Algérie-Espagne : après la crise, place au rabibochage

Plus de 19 mois après le rappel de son ambassadeur à Madrid et le début de la crise, Alger a demandé l’agrément d’un nouveau représentant en Espagne.

Le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, à la tribune des Nations unies. © Cia Pak/UN Photo

Le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, à la tribune des Nations unies. © Cia Pak/UN Photo

FARID-ALILAT_2024

Publié le 10 novembre 2023 Lecture : 5 minutes.

Fin de la brouille et de la crise diplomatique entre l’Algérie et l’Espagne. Dix-neuf mois après le rappel, en mars 2022, de l’ambassadeur Saïd Moussi (désormais en poste à Paris), Alger a introduit fin octobre auprès des autorités espagnoles une demande d’agrément d’un nouvel ambassadeur à Madrid. Ancien ambassadeur en Guinée, Abdelfettah Daghmoum devrait être accrédité dans les prochaines semaines.

« Pas de reprise à un niveau appréciable »

La nomination de ce diplomate, ex-numéro deux à l’ambassade de Madrid, acte ainsi le début de la normalisation des relations entre les deux pays. « À court terme, on ne peut toutefois pas envisager une reprise à un niveau appréciable, tempère un diplomate algérien. Il faut donner du temps au temps afin que les relations reviennent au niveau où elles étaient. »

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Le 19 mars 2022, alors que rien ne présageait un coup de froid, Alger décide de rappeler son diplomate en poste à Madrid depuis avril 2021. Raison de la colère des Algériens ? La décision prise par le gouvernement de Pedro Sánchez de soutenir le plan d’autonomie marocain dans le règlement du conflit avec le Sahara occidental. Dans une lettre adressée quelques jours plus tôt au roi du Maroc, le Premier ministre espagnol affiche le soutien de son pays à ce plan.

« Je reconnais l’importance de la question du Sahara Occidental par le Maroc et les efforts sérieux et crédibles du Maroc, dans le cadre des Nations unies, pour trouver une solution mutuellement acceptable, écrit le chef du gouvernement espagnol au souverain marocain. En ce sens, l’Espagne considère que la proposition marocaine d’autonomie présentée en 2007 est la base la plus sérieuse, crédible et réaliste pour résoudre le différend. »

Casus belli

Rendue publique par le palais royal, cette lettre constitue pour les Algériens un casus belli inacceptable. D’abord, sur la forme. À aucun moment les autorités algériennes n’ont été informées par les Espagnols de l’existence de cette lettre et de son contenu, bien que ces derniers jurent que la missive ne devait en aucun cas être rendue publique. Pire. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, qui a été remercié en mars dernier, a appris son existence non pas par le biais des Espagnols, avec lesquels il entretenait pourtant d’excellentes relations, mais par son entourage.

Le revirement de Madrid sur la question du Sahara occidental est d’autant mal vécue que le 6 mars 2022, douze jours avant la divulgation de cette lettre, Pedro Sánchez et le président Abdelmadjid Tebboune ont eu un échange téléphonique qualifié de très cordial. Au cours de cet entretien, le chef du gouvernement espagnol s’est félicité auprès du chef de l’État algérien de l’excellence des relations entre les deux pays, ainsi que du respect par l’Algérie de ses engagements, notamment liés à la livraison du gaz.

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Aussi, ce revirement de l’Espagne sur la question sahraouie en faveur du Maroc – alors même que sa position aura été celle de la neutralité depuis le depuis du conflit – est vécue à Alger comme un coup de poignard dans le dos, une trahison. «  Cette lettre fait perdre à l’Espagne son rôle historique sur la question sahraouie, juge un ancien ministre algérien. Elle n’est plus le modérateur historique depuis 1975 et l’interlocuteur de toutes les parties, Polisario, Maroc, Algérie et Mauritanie. »

La colère algérienne ne s’est pas limitée au rappel de son ambassadeur. Deux mois et demi plus tard, Alger décide de suspendre le traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération conclu le 8 octobre 2002 avec le royaume d’Espagne. Les échanges commerciaux sont également gelés, alors que l’Espagne est le quatrième client de l’Algérie après la Chine, la France et l’Italie avec près de 3 milliards d’euros d’exportations.

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Une crise aux vastes conséquences

Évidemment, les conséquences de cette crise sont multiples. La coopération entre Alger et Madrid dans la lutte antiterroriste et sur l’immigration clandestine en a pâti, réduisant ainsi les échanges d’informations entre les deux partenaires. Cette crise a également déteint sur la coopération culturelle et les échanges universitaires, notamment en matière de délivrance de bourses aux étudiants et aux chercheurs algériens.

Mais les conséquences les plus notables sont celles qui touchent au secteur économique. C’est peu dire que le commerce extérieur espagnol aura perdu des parts de marché en Algérie. Selon les statistiques du ministère espagnol de l’Industrie, du Commerce et du Tourisme, les exportations de l’Espagne vers l’Algérie sont passés à 1,02 milliard de dollars en 2022 contre 1,888 milliard en 2021. De janvier à mars 2023, ces exportations se sont situées à hauteur de 30,2 millions de dollars, contre 472,9 millions pour la même période en 2022.

Depuis le début de cette crise, les Espagnols n’ont cessé de tenter de renouer le dialogue, attendant qu’Alger accepte de nommer un nouvel ambassadeur. La décision concernant cet éventuel retour sera prise dans le cadre de « clarifications préalables » et « franches » pour reconstruire une « confiance sérieusement abîmée » sur la base de « principes clairs, prévisibles et conformes au droit international », expliquait en avril 2022 le ministère algérien des Affaires étrangères.

Alors que toutes les portes pouvant déboucher à un retour à la normalisation semblaient closes, des liens et des contacts ont été maintenus entre les deux parties via une sorte de diplomatie parallèle. « Nous avons toujours fait en sorte de maintenir des passerelles avec les Espagnols, qu’ils soient en fonction ou en dehors des circuits officiels », admet un diplomate algérien à la retraite.

Alger espérait que la défaite du gouvernement de Pedro Sánchez aux élections de juillet 2023 – et l’avènement d’une nouvelle équipe susceptible de remettre en cause la position espagnole sur la question sahraouie – serait l’occasion de tourner une nouvelle page dans ces relations en crise. Mais entre revirements et alliances politiques au sein de la classe politique espagnole, c’est finalement le même Pedro Sánchez qui a ouvert la voie à un rabibochage avec Alger avec sa déclaration prononcée lors du débat général de la 78e session de l’Assemblée générale (AG) de l’ONU.

Le chef du gouvernement espagnol a ce jour-là mis l’accent sur le soutien de son pays à « une solution politique acceptable par les deux parties, dans le cadre de la charte de l’ONU et des décisions du Conseil de sécurité ». Pas tout à fait un retour à la position qui prévalait avant la lettre de mars 2022, mais un repositionnement suffisamment remarqué pour ouvrir une nouvelle page dans les relations entre Alger et Madrid. Celle-ci débutera le jour où le nouvel ambassadeur prendra le chemin de la rue du General Oráa, siège de l’ambassade d’Algérie à Madrid.

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