Hamas-Israël : de l’urgence d’une « Paix des Braves »

Au 43e jour des confrontations entre Israël et le Hamas, qui ont déjà fait quelque 12 000 morts, l’État hébreu resserre un peu plus l’étau sur Gaza. Pour Skander Ounaies, il est encore temps d’éviter le désastre annoncé, et de contrer la rupture définitive qui se profile entre le monde arabe et l’Occident.

À la frontière entre Israël et la bande de Gaza, les combats font rage entre Tsahal et le Hamas, le 14 novembre 2023. © JACK GUEZ/AFP

À la frontière entre Israël et la bande de Gaza, les combats font rage entre Tsahal et le Hamas, le 14 novembre 2023. © JACK GUEZ/AFP

Skander Ounaies © DR
  • Skander Ounaies

    Professeur à l’université de Carthage. Ancien économiste au Fonds souverain du Koweït (KIA)

Publié le 18 novembre 2023 Lecture : 4 minutes.

L’histoire du Moyen-Orient (le Croissant fertile) a toujours été jalonnée de guerres religieuses (les Croisades du XIe au XIIIe siècle), ou civiles (Liban en 1975, et Syrie en 2011). Ce cycle de tragédies pour tous perdure, hélas, et ce qui se déroule aujourd’hui n’est que l’onde de choc d’une longue série d’erreurs d’appréciation et d’un manque absolu de vision et de sens politique des dirigeants, israéliens en premier lieu. Ces tragédies marquent aussi et surtout l’échec patent de la communauté internationale et de l’ONU en particulier, qui ont cru que la question palestinienne était reléguée au second plan avec les « révolutions arabes » et les « accords d’Abraham ».

Responsabilité américaine

Ainsi, les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité qui stipulent, entre autres, « une paix juste et durable avec retrait des troupes israéliennes et règlement du problème des réfugiés » sont restées lettre morte pour Israël, fort de ses victoires sur le terrain. À aucun moment, la communauté internationale n’a poussé à l’application de ces résolutions, les États-Unis opposant continuellement leur véto à toute action contraignante contre Israël, sauf dans le cas du bombardement du siège de l’OLP à Tunis, le 1er octobre 1985, où ils s’abstiendront, suite à la menace réelle du président Bourguiba de rompre les relations diplomatiques.

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Les États-Unis portent donc une très lourde responsabilité dans l’évolution catastrophique de la situation actuelle, eux qui ont disposé du pouvoir, en janvier 1991, d’empêcher Israël de répondre aux attaques des missiles « Scud » irakiens afin de ne pas disloquer la coalition internationale contre l’Irak, et, également, « dissuadé » l’État hébreu de développer son propre avion de chasse, le « Kfir » (lion en Hébreu), pratiquement l’équivalent du F16 américain. Ce soutien « sans faille » poussera Israël à ne pas poursuivre les « accords d’Oslo », qui débutent en 1993 et seront rejetés par Benyamin Netanyahou, lequel, une fois élu chef du gouvernement d’une coalition de droite et d’extrême droite en mai 1996, se prononcera en faveur de la poursuite de la colonisation dans les « territoires occupés » . Voilà donc le point central de la tragédie pour tous : la  colonisation.

Ainsi, à vouloir ignorer l’histoire du peuple palestinien, à vouloir rendre inaudible les appels de la société civile israélienne tel celui du mouvement « B’Tselem », qui milite activement pour la paix, à vouloir insulter l’avenir en misant sur son invincibilité, Tel-Aviv s’est enfoncé dans le déni et, plus grave encore, dans  l’« aveuglement face au désastre ». Aujourd’hui, le désastre technologique, militaire et surtout politique est là, sous nos yeux. Assurément, c’est une rupture dans l’histoire d’Israël d’abord, et de toute la région ensuite. Chacun le sait désormais, Gaza ne sera plus bientôt qu’un quasi champ de ruines sous les bombes, pleurant ses morts et blessés, sans doute plus nombreux que ceux enregistrés durant toutes les autres « guerres ».  À chaque fois, les gouvernements israéliens successifs ont affirmé avoir détruit les capacités militaires du Hamas. L’attaque du 7 octobre montre qu’il n’en est rien. Cette riposte d’envergure menée par Benyamin Netanyahou et couverte par les États-Unis ne servira à rien. Tant que la cause première de toute ces «  guerres », à savoir la colonisation, n’aura pas été remise en question et arrêté définitivement, il y aura des attaques, meurtrières pour tous.

Imposer une nouvelle voie

Il est plus qu’urgent, maintenant, que les partenaires des belligérants israéliens et palestiniens imposent une nouvelle voie à tous, afin d’éviter une prochaine déflagration dont personne ne peut prédire ni l’ampleur ni la durée. Le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell pourrait être un interlocuteur crédible et efficace pour le faire. De plus, si le réalisme et la vision politique l’emportaient en Israël sur l’idéologie de l’extrême droite, celle-là même qui a assassiné Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995, faire sortir de prison le leader palestinien Marwan Barghouti, arrêté le 15 avril 2002 et condamné à deux peines de prison à vie, serait un acte d’une intelligence tactique remarquable si l’on veut réellement assurer l’avenir des générations futures d’Israël et de la région par la paix. Seul Marwan Barghouti peut fédérer tous les mouvements palestiniens, grâce à une légitimité historique incontestable. C’est la tactique appliquée par Frederik de Klerk, président de l’Afrique du Sud en 1990, avec Nelson Mandela, leader de l’African National Congress (ANC), condamné à la prison à vie.

Ne nous faisons aucune illusion : si le conflit du Proche-Orient n’est pas résolu rapidement par une sorte de « Paix des Braves » acceptable par tous –  avec des compromis et des sacrifices que seuls les modérés des deux camps peuvent consentir -, le clivage entre le monde arabe et le monde occidental sur cette  question – et sur d’autres, par ricochet – ira en se creusant. La perspective de futurs accords entre Israël et d’autres pays arabes ne serait qu’illusion car les sociétés civiles qui ont mené les « révolutions », fussent-elles inachevées, ne comprendraient que l’on revienne à une situation de statut quo. L’impact pourrait même se faire sentir dans des négociations politiques ou économiques entre les deux blocs, et serait catastrophique.

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Israël doit réaliser que son avenir dépend de sa capacité à se remettre en question à tenir compte des contraintes internationales auxquelles il est soumis, comme tous les États du monde. S’ils maintiennent envers et contre tout leur politique de colonisation, les dirigeants israéliens gardent néanmoins à l’esprit cet avertissement de Noam Chomsky dans Pouvoir et Terreur : entretiens après le 11 septembre : « Israël est une base américaine offshore que les Américains laisseraient tomber, avec tout le reste, si cela devait cesser un jour. Mais tant que l’État hébreu est utile à l’expansion de la puissance américaine, il peut faire ce qu’il veut

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