Fally Ipupa descend enfin dans l’arène

Le chanteur congolais achève 2023 avec trois concerts événements, dont un à Paris, à La Défense Arena. Et, malgré la menace des combattants, il compte bien offrir un spectacle historique ce 25 novembre.

L’artiste congolais Fally Ipupa pose lors d’une session photo, à Paris, le 27 septembre 2023. © JOEL SAGET/AFP

L’artiste congolais Fally Ipupa pose lors d’une session photo, à Paris, le 27 septembre 2023. © JOEL SAGET/AFP

eva sauphie

Publié le 24 novembre 2023 Lecture : 6 minutes.

Pas moins de 40 000, c’est le nombre de places que Fally Ipupa s’est promis de vendre pour remplir l’imposante Arena de La Défense. Non loin du stade, quand nous le retrouvons quelques semaines avant son spectacle, après avoir essuyé deux annulations de rendez-vous et un retard de deux heures (la faute de son staff, prévient-on), la star congolaise se targue d’être proche du but.

L’organisation avait initialement ouvert une jauge de 36 000 places, mais Fally Ipupa a préféré compter plus large pour accueillir un show à l’africaine, avec une délégation de 64 personnes, musiciens, danseurs et techniciens compris.

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À 45 ans, la star congolaise aime les défis. « Je préfère être le guide plutôt que le suiveur », reconnaît-il, sûr de lui et de son talent. Mais il a de quoi crâner. En 2007 déjà, il devenait le premier artiste congolais de sa génération à jouer à guichets fermés à L’Olympia. Dix ans plus tard, l’ex-protégé de Koffi Olomidé voyait son quatrième album, Tokooss, être certifié disque d’or. Une première, encore une fois, pour un chanteur de RDC.

Et pour marquer plus de deux décennies de carrière, ce n’est pas une arène mais bien trois que le gladiateur de la rumba congolaise a prévu d’investir pour sa tournée de fin d’année, de Paris à Londres, à l’OVO Arena (12 500 places), en passant par la Belgique, à l’Ing Arena (15 000 places), le tout en trois semaines. Un marathon à la hauteur du « Warrior suprême ».

Force tranquille

Dans l’imposant gratte-ciel de l’hôtel Hyatt, stratégiquement situé entre La Défense et les Champs-Élysées, le conquérant, ses iconiques montures noires lui encadrant le regard, a l’air serein. Pourtant, à peine a-t-on le temps d’échanger les salutations que l’un des membres de son équipe lui tend un téléphone portable. Le chanteur mettra la discussion sur haut-parleur. À dessein ou non, on ne le saura pas.

Au bout du fil, le parquet du procureur du roi de Belgique, qui lui signale la présence de combattants sur le territoire, à quelques semaines de sa prestation bruxelloise. « Organisation terroriste », entend-on. Le mot est lâché. « Il y a beaucoup de signalements. La police est très au fait de la situation et a plus ou moins identifié les têtes, donc je suis positif. En ce qui concerne La Défense, on a eu de nombreuses réunions avec la préfecture de Paris et la police. On est quand même en France. Donc je suis très calme. Il ne se passera rien », relativise-t-il, après avoir raccroché.

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La star subit depuis des années la menace de ces groupes d’opposants congolais radicaux qui, en Europe, reprochent aux artistes congolais de soutenir le pouvoir en place et empêchent, en ayant notamment recours à la violence, la tenue de leurs concerts. En 2017, sa date à La Cigale avait été annulée par la préfecture de police de Paris en raison du risque de manifestations. Trois ans plus tard, sa représentation à l’Accor Arena, à Bercy, avait déclenché un spectaculaire incendie à la Gare de Lyon, à deux pas de la salle de concert.

« J’ai des amis combattants, mais des vrais, pas des gens qui s’autoproclament combattants pour leur propres intérêts, qui prennent le combat pour un fonds de commerce, accuse-t-il. Eux, je ne les respecte pas. Je respecte les vrais combattants qui prônent la paix au Congo et en Afrique. On ne conscientise pas les gens en frappant des femmes en France. Imaginez si ces personnes prennent le pouvoir au Congo ? Ils vont exterminer les gens. Je ne céderai jamais devant ces personnes », tranche-t-il.

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Communication d’impact

Si Fally Ipula ne mâche pas ses mots et ne rechigne pas à s’exprimer sur le sujet, c’est qu’il est conscient qu’il est attendu sur ces questions. Lui qui use de son influence et de son image auprès d’hommes forts, et que l’on accuse donc d’être à la solde des autorités, doit pouvoir se justifier. En février 2023, on le voyait poser dans le salon Pompadour de l’Élysée aux côtés d’Emmanuel Macron, juste avant la tournée du président français en Afrique centrale. Le lendemain, la voiture du chanteur et l’une de ses maisons de Kinshasa étaient incendiés. Ce qui n’a pas empêché « l’Aigle » de poser à nouveau avec le chef d’État français lors d’une soirée kinoise, un mois plus tard, accompagné de Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement congolais. Un cliché qui a aussitôt déclenché la polémique.

Mais le chanteur s’en défend. Aux mots « rapprochement du pouvoir », il préfère ceux de « communication d’impact ». « Je n’ai jamais fait de campagne pour des hommes politiques, je n’en ai jamais soutenu ouvertement. Je me préoccupe de la population. Si on me dit que pour sauver le peuple congolais, il faut se rendre à une réunion où il y a des chefs d’États pour essayer d’apporter ne serait-ce qu’un petit changement, j’irai, appuie-t-il. Car on ne peut changer les choses qu’en étant actif et en soufflant des idées. »

Je souhaite à mon pays que la famine soit éradiquée et la sécurité retrouvée sur tout le territoire.

Fally Ipupa

Parmi celles-ci, la mise en place d’un pont aérien humanitaire de mars à mai 2023, pour assister Goma, dans l’est de la RDC, où les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) ont repris les armes. Une opération pour laquelle 80 millions d’euros ont pu être débloqués par la France et l’Union européenne, et dont Ipupa se félicite. Il mentionne également le financement d’une ambulance médicalisée à hauteur de 40 000 euros envoyé à l’hôpital général de Goma, et un don aux soldats qui combattent le M23. « Mais je ne suis pas le seul à agir. Des artistes se produisent, au péril de leur vie, à Goma même, pour soutenir les populations touchées par les combats », tient à souligner celui qui, à l’approche des élections générales en RDC, espère un processus électoral transparent, dans lequel le peuple pourra se retrouver. « Je souhaite à mon pays que la famine soit éradiquée et la sécurité retrouvée sur tout le territoire. »

Chanteur-leader

Si Fally Ipupa écarte tout avenir politique, il est pourtant un habitué des réunions avec les chefs d’États et endosse volontiers le statut de décideur. Invité au sommet États-Unis – Afrique en décembre 2022, en présence de Félix Tshisekedi, il rencontre le président américain Joe Biden lors d’un dîner de gala à Washington. Dix ans plus tôt, c’est un autre président américain, Barack Obama, qui le recevait au Young African Leaders Initiative. Tandis que, à deux reprises, le chanteur-leader était reçu à la table du prince Albert de Monaco et en profitait pour parler de la situation de son pays. Autant de mains serrées et de plaidoyers qui lui ont permis, dit-il, de mener à bien des projets pour la fondation qui porte son nom et qui fêtait ses 10 ans le 13 avril 2023 avec un grand concert à Kinshasa.

« J’ai repeint des écoles, j’ai acheté des terrains pour construire des orphelinats. Chaque année, je libère des mamans insolvables retenues prisonnières dans des maternités du Congo, j’ai mis de l’eau à Kisenso, une commune enclavée de plus de 20 000 habitants, je prévois la construction d’une maternité à Bandal cette année », énumère-t-il en forme de réponse à ses détracteurs. Fally Ipupa, également ambassadeur de la paix pour l’Unicef, fait sa part et tient à le souligner.

Des coups de main et des coups de com’ qui ne l’empêchent pas de se concentrer sur sa carrière, déjà bien entamée. « Je fais partie des artistes qui ont sorti des albums de rumba qui ont marché et qui marchent encore. Formule 7, mon dernier album [trois volumes sortis en juin 2023], c’est de la pure rumba », glisse celui qui se moque de savoir à qui revient le titre de roi de la rumba. Il se revendique digne héritier de Papa Wemba et de Koffi Olomidé, se dit fier de voir la rumba congolaise inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco et explique sa longévité par sa capacité à se renouveler, piochant tantôt dans le répertoire traditionnel mongo, tantôt dans la musique actuelle.

À l’intersection de l’ancienne et de la nouvelle génération, Ipupa fait l’unanimité. Il compte parmi ses collaborations Youssou N’Dour et Charlotte Dipanda, mais aussi des poids lourds de l’afropop, comme le Nigérian Wizkid, et des feats avec des stars de la scène urbaine francophone, allant d’Aya Nakamura à Youssoupha, de Booba à MHD, en passant par Ninho et Dadju, côté diaspora. « Je l’ai toujours dit, il faut savoir prendre des risques pour durer. J’ai la chance d’avoir une vision. Je tente, je mélange des ingrédients au folklore de chez moi pour sortir des vraies sauces à la Fally », expose-t-il. Une recette qui fait déjà des émules. Gaz Mawete, But na Filet, Splendeur Mbongo, Ibrator Mpiana, Dj Virus ou Petit Fally, il ne sèche pas quand il s’agit de citer la relève. « Je suis encore actif mais il y a une nouvelle génération qui va continuer le travail », assure Fally, qui n’est pourtant pas prêt de quitter l’arène.

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