Au Gabon, les défis et les enjeux d’une transition surprise
Plus de deux mois après sa prestation de serment, le général Brice Clotaire Oligui Nguema a pris ses marques à la tête de l’État. Reste à présent à impliquer davantage l’ensemble de Gabonais dans la gestion des affaires du pays, condition essentielle à l’émergence d’une nouvelle République.
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Éric Topona Mocnga
Journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn.
Publié le 12 novembre 2023 Lecture : 3 minutes.
Il y a moins de trois mois, nul n’aurait imaginé que l’histoire politique du Gabon serait une pièce de théâtre dans laquelle joueraient trois acteurs principaux. Une pièce aussi dans laquelle le moins attendu des acteurs viendrait s’imposer comme le juge de paix.
Cet acteur, c’est l’armée, ou plutôt la Garde républicaine, avec, à sa tête, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, le patron de cette unité militaire d’élite chargée de la protection du président de la République.
Depuis son accession à la magistrature suprême, le président de la Transition et le comité qu’il préside ont initié un train de réformes qui donnent l’impression d’une partition bien écrite.
Train de réformes
C’est d’abord sur le terrain de l’affermissement de l’autorité de l’État que les Gabonais nourrissent les attentes les plus fortes. Durant plus de cinq décennies d’un pouvoir dynastique et patrimonial, l’État gabonais s’est affranchi des principes d’une gouvernance moderne, laissant sur le bord du chemin de nombreux citoyens. Le président de la Transition l’a si bien compris que les premières mesures fortes qu’il a prises concernent la moralisation de la vie publique.
Mais sur ce terrain sensible, il en faudra davantage pour donner aux Gabonais le sentiment d’être tous égaux devant la loi et d’un fonctionnement républicain des institutions. En effet, au lendemain de son entrée en fonction, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), après avoir dissous les institutions régaliennes au soir du 30 août 2023, a nommé par décret les membres des chambres haute et basse du Parlement, suite à la formation du nouveau gouvernement, et s’est attribué, de fait, les pleins pouvoirs.
Certes, comparaison n’est pas raison mais on peut y voir une forme de « despotisme éclairé », comme on en a connu dans l’Allemagne de Bismarck et dans certaines monarchies de l’Europe des Lumières ou dans le Japon de l’ère Meiji, en raison du fonctionnement défectueux des institutions sous les précédents régimes.
Test de crédibilité
Néanmoins, il reste une échéance décisive : c’est le grand Dialogue national annoncé pour le premier semestre de l’année 2024. Si, d’ores et déjà, Raymond Ndong Sima, le Premier ministre de la Transition, a lancé des appels à contributions à l’adresse de tous les Gabonais, à l’image des cahiers de doléances consécutifs à la Révolution française de 1789, il n’en demeure pas moins que le Gabon a connu par le passé des concertations suivies de résolutions volontaristes. Qu’il s’agisse des « Accords de Paris » sous Omar Bongo Ondimba, suite aux graves secousses sociopolitiques qui ont fait vaciller son pouvoir en 1992, ou des dialogues nationaux d’Ali Bongo Ondimba, de 2007 et 2023, les consensus obtenus et les gouvernements d’union qui les ont suivis n’ont guère apporté de changements véritables dans le quotidien de nombreux Gabonais et dans la gouvernance locale.
Le test de crédibilité majeur pour le CTRI ne sera pas seulement de « restaurer » des institutions qui, en réalité, n’ont jamais fonctionné selon les canons d’une République depuis l’accession du Gabon à l’indépendance. Il s’agira surtout d’en instaurer de nouvelles, à partir du nouveau contrat social issu des prochaines assises nationales.
Démocratie participative
L’un des enjeux majeurs des prochains mois sera l’instauration d’une démocratie participative. À l’inverse de nombreux États africains, le Gabon jouit de ce privilège naturel d’avoir une assiette démographique très réduite. La naissance d’une nouvelle république devrait être l’occasion d’impliquer davantage les Gabonais de la diaspora dans la gestion des affaires du pays, diaspora au sein de laquelle existent des ressources humaines de grande qualité. À cet égard, la composition du gouvernement de transition laisse apparaître des signaux encourageants. Cette nouvelle donne est également perceptible au sein de la société civile, à l’instar du Conseil national de la société civile, qui vient de se réunir à Libreville, ou de la Convention de la diaspora gabonaise. Toutefois, au-delà des gages d’inclusion du CTRI, les organisations les plus représentatives devraient construire des passerelles, structurer leur gouvernance interne, pour s’affirmer comme des acteurs de progrès avec lesquels le CTRI pourrait bâtir le Gabon nouveau.
Dans cette perspective, les politiques publiques devront réfléchir aux moyens de décongestionner les grands centres urbains, qui étouffent du fait d’une urbanisation anarchique, en investissant l’arrière-pays, dont les immenses ressources naturelles, mises en valeur, contribueraient de manière substantielle à la prospérité nationale. La mise en musique de toutes ces réformes sera une œuvre de longue haleine. Mais le CTRI, fort du choc de confiance suscité dans le pays et de sa volonté affichée de rassembler les Gabonais, a l’opportunité inédite d’écrire cette nouvelle page de l’histoire de ce pays.
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