Camelia Jordana et Fianso réunis dans un film sur les victimes de violences policières
Pour réaliser « Avant que les flammes ne s’éteignent », l’ancien journaliste Mehdi Fikri s’est inspiré des tragiques histoires d’Adama Traoré, Lamine Dieng, Ali Ziri, Amine Bentounsi…
Si les affaires de personnes tuées par des policiers sont de plus en plus médiatisées, on connaît peu la vie des familles qui se battent pour que ces faits soient reconnus comme des homicides. L’exploration de cet intime est au cœur d’Avant que les flammes ne s’éteignent de Mehdi Fikri.
La mort de Karim à la suite d’un contrôle de police bouleverse sa famille, en premier lieu Malika, sa sœur, qui avait rompu avec le délinquant multirécidiviste. En plein deuil, elle doit prendre des décisions cruciales pour que le dossier ne sombre pas dans l’oubli. La fenêtre médiatique est celle qui donne son nom au titre : avant que les flammes ne s’éteignent, c’est-à-dire avant que les émeutes qui ont embrasé son quartier ne cessent. Un long combat judiciaire commence, avec de lourdes conséquences sur sa vie de couple…
Chaque membre de la famille El Yadari est placé devant un dilemme personnel qui donne sa force au drame familial. Le casting est porté par les performances de ses acteurs, parmi lesquels s’illustrent les chanteurs et comédiens, Camélia Jordana et Sofiane Zermani, aussi connu sous le pseudo Fianso. Avec ce premier film, l’ancien journaliste Mehdi Fikri offre une existence au combat politique mené par les familles des victimes et leur entourage.
Jeune Afrique : Quel est votre parcours ?
Mehdi Fikri : J’ai fait l’école de journalisme de Lille, puis j’ai travaillé pendant trois ans à la rubrique éco-social du quotidien L’Humanité. J’ai notamment traité les plans sociaux en région après la crise de 2009, ce qui m’a permis de découvrir la France en profondeur. À partir de 2011, j’ai été en charge du dossier police/justice/quartiers populaires et j’ai pu observer l’ensemble des luttes contre les violences policières – médiatisées ou non – qui ont inspiré le film. En parallèle, j’ai toujours eu un désir de cinéma et, en 2018, j’ai finalement rendu ma carte de presse pour devenir scénariste à plein temps. J’ai écrit et réalisé deux courts-métrages, Deux minutes trente et Descente, sélectionné à plusieurs festivals dont la Mostra de Venise et Clermont-Ferrand. J’ai travaillé aussi comme scénariste sur les séries Ourika, Miskina (Amazon Prime) et Hippocrate (Canal +).
Le titre de votre film fait référence à la période pendant laquelle les médias sont à l’écoute des familles de victimes. Vous êtes-vous servi de votre expérience de journaliste ?
Pas seulement. J’ai grandi et j’habite toujours dans le 93, je me nourris de ce que j’ai vécu en tant qu’ado à la fin des années 1990 et en tant que militant politique à partir de la fin des années 2000. Pour écrire le film, je me suis notamment appuyé sur mes contacts avec des comités Vérité et Justice. Quand un jeune meurt, les familles sont rapidement contactées via les réseaux sociaux par des militants, comme cela se passe dans le film. Ces activistes leur expliquent qu’elles n’ont que le temps des émeutes pour créer un « momentum politique ». Ce moment où les journalistes sont là pour couvrir les révoltes, leurs micros tendus vers les familles, c’est le temps où la vérité est encore questionnable. Des stratégies sont mises en place : prendre vite la parole, engager un avocat, ne pas inhumer le corps pour pouvoir demander une contre-autopsie. L’habileté de ces stratégies va à l’encontre de l’idée que les quartiers sont des déserts politiques.
Votre film est-il inspiré de faits réels ?
Ce n’est pas un biopic caché. L’histoire est inspirée de très nombreuses affaires. J’ai pensé notamment aux morts de Lamine Dieng en 2007, d’Ali Ziri en 2009, de Wissam El-Yamni en 2012, d’Amine Bentounsi en 2012 ou évidemment d’Adama Traoré en 2016. Par exemple, Malika (interprétée par Camélia Jordana) prend des photos des marques de coups sur le cadavre de son frère, comme j’ai pu l’observer dans l’affaire El-Yamni. Son but est d’obtenir un juge d’instruction, comme dans l’affaire Ali Ziri. Il y a des bouts d’histoires réelles mais rien qui ne soit exclusif à une seule famille. Et surtout, mon film est aussi – et presque davantage – un drame familial. Pour pouvoir explorer le passé, les déchirements et la noirceur de la famille El Yadari, j’avais besoin d’en faire une famille complètement fictionnelle.
Avez-vous pu parler à des familles de victimes pour documenter leurs bouleversements intimes ?
Non, je n’ai aucune idée de l’intimité de ces familles et je n’ai pas souhaité la connaître. Je n’ai pas cherché à faire un documentaire. Inventer de toute pièce une fratrie, notamment une petite sœur transfuge de classe qui refuse la lutte – Nour, interprétée par la géniale Sonia Faidi – était une manière d’ancrer le film à un endroit de pur cinéma.
Votre film pose aussi la question du devoir vis-à-vis de sa famille. Malika enfant est scarifiée de trois traits pour symboliser l’union de la fratrie, au début du film. Ce lien est-il une bénédiction ou une malédiction ?
Cette scène ouvre le film parce que je voulais d’emblée poser la question : qu’est-ce qu’appartenir à sa famille ? C’est le dilemme de la deuxième génération d’immigrés : pour dire les souffrances de nos parents, faut-il adopter la même attitude qu’eux, c’est-à-dire le silence, ou au contraire parler et se révolter ? En d’autres termes, pour être loyal avec sa famille, faut-il lui être déloyal ? Pour prendre un cas personnel, mon père a grandi dans un orphelinat de Casablanca de 8 ans à 23 ans. Quand j’étais enfant, j’allais tous les étés au Maroc mais, adulte, pour marcher sur les traces de son passé, c’est seul que j’ai dû me rendre à cet orphelinat. Lui ne nous y avait jamais emmenés…
Quel est le rôle du journalisme lors de la couverture de ces affaires ?
C’est de dire la vérité. Les institutions doivent être responsables devant les citoyens, les journalistes ne doivent pas laisser passer les mensonges. J’ai voulu faire un film sur la sortie du déni et tout le combat de Malika est de nommer les choses. Elle se bat pour que la justice dise enfin : « Karim a été tué par des policiers ». Ce chemin difficile vers la vérité m’intéresse profondément. Quand il y a une reconnaissance immédiate des faits par les autorités, les violences urbaines sont le plus souvent contenues. La parole politique compte vraiment, elle peut même être très vertueuse quand les familles s’en emparent : mon film raconte aussi cela. Des parcours d’émancipation sont encore possibles.
Comment avez-vous choisi Camélia Jordana et Sofiane Zermani (le rappeur Fianso) ?
Avant que les flammes ne s’éteignent est mon premier film. Et quand vous êtes un réalisateur encore inconnu, ce n’est pas vous qui choisissez vos stars, c’est elles qui vous choisissent ! Je leur ai envoyé le scénario via ma directrice de casting et ils ont accepté. Camélia [Jordana] est l’une des meilleures actrices de sa génération. Son engagement, sa générosité ont été incroyables. Quant à Sofiane [Zermani], je l’avais vu en vrai pour la première fois au tribunal de Bobigny, lors du verdict de l’affaire Théo Luhaka, un autre cas de violence policière. Sofiane discutait avec les policiers et les jeunes pour calmer une situation hautement inflammable ce jour-là. Quand je lui ai envoyé un message pour le convaincre de rejoindre le casting, je lui ai rappelé cet épisode. Enfin, pour l’anecdote, dans mon scénario, je n’avais pas déterminé l’origine de la famille El Yadari. Quand Camélia et Sofiane ont accepté, la famille est devenue kabyle, comme eux. Il y a une scène de chant dans le film : Sofiane m’a proposé que ce soit Ssendu d’Idir. Idir est plus qu’un chanteur, c’est une icône, je suis très heureux que Sofiane ait apporté cela.
Avant que les flammes ne s’éteignent de Mehdi Fikri, sortie dans les salles françaises le 15 novembre 2023
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