Le skateur marocain Nassim Lachhab sous l’œil de Kamal Ourahou
Avec « Better », le jeune réalisateur documente à ras de bitume la trajectoire du premier skateur pro africain et peint le portrait d’une communauté soudée, de Rabat à Barcelone en passant par Perpignan. Tout en heelflips, half-cabs, kickflips et nollie backsides.
Ils ont grandi ensemble, sur la place Mahaj Riad de Rabat, qu’ils appelaient le « white spot ». À l’époque de leur enfance – ils sont tous les deux nés en 1997 – il n’existait pas de skate park au Maroc et ils ont fait leurs armes, comme tant d’autres, avec le mobilier urbain de la capitale. Aujourd’hui, l’un est devenu skateur professionnel, l’autre réalisateur, et leur amitié a débouché sur un film documentaire, Better, consacré à la trajectoire de Nassim Lachhab. « C’était un peu un rêve d’adolescent, confie Kamal Ourahou, qui signe là son premier long métrage. À l’époque déjà, je me disais que si un skateur de cette place réussissait un jour à en vivre, ce serait fou d’utiliser les images du white spot que j’emmagasinais. C’est ainsi que l’arc narratif du film s’est développé, entre notre rencontre et le moment où Nassim est passé pro. »
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Ourahou pratiquait le skate aussi, mais de son propre aveu, il était « moins bon que les autres » et passait une grande partie de son temps à les filmer. Better est donc un long métrage complice, empathique et amical qui, au-delà du portrait de Nassim Lachhab, raconte la vie d’une communauté fraternelle unie autour d’une même passion. « Le white spot, c’était un endroit où se retrouvaient toutes les classes, toutes les structures, toutes les strates de la société marocaine, explique Kamal Ourahou. Le skate, c’était pour tous un moyen de s’évader du quotidien dans un milieu où l’entraide, la persévérance, les encouragements mettaient tout le monde à égalité. Le skate nous donnait une raison de nous lever le matin. Dans beaucoup de films sur la jeunesse marocaine, il y a une approche misérabiliste. Pour ma part, j’ai voulu adopter un angle social, conscient de l’environnement dans lequel nous vivions, mais en montrant une image plus nuancée. »
Fumette, école buissonnière, skate et fraternité
Better se développe autour de la figure de Nassim – visage taillé à la serpe surmonté d’une belle afro – sans en faire un héros. La parole de ceux qui l’ont accompagné et entouré depuis ses débuts sur la planche compte autant que la sienne : parents, amis, sponsors s’expriment avec franchise pour le raconter, tout en distillant parfois malgré eux des informations sur une jeunesse en recherche d’elle-même. Fumette, école buissonnière, inquiétudes des parents qui ne comprennent pas grand-chose à ce sport, lourdeurs des a priori sont évoqués en passant, sans insistance excessive. Cela suffit néanmoins pour comprendre tous les obstacles que Nassim Lachhab a dû surmonter – et continue parfois d’affronter, si l’on pense par exemple aux visas nécessaires pour voyager – afin de parvenir à vivre de sa passion. Insistant sur la pugnacité de son ami, sa capacité à essayer et essayer encore telle ou telle figure, jusqu’à se blesser, Kamal Ourahou construit un long métrage qui se veut « un manifeste pour le skate marocain ».
Énergie positive
« C’est un tout petit milieu au Maroc, tout se sait et il y a une énergie globale positive, dit-il. Il n’y a pas de clans, comme cela peut parfois être le cas en France. C’est vraiment une communauté unie, solidaire, qui veut se tirer vers le haut. Comme le dit Nassim, à un moment dans le film, « On essaye d’être un meilleur skateur et un meilleur être humain ». « C’est vrai que le skate n’a pas toujours bonne presse, ajoute-t-il, cela fait du bruit, on occupe l’espace public, on utilise le mobilier urbain pour un usage différent de celui pour lequel il a été construit, mais c’est surtout une discipline athlétique qui n’a pas pour but la nuisance. La plupart du temps, il n’y a pas de frictions avec les citadins ou la police. »
La trajectoire de Nassim Lachhab l’a conduit à pratiquer sa discipline dans différentes villes : Rabat, bien sûr, mais aussi Perpignan, où il a étudié, Barcelone, Lisbonne. Kamal Ourahou l’y a suivi et sa caméra s’attarde longuement sur ces éléments d’architectures qui racontent, à leur manière, l’époque contemporaine : les barres de béton, les trous dans la chaussée, les vastes escaliers, le règne envahissant de la voiture, la rareté des espaces verts… « Chaque ville apporte une nouvelle énergie, explique le réalisateur. Nassim est plus dans le skate de rue que dans le skate de compétition. C’est un mode de vie différent, qui repose plus sur le feeling au jour le jour. »
Film de potes
Au-delà de la communauté marocaine évoluant autour du white spot de Rabat, Better dépeint une communauté plus vaste, internationale, se nourrissant d’amitiés et de rencontres entre personnes qui ne sont issues ni du même milieu ni de la même culture et se retrouvent néanmoins. Ourahou donne la parole à plusieurs amis de Lachhab, dont on devine qu’ils n’ont pas tout à fait les mêmes trajectoires, comme le Marocain El Mehdi Anys ou les Français Matisse Banc et Vincent Milou, quatrième aux Jeux olympique d’été de Tokyo, en 2020. Better s’intéresse d’ailleurs bien plus à la communauté des skateurs, à leurs entraînements en ville, qu’au monde de la compétition. Plus proche du film de potes que du documentaire informatif, il dépeint en creux les espoirs et les aspirations d’une génération de skateurs. « Avec Better, je voulais aussi montrer qu’au Maroc, il y a une vraie ferveur autour de cette discipline, qui évolue, grandit, fédère, mais manque encore d’accompagnement institutionnel ou privé. Il n’y a pas beaucoup d’aide, peu de soutien et c’est difficile de se faire sponsoriser. »
Gagner sa vie grâce au skate, en Afrique du Nord, seul Lachhab semble y être pour l’heure parvenu, à force de persévérance. « Pour passer pro quand tu fais du skate de rue, il faut avoir une planche à son nom commercialisée pour le grand public, explique Ourahou. Après ce sont les photos dans les magazines en portant des vêtements de marque, les pubs, le marketing, qui permettent de vivre. » Nassim Lachhab, lui, a eu sa première planche sous la marque Blind Skateboards. Installé à Barcelone, il est aujourd’hui sponsorisé par Etnies, Independent Trucks, OJ Wheels et d’autres, visibles sur son compte instagram (qui compte plus de 70 000 abonnés). Quant à Better, le film de son ami d’enfance, il a obtenu le Prix du meilleur long métrage skateboard au Paris Surf & Skateboard Film Festival.
Better sera présenté le 14 novembre 2023 à 21 heures au cinéma Renaissance lors du Festival international du cinéma d’auteur de Rabat et le 25 novembre au VIe Festival Surf & Skate Culture de Guidel (France). Une tournée de projections devrait avoir lieu au Maroc et en Europe en 2024.
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