans lui : le président de l’Autorité a aujourd’hui 87 ans, les évènements le poussent à passer la main. Le plus populaire de ses potentiels successeurs est un homme condamné à cinq peines à perpétuité pour le meurtre de cinq personnes et pour soutien au terrorisme. Des crimes dont Marwan Barghouti (64 ans) n’a cessé de se dire innocent depuis son procès, en 2002.

la suite après cette publicité

Natif des environs de Ramallah, ce fils d’immigré libanais est né au moment de l’ébullition des indépendances au Proche-Orient et de l’émergence d’un nationalisme panarabe porté par d’influents leaders, dont Gamal Abdel Nasser et un certain Yasser Arafat. Le vieux lion, dont Barghouti sera le bras droit et l’intime jusqu’à la rupture, ouvrira la voie à une jeune génération qui intégrera le Fatah (« conquête »en arabe), mouvement de libération nationale palestinien, qui porte le projet politique d’une Palestine démocratique et laïque. À 15 ans à peine, Marwan fonde le mouvement des jeunes du Fatah et montre des dispositions à être chef, alors que l’organisation appelle ses fédayins à « libérer tout le territoire palestinien de l’entité sioniste ».

À 18 ans, il est en prison pour son engagement et son appartenance à une organisation terroriste, selon ses juges israéliens. Une étape marquante durant laquelle Marwan forge sa détermination, et boucle son cycle d’enseignement secondaire. Il apprend l’hébreu et se forge une patience à toute épreuve. L’activisme sera le fil conducteur de la vie de ce diplômé de sciences politiques et de relations internationales, qui n’a pas eu le loisir d’enseigner puisqu’il se dédiera à la cause palestinienne, mais aussi à la famille que lui donne Fadwa, celle qui a eu la patience d’attendre qu’il purge ses cinq ans de prison. Elle sera sa femme, sa compagne de lutte, la mère de ses enfants et son avocate : un pilier indéfectible.

Expulsé en Jordanie

Responsable syndical étudiant à l’université de Bir-Zeit, il est arrêté, à la veille du premier soulèvement populaire connu sous l’appellation d’Intifada, dont il est l’un des instigateurs, puis expulsé vers la Jordanie. Ce sera finalement tout bénéfice pour l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui regroupe différentes formations dont le Fatah, qu’il rejoint à Tunis. Barghouti sera la cheville ouvrière du rapprochement entre l’OLP en exil et le Fatah en Palestine, mais aussi celui qui mettra à disposition de l’organisation un retour d’expérience sur les pratiques et les méthodes israéliennes. À 30 ans, Marwan siège au Conseil révolutionnaire du Fatah.

Résolument favorable aux négociations de paix, il revient en Palestine à l’occasion des négociations des accords d’Oslo, en 1994. Responsable du Fatah pour la Cisjordanie, il est alors élu député de Ramallah. Dès lors, il se taille une envergure et une popularité politique croissante, portée par sa vision pour la Palestine. Il engage une lutte contre la corruption qui mine son parti, ce qui participe à alimenter ses désaccords avec Yasser Arafat. Il promeut aussi, au sein du Conseil législatif palestinien, la justice économique et sociale, les droits humains et l’égalité entre hommes et femmes.

la suite après cette publicité

Ce combat mené en interne ne l’empêche pas de poursuivre ses démarches pour la paix auprès de députés israéliens. Il sera l’une des figures de l’initiative que l’on désigne par l’expression « paix négociée ». Mais Marwan Barghouti est sans concession : Israël, de son côté, doit respecter les accords et mettre fin à l’extension de ses colonies. Les négociations autour de l’application des accords d’Oslo s’enlisent et les Palestiniens se soulèvent de nouveau. Ce sera la deuxième Intifada, dont Marwan sera le leader. Avec cette nouvelle guerre des pierres, les Palestiniens protestent contre l’occupation militaire et la confiscation de leurs terres. Un contexte sensible, qui voit Barghouti condamner les agressions de civils dans le territoire israélien.

Malgré cette position affirmée, Marwan est arrêté à Ramallah en 2001 lors de l’opération « Rempart », et transféré en Israël. Une action contraire aux accords d’Oslo II qui attribuent à l’Autorité palestinienne une compétence exclusive sur Ramallah et qui, en visant un dirigeant et un élu, est assimilable à un crime de guerre. Mauvaise décision pour Israël : elle a fait du populaire homme politique le héros d’un peuple qui, au fil des années, deviendra une légende.

la suite après cette publicité

Cinq peines à perpétuité

Rien ne sera épargné à Marwan Barghouti durant quatre mois d’interrogatoire. Privation de sommeil, tortures, mais aussi menaces : ses tortionnaires lui racontent comment ils comptent kidnapper l’un de ses fils, l’équiper d’une ceinture explosive et le lâcher dans une foule. Le Shin Beth, le contre-espionnage israélien, assurera que Barghouti aurait avoué des transferts de fonds à des groupes terroristes, ainsi que la fourniture d’armes et la décision d’assassiner des civils israéliens. Bargouthi fait de son procès, en 2004, une tribune pour sa cause politique. Mais il a beau clamer son innocence, il est condamné à cinq peines de réclusion à perpétuité pour cinq meurtres liés à des attentats, et à quarante ans de prison pour tentative de meurtre.

Dans la prison de haute sécurité où il est enfermé, Barghouti continue à être considéré comme un danger par Israël. Non pas pour les faits qui lui sont reprochés et qu’il aurait prétendument avoués, mais pour sa capacité à fédérer un peuple palestinien en quête d’élan national, et son aptitude à porter un réel projet global pour la Palestine à même de contrer l’expansion israélienne. Depuis sa cellule, il parvient même à sensibiliser certains députés de la Knesset à l’hypothèse de sa libération, tandis que son épouse entreprend régulièrement des tournées internationales pour plaider sa cause.

Sa libération est aussi régulièrement demandée par le Hamas, à qui tout l’oppose pourtant. Et Barghouti continue à être actif politiquement depuis sa cellule : avec des anciens du Fatah, il a créé le parti « Liberté » et se présente aux législatives de 2006 avant de lancer, en 2007, une initiative en faveur d’un gouvernement de coalition et d’entamer une médiation entre Fatah et le Hamas. En 2012, toujours déterminé, il lance un appel à la résistance populaire pacifique, pour lequel il sera sanctionné. Cela ne l’empêchera pas de dénoncer, en 2017, les conditions carcérales et d’être solidaire avec ses codétenus lors des grèves de la faim.

Vingt années d’emprisonnement n’y ont finalement rien fait : l’homme plaît, il est proche de son peuple, ne s’est pas retranché dans les coulisses du pouvoir, s’est exposé au prix de sa liberté et est surtout convaincu de la nécessité d’une solution pacifique entre la Palestine et Israël, qu’il appelle « notre futur voisin ». Ce parcours emblématique, cet engagement sans failles font de Barghouti un potentiel candidat à la reprise en main de l’Autorité palestinienne. Ce qui, naturellement, ne serait possible que s’il sortait de prison. Une perspective plus que fragile, tant il reste un prisonnier qui compte pour Israël.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Mosab Hassan Youssef salue le public après le discours qu’il a tenu lors du congrès annuel de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), le 1er mars 2015. © Cliff Owen/AP/SIPA

Mosab Hassan Youssef, petit prince du Hamas devenu espion israélien

De la fumée s’élève de Gaza bombardée, le 17 novembre 2023. © JACK GUEZ / AFP

L’armée israélienne à Al-Shifa, Gaza coupée du monde

Des secouristes palestiniens à Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, après un bombardement israélien, le 7 novembre 2023. © Mahmud HAMS / AFP.

« Cauchemar à Gaza », où Netanyahou refuse tout cessez-le-feu

Contenus partenaires