Sitti Djaouharia, la star comorienne des épices bio
La patronne de Vaniacom est la reine de la vanille aux Comores, deuxième producteur mondial après Madagascar. Elle est aussi l’une des personnalités incontournables du secteur privé à Moroni.
L’œil de Sitti Djaouharia est aussi noir que la vanille qu’elle commercialise à travers le monde depuis plus de vingt ans. Et son esprit aussi vert que les gousses qu’elle achète chaque année auprès des producteurs comoriens. Reconnue pour mille raisons au-delà des frontières de son pays, cette femme d’affaires accomplie continue, à 57 ans, de fourmiller d’idées pour assurer la promotion des principales cultures de rente de l’archipel, tout en veillant au bien-être de ses employés et de leurs familles. Car si pour Sitti, la vanille, c’est d’abord « une histoire d’amour », elle parle autant de la filière dans son ensemble que du produit lui-même.
À l’origine, elle avait pourtant choisi un chemin bien éloigné des vanilleraies qui recouvrent depuis toujours l’archipel. Son père, intellectuel issu de l’aristocratie grande-comorienne, la convainc de marcher dans ses pas. Sitti part en France dans les années 1980. À Aix-en-Provence, elle obtient une maîtrise en lettres modernes, suivie d’un DEA en linguistique. Elle « monte » à Paris dans la foulée pour intégrer l’Institut national des langues et civilisations orientales, qu’elle abandonne en cours de route, comme sa carrière naissante de traductrice, pour rentrer au pays.
Aux Comores, elle commence un nouveau chapitre de sa vie en ouvrant, en 1994, un bureau d’études avec des amis. Désormais consultante, elle découvre les cultures de rente, multiplie les missions pour le compte des Nations unies, de l’Union européenne (UE) et de l’Agence française de développement (AFD). Avant de se laisser séduire par la reine des orchidées. Toute à son coup de foudre, Sitti laisse ses activités de consulting à ses collègues et, comme hypnotisée par les senteurs sucrées de l’épice, fonde Vaniacom en 2002.
Première boutique en 2016
Le même parfum surcharge l’atmosphère du vieil hangar, détenu actuellement par la société en lisière de Moroni. Ce matin-là, dans sa belle robe aux imprimés rouges, vernis rubis sur les ongles et boucles d’or aux oreilles, la patronne prend la pose, entourée de ses trieuses, le plus souvent anjouanaises, avec leur masque de santal sur le visage. Entre 15 et 20 tonnes de gousses luisantes – soit un bon tiers de la production comorienne – passent chaque année entre leurs mains expertes avant de rejoindre le marché international. « Un produit d’une qualité exceptionnelle, réservé aux connaisseurs », résume d’une simple formule Sitti Djaouharia.
Depuis le début de l’aventure Vaniacom, elle a fait le choix de la culture biologique et du commerce équitable afin de valoriser au mieux sa production et de résister ainsi aux variations tarifaires d’un marché très fluctuant d’un exercice à l’autre. Une leçon qu’elle a retenue de ses premières années, lorsque la chute brutale des cours internationaux menaçait d’étouffer sa société, qui croulait sous les dettes.
En 2016, Sitti ouvre à Moroni sa première boutique, Le Comptoir des épices, inaugurée par le président Azali Assoumani alors tout juste élu. En plus de « sa » vanille, qu’elle vend en gousses dans des tubes à essai en verre pour en assurer la meilleure conservation, elle propose aussi les poivres, le curcuma, le gingembre ou la muscade que Vaniacom commence à produire et à commercialiser cette même année.
Miser sur la transformation
Depuis près de dix ans, Sitti Djaouharia tente, en effet, de diversifier ses productions. Elle s’intéresse notamment de très près à « la fleur des fleurs », l’ylang-ylang, dont l’huile essentielle constitue l’autre richesse naturelle de l’archipel. Mais faute de disposer en local de filières suffisamment organisées et développées, « la vanille représente encore 80 % de nos activités », précise la directrice de Vaniacom, qui collectionne, ces dernières années, les certifications bio en Europe, en Suisse, aux États-Unis ou au Japon, pour mieux singulariser ses gousses à l’international.
Au-delà des impératifs de valorisation et de diversification, la priorité aujourd’hui pour Vaniacom et sa directrice porte sur la transformation, première phase d’une industrialisation attendue par toute la filière comorienne. La société devrait quitter ses locaux fatigués dès 2024 pour s’installer dans des bâtiments tout neufs, installés le long de la route de l’aéroport. Pour un investissement de 1 million d’euros, dont une partie est apportée par l’UE et l’AFD dans le cadre d’un programme gouvernemental de développement des cultures de rente, Vaniacom disposera de sa première usine de traitement. Celle-ci, en produisant des poudres et autres extraits de vanille, « doit permettre d’améliorer encore notre chaîne de valeur », estime Sitti Djaouharia.
Trois quarts d’employées femmes
Non contente de chercher à valoriser au maximum sa production, elle veille également « à améliorer l’aspect social » de son entreprise. En mai 2022, et toujours en présence du président Assoumani, elle dévoile les contours de la première mutuelle de santé créée aux Comores dans le secteur de la vanille. Elle couvre aujourd’hui plus de 700 personnes, entre les 100 employés de Vaniacom, les 200 producteurs partenaires regroupés au sein de l’association Provabe et leurs familles respectives.
Employant des femmes pour les trois quarts de son personnel, Sitti veut également mettre en place un planning familial, alors que sa société prend déjà en charge les quatre premières naissances de ces employées. Elle accorde également des bourses aux enfants de ces dernières qui ont des projets à développer et, chaque année, l’un d’entre eux est tiré au sort pour faire son pèlerinage à La Mecque.
La politique ? « Trop compliqué »
Consciente de son rôle dans la société comorienne, Sitti Djaouharia est également, depuis février 2020, présidente de la Nouvelle organisation patronale des Comores (Nouvelle Opaco). Son objectif : fluidifier les relations entre le secteur privé et l’administration publique. De là à entrer un jour en politique, il n’y a qu’un pas qu’elle se refuse pour l’instant à faire. « Trop compliqué ici pour une femme », tranche celle qui se voit davantage comme « la cheffe d’une meute de gens prêts à rendre service au pays plutôt qu’à eux-mêmes ». Comme Sitti le démontre elle-même depuis plus de trois décennies.
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