Nadir Larbaoui, le moine soldat d’Abdelmadjid Tebboune nommé Premier ministre
Ancien ambassadeur, celui qui était jusqu’au 11 novembre son directeur de cabinet fait partie des proches du chef de l’État depuis plus d’un an.
Le sursis aura duré un peu plus de deux mois. En septembre dernier, le Premier ministre Aymen Benabderrahmane s’était déjà préparé à faire ses valises, avant que la décision de son limogeage ne soit suspendue. La participation du président Abdelmadjid Tebboune à la 78e Assemblée générale de l’ONU, ainsi que la présentation de la Loi de finances 2024 devant l’Assemblée nationale, lui ont offert un court répit.
Nommé au Palais Saâdane en juin 2021 à la place d’Abdelaziz Djerad, Benabderrahmane ne laissera pas de souvenir mémorable à ses compatriotes tant l’homme était discret, effacé et sans aspérités politiques. Il ne laissera pas non plus de grands souvenirs au chef de l’État qui l’a propulsé à ce poste, tant ce dernier s’est dit mécontent du travail de son gouvernement mais aussi des performances de certains ministres.
L’exaspération de Tebboune à l’égard de son Premier ministre et de certains membres de son gouvernement est telle que, fait plutôt rarissime, celle-ci a fini par être portée sur la voie publique, via un éditorial publié en janvier 2023 par l’agence officielle APS. Dans un commentaire inspiré – et validé – par le Palais d’El Mouradia, l’auteur expliquait alors que le président était « réellement en colère » et qu’il « n’[était] pas du tout content de la cadence du traitement de nombreux dossiers par le gouvernement ».
Échéances élastiques, chiffres et statistique approximatifs, décisions anachroniques, autoritarisme, protectionnisme, directives présidentielles mal comprises ou non appliquées… Les griefs de la présidence à l’encontre de l’équipe gouvernementale sont si nombreux et si sévères qu’on aurait pu croire que Premier ministre et ministres travaillaient à saboter les actions du président Tebboune, qui fêtera en décembre le quatrième anniversaire de son accession au pouvoir.
Ce coup de gueule exprimé via l’APS n’était d’ailleurs pas le premier du genre depuis le début de la mandature d’Aymen Benabderrahmane. En public, et surtout en privé, le chef de l’État s’est montré à plusieurs reprises très critique à l’égard de son Premier ministre et de certains membres du gouvernement. Un mauvais casting donc, mais qui aura tout de même duré deux ans, quatre mois et douze jours.
Présidentialisation du régime
Si les griefs, les critiques et les reproches adressés à l’ancien Premier ministre sont sans doute justes et pertinents, il faut reconnaître, à sa décharge, que sa marge de manœuvre était des plus étroites, ses pouvoirs limités et ses prérogatives bornées. Depuis la révision constitutionnelle de novembre 2008, qui a permis à Abdelaziz Bouteflika de briguer deux autres mandats en 2009 et 2014, le poste politique de Chef de gouvernement a été supprimé pour être remplacé par celui de Premier ministre. Celui-ci devenant, dès lors, un simple « coordonnateur » du programme présidentiel.
Et la nouvelle réforme de la constitution menée par Abdelmadjid Tebboune, intervenue en novembre 2020, n’avait pas vocation à rééquilibrer la balance des pouvoirs entre la Présidence et la Primature mais, bien au contraire, de présidentialiser encore davantage le régime en renforçant à nouveau les pouvoirs du locataire d’El Mouradia.
À un an de la tenue de l’élection présidentielle de 2024, le chef de l’État semble, en changeant de Premier ministre, vouloir verrouiller définitivement le jeu en vue de sa candidature à un second mandat, bien que celle-ci ne soit pas encore d’actualité et que la question ne soit pas encore tranchée par le principal concerné.
Car la nomination surprise de Mohamed Ennadir Larbaoui, 73 ans, à la place d’Aymen Benabderrahmane a été précédée, en septembre dernier, par un important réaménagement des services de la présidence, ainsi que des missions et des tâches des principaux collaborateurs du chef de l’État. Le décret présidentiel accorde ainsi de larges prérogatives – et ce, dans tous les domaines – au directeur de cabinet et aux conseillers, au détriment du Premier ministre et de son équipe.
Année décisive
En vertu de ces changements, le directeur de cabinet – aujourd’hui occupé par intérim par Boualem Boualem, déjà puissant conseiller du président chargé des affaires juridiques et judiciaires – devient une sorte de super Premier ministre, pour ne pas dire de « président bis ». Si bien que le départ de Larbaoui, directeur de cabinet depuis le 16 mars 2023, vers le Palais Saâdane ressemble à une conséquence logique de ces changements institutionnels.
Larbaoui fera-t-il oublier son prédécesseur, alors que sa mission à la tête du gouvernement s’annonce encore plus délicate dans la mesure où l’année prochaine sera décisive, autant pour le pays que pour l’avenir politique d’Abdelmadjid Tebboune ? Larbaoui et Benabderrahmane présentent en tout cas deux profils différents, deux styles différents, deux parcours différents. Le premier a fait l’essentiel de sa carrière dans la diplomatie, le second dans les finances.
Dans une vie antérieure, Larbaoui, qui cultive toujours le soin de porter beau, a été un sportif accompli. Joueur de handball, il a été trois fois champion d’Algérie et vice-champion d’Afrique en 1976 avec la mythique équipe nationale de handball dont l’épopée est encore dans la mémoire de ceux qui l’ont vécue. Le premier tournant de la carrière de ce fils d’un combattant de l’ALN ayant évolué près de l’état-major de Ghardimaou, auprès du Colonel Houari Boumediene, s’effectue toutefois loin des terrains de hand, à l’université d’Alger, où celui que l’on surnomme Nadir obtient une licence en droit et un magister en droit public et privé, avant de rejoindre le barreau d’Alger comme avocat.
Après un passage au ministère de l’Énergie et des Mines et à celui de l’Industrie, où il s’occupe des activités liées à l’Union du Maghreb Arabe, Larbaoui intègre le ministère des Affaires étrangères au début des années 1990 pour ne plus quitter ce département de souveraineté où il sera notamment directeur de Maghreb arabe, directeur des affaires juridiques ou encore directeur des relations économiques internationales. Ambassadeur au Pakistan jusqu’en 2008, il est ensuite nommé en Égypte où il est aussi représentant permanent de son pays auprès de la Ligue arabe. Larbaoui reste au Caire jusqu’en 2019, année durant laquelle il est rappelé à Alger puis admis à la retraite un an plus tard. Retraite de courte durée.
Son retour aux Affaires, il le doit à un certain Ramtane Lamamra. Sitôt nommé ministre des Affaires étrangères en juillet 2021, celui-ci le rappelle d’abord au sein de son cabinet avant de le proposer comme représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations unis où il croisera le fer avec son homologue marocain, Omar Hilale. Un épisode assez bref : en mars 2023, sa carrière connaît un tournant inattendu et inespéré pour un diplomate. Le président Tebboune place sa confiance en lui en le nommant directeur du cabinet présidentiel. Il entre dès lors dans le saint des saints.
Au Palais d’El Mouradia, il établit des relations de confiance empreintes de respect et de considération avec le Président, dit l’une de ses connaissances qui n’a pas souhaité être identifiée. « Au plan des idées et des convictions, il est pétri de ferveur patriotique, ajoute cette source qui ne tarit pas d’éloges. Il est imprégné des valeurs de justice sociale et de promotion des catégories défavorisées. Sous l’autorité de Tebboune, il a manifesté un attachement à la matrice de la diplomatie algérienne : souveraineté nationale et attachement aux causes de libération, à l’instar de la Palestine et du Sahara Occidental. »
« Le soldat rêvé »
La suite logique de cette promotion au cabinet est donc sa nomination à la Primature, même si l’intéressé avait plutôt manifesté le souhait d’être nommé ambassadeur en Arabie saoudite. A-t-il réellement le coffre nécessaire pour exercer une telle fonction, dans un contexte national qui promet d’être bouillonnant en 2024 ? Les avis sont partagés. Certains de ceux qui l’ont côtoyé dans les arcanes de la diplomatique notent son manque d’expertise et d’expérience des affaires de politique intérieure, qui constituent l’essentiel de son travail et de ses missions.
D’autres, qui ont travaillé avec lui depuis qu’il a mis un terme à sa retraite, expliquent volontiers qu’il fait montre d’une grande disponibilité, d’une capacité de travail hors normes, d’une grande proximité avec le chef de l’État et de ses principaux lieutenants, dont Boualem Boualem. Ce qui a manifestement manqué à son prédécesseur. « Il est autoritaire mais pas dictateur, dit de lui un ancien collègue. Il serait plutôt un despote éclairé qui consulte, concerte puis décide. C’est le soldat rêvé pour le chef de l’État. » Surtout à un an de cette présidentielle à laquelle Abdelmadjid Tebboune pense chaque jour un peu plus en se rasant le matin.
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