« Okavango », un polar brutal et informé de Caryl Férey sur les trafics d’animaux sauvages
Avec son nouveau roman, l’auteur de « Zulu » offre un récit énergique et sombre sur les réserves africaines menacées par les braconniers, leur commanditaires et les élites corrompues. Les personnages, toujours crédibles, sont attachants ou détestables, parfois les deux à la fois.
Contrairement à ce que prétend la quatrième de couverture, Okavango n’est pas le « premier polar au cœur des réserves africaines ». Récemment, plusieurs auteurs se sont aventurés en terres africaines avec des textes très inspirés autour du braconnage et du trafic d’animaux. Avec Entre fauves, dont la couverture était similaire – un beau lion en noir et blanc – Colin Niel proposait une traque haletante entre la Namibie et les Pyrénées, en 2020. Avec Le Monde est un bel endroit, Didier Desbrugères nous entraînait dans un long périple entre le zoo de Thoiry, le parc naturel d’Etosha et le Vietnam, sur la piste de tueurs de rhinocéros. Quant à l’auteur sud-africain Deon Meyer, il est coutumier des incursions dans les réserves naturelles, À la trace racontant par exemple le transport de deux rhinocéros Zimbabwéens.
Mais peu importe. Qu’Okavango ne soit ni le premier ni le seul roman policier à s’intéresser aux rangers qui tentent vaille que vaille de protéger les animaux des braconniers ne doit pas en contrarier la lecture. D’abord parce qu’il n’y aura jamais assez de livres pour dénoncer des trafics qui nuisent autant aux bêtes sauvages qu’aux humains vivant sur place. Ensuite parce que l’auteur de ce polar bien informé n’est autre que Caryl Férey, romancier fort habile quand il s’agit de mêler petite et grande histoire, économie locale et capitalisme prédateur.
Mine d’informations sur l’histoire de la région
Férey, qui doit son prénom à Caryl Chessman – ce condamné à mort américain ayant attiré l’attention mondiale sur la peine capitale avec quatre romans écrits dans le couloir de la mort, dont Cellule 2455 couloir de la mort (1954) – s’est notamment fait connaître avec Zulu (2008), un livre violent sur l’Afrique du Sud post-apartheid, adapté au cinéma par Jérôme Salle, avec Forest Whitaker, en 2013. Avec Okavango, il signe un polar énergique, parfois glaçant, qui distille habilement une quantité phénoménale d’informations sur l’histoire de la région où il se déroule, c’est-à-dire à la croisée des frontières de l’Angola, de la Namibie, du Botswana, du Zimbabwe et de la Zambie.
L’intrigue commence avec la découverte du cadavre d’un jeune homme, par un groupe de touristes blancs et leur guide, dans la réserve privée de Wild Bunch. Comme il s’agit probablement d’un braconnier, deux rangers sont chargés de l’enquête. Solanah Betwase est d’origine Botswanaise, Seth Shikongo est Namibien et ils sont employés par la Kaza, dont le chef n’est autre que le mari de Solanah, le colonel Betwase.
« La Kavango-Zambezi Transfrontier Conservation Area regroupait 36 réserves d’une superficie équivalente à celle de la Suède qui couraient sur cinq pays : Namibie, Angola, Botswana, Zambie et Zimbabwe, écrit Caryl Férey. Un espace de protection des espèces sauvages dont Nelson Mandela avait formulé l’idée au tournant du siècle – créer des parcs de la paix pour transcender les frontières, refermer les cicatrices du passé et éviter de nouveaux antagonismes. » Une belle idée… qui se heurte à la réalité d’un trafic qui peut se révéler très rémunérateur : un kilo de corne de rhinocéros se négocie autour de 60 000 dollars !
Barbouzes et anciens suppôts de l’apartheid
Dans Okavango, Solanah et Seth affrontent l’organisation d’un trafiquant sans scrupules, Rainer Du Plessis, alias Le Scorpion. « Rainer Du Plessis avait créé Executive Outcomes à la chute de l’apartheid, une société de sécurité privée qui louait les services de mercenaires dans différents conflits en Afrique. Son neveu Joost se montrant vigoureux et plus porté sur l’aventure et l’argent que sur les droits humains, Rainer l’avait pris dans son groupe armé jusqu’à en faire son fidèle second. L’ancien commandant avait appris à Joost l’art de la guerre, les techniques d’embuscade et de déploiement sur une cible, comment tuer un homme à mains nues, au couteau. Enfin, las des guerres africaines, les belligérants se montrant moins gourmands ou se faisant vieux, Rainer Du Plessis s’était recyclé dans le trafic d’animaux. » Ces animaux qui peuplent Okavango, comme ils peuplent les rives et le delta de la rivière du même nom, et que l’auteur décrit avec beaucoup d’empathie et sans anthropomorphisme, quels qu’ils soient.
De l’affrontement entre Le Scorpion et les rangers on ne dira rien, si ce n’est que Caryl Férey n’a pas son pareil pour camper des personnages humains, crédibles, attachants ou détestables – et parfois les deux à la fois. Dans Okavango, comme dans ses autres romans, aucun protagoniste n’est considéré comme secondaire ou, pis, comme faire-valoir des personnages principaux. Tous sont dotés d’une personnalité complexe et d’une histoire. Ainsi, se laisse-t-on prendre aux coups de foudre : entre Solanah, ranger tswana complexée par son surpoids, et John Latham, personnage au passé militaire trouble dirigeant la réserve de Wild Bunch ; entre Seth, ranger ovambo, et Priti, pétillante nièce de N/Kon, ami et collaborateur de Latham… La tragédie qui menace – humains et bêtes – et advient en paroxysme de violence n’en est que plus écœurante. « Je voulais être tueur de braconniers quand j’étais petit, écrit Caryl Férey dans une note finale. Je le veux toujours. Écrire comme remède. »
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Okavango, de Caryl Férey, Gallimard, coll. Série noire, 544 pages, 21 euros
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