Protection quasi-militaire pour les éléphants tchadiens
Pour tenter de sauver les derniers éléphants du Tchad décimés par des bandes organisées de trafiquants d’ivoire venues du Soudan voisin, les défenseurs de l’environnement se sont résolus à adopter des méthodes paramilitaires, alliant réseaux de renseignements et techniques de combat modernes.
C’est au parc national de Zakouma que la guerre aux braconniers à été déclarée. Même si elle bénéficie depuis 1989 du soutien de l’Union européenne, cette vaste réserve de 3.000 km2 au sud du pays a perdu 90% de ses éléphants ces dernières années. De 4.300 animaux recensés en 2002, il n’y en avait plus qu’environ 450 dix ans plus tard. On les abattait devant les fenêtres des administrateurs du parc…
L’ONG sud-africaine African Parks a commencé à organiser la défense quand elle a pris en charge la gestion de Zakouma au début 2011. La première mesure a été d’assurer une présence permanente, car le parc était abandonné pendant la saison des pluies –l’été– quand il est isolé, en grande partie sous les eaux… au moment où les éléphants s’éloignent, et sont davantage vulnérables.
L’ONG a construit des pistes d’atterrissage utilisables par tous les temps et rationalisé son système de surveillance, en déployant notamment des gardes à l’extérieur pendant les crues, et en suivant les pachydermes par satellite. L’hémorragie s’est arrêtée, puisque Zakouma n’a perdu "que" 13 éléphants ces deux dernières années. Et les animaux, qui étaient fort stressés, ont recommencé à se reproduire.
Mais cette reprise en main ne s’est pas faite sans heurts : six gardes de Zakouma ont été abattus un matin de septembre 2012, quelques jours après un raid sur un campement de braconniers au nord-est du parc. "L’impact a été énorme sur nos opérations et sur le moral des gardes. Nous avons été choqués que des gardes qui étaient juste là-bas pour protéger des éléphants aient pu être massacrés comme ça", raconte Rian Labuschagne, le directeur du parc.
Des braconniers venus du Soudan
Les informations recueillies alors ont confirmé ce que les défenseurs de l’environnement savaient déjà : basés au Soudan, les braconniers sont puissamment armés, bien organisés, et ont une bonne connaissance de la brousse. Plusieurs d’entre eux sont des Janjawids, miliciens qui se sont fait connaître pour leurs exactions au Darfour, une région de l’ouest du Soudan en proie à une sanglante guerre civile depuis dix ans où ils exécutaient les basses oeuvres du régime de Khartoum.
"Maintenant qu’ils n’ont plus de soutien du gouvernement soudanais, tous ces groupes sont toujours là, les Janjadwids sont un groupe marginalisé, très frustré. Ils sont impliqués dans le trafic d’ivoire depuis des années. (…) Vous savez, les armes à feu et les munitions sont bon marché et le prix de l’ivoire ne cesse d’augmenter", note M. Labuschagne.
Les soixante gardes de Zakouma sont devenus de vrais petits soldats, quinze d’entre eux formant désormais une force d’intervention rapide. "Les braconniers sont lourdement armés, décidés, motivés. Ils disent dans leurs témoignages qu’ils procèdent de manière militaire et sont décidés à éliminer tout ce qui se trouve devant eux. Il faut militariser la zone", insiste Patrick Duboscq, l’ancien policier français qui les a formés.
Ce déploiement de force s’accompagne d’un renforcement du réseau de renseignements parmi la population. "Même si on triplait le nombre de gardes, physiquement, on ne pourrait aller protéger les éléphants partout où ils vont. Il faut s’appuyer sur de bonnes informations et sur une coopération avec les habitants et les autorités locales" afin de pouvoir "mettre les gars au bon endroit au bon moment", relève le directeur du parc.
"Massacrés sous nos yeux"
"Zakouma, c’est la seule zone protégée", estime Stéphanie Vergniault, une Française qui a fondé l’association SOS Eléphants. "Mais un par un, tous les autres éléphants du Tchad sont en train d’être massacrés sous nos yeux" par les bandes de braconniers qui circulent en toute impunité entre le Soudan, le Cameroun, le Tchad et la Centrafrique, souligne-t-elle. Elle estime qu’ils en reste environ 2.500. D’autres spécialistes interrogés par l’AFP pensent qu’il y en aurait 1.500 au plus.
Mme Vergniault réclame le classement en zone protégée des territoires qu’ils fréquentent, d’autant que certains riverains aimeraient désormais pouvoir se débarrasser de ces animaux stressés par ces massacres, qui sont devenus bien gênants. "Les éléphants du Tchad sont devenus de véritables tueurs. Les rescapés sont traumatisés, et deviennent super agressifs. Il y a des morts!"
A Zakouma, on prône un système de renseignements et la mise en place d’une brigade d’intervention au niveau national. "Le Tchad commence à montrer un désir de faire quelque chose", note Lorna Labuschagne, qui épaule son mari Rian à la direction du parc. En attendant, on s’organise. "Lorsque les braconniers auront fait le tour de la région, ils viendront à Zakouma", prévoit Patrick Duboscq. "Et ça peut être chaud", soupire-t-il, évoquant la perspective d’une attaque en hélicoptère ou une prise d’otage des habitants.
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