La Cour suprême britannique invalide la déportation de migrants vers le Rwanda
Londres et Kigali seront contraints de revoir leur copie après le désaveu de la haute juridiction qui considère que « le renvoi vers le Rwanda des demandeurs [d’asile] les exposerait à un risque réel de mauvais traitements. »
« À la suite du jugement rendu aujourd’hui, je prends la mesure extraordinaire consistant à introduire une législation d’urgence pour confirmer que le Rwanda est un pays sûr. Je ne permettrai pas à un tribunal étranger comme la Cour européenne des droits de l’homme de bloquer ces vols. »
Following today’s ruling, I’m taking the extraordinary step of introducing emergency legislation to confirm Rwanda is safe.
— Rishi Sunak (@RishiSunak) November 15, 2023
I will not allow a foreign court, like the European Court of Human Rights, to block these flights.
Here’s the plan in full ⬇️
1/5 pic.twitter.com/6MVqYWS65O
Quelques heures après la décision rendue par la Cour suprême britannique, ce 15 novembre, qui a déclaré « illégal » l’accord conclu entre le Royaume-Uni et le Rwanda au sujet de la déportation vers le second des demandeurs d’asile parvenus sur le sol du premier, la riposte du Premier ministre Rishi Sunak ne s’est pas fait attendre.
Passage en force
Malgré les feux rouges qui se sont succédé au cours des derniers mois (du Haut Commissariat de l’ONU à la Cour européenne des droits de l’homme), le successeur de Boris Johnson à Downing Street issu comme lui du Parti conservateur, n’en démord pas : contre vents et marées, il entend bien concrétiser cet accord controversé qui incarne l’un des piliers des ambitions gouvernementales visant à réduire drastiquement l’immigration sur le sol insulaire… fût-ce au prix d’un passage en force.
Du côté rwandais, la riposte a été tout aussi rapide. La porte-parole du gouvernement, Yolande Makolo, a aussitôt exprimé la désapprobation rwandaise face à cette décision qui éclabousse par ricochet Kigali, où les autorités ont toujours clamé être animées d’intentions altruistes en se proposant comme pays d’accueil pour les migrants venus frapper à la porte du Royaume-Uni.
« La décision rendue aujourd’hui concernant notre partenariat en matière de migration et de développement économique [avec le Royaume-Uni] relève des prérogatives du système judiciaire britannique, a-t-elle commenté. Toutefois, nous contestons l’appréciation selon laquelle le Rwanda ne serait pas un “pays tiers sûr” pour les demandeurs d’asile et les réfugiés. »
Pour justifier sa décision, la Cour suprême britannique, présidée par Lord Robert Reed, a en effet invoqué un argument rédhibitoire de nature à courroucer Kigali. Confirmant un arrêt rendu par la cour d’appel en juin, la haute juridiction considère en effet que celle-ci était en droit « de conclure qu’il existe des motifs sérieux d’estimer que le renvoi vers le Rwanda des demandeurs [d’asile] les exposerait à un risque réel de mauvais traitements […]. Il était donc fondé de considérer que la politique du ministre de l’Intérieur est, en l’espèce, illégale ».
Le gouvernement britannique s’est dit prêt, ce 15 novembre, à s’opposer à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) – dont une décision, en juin 2022, avait abouti à bloquer provisoirement le processus – afin de pouvoir mener à terme son projet de déporter vers le Rwanda des migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni, le temps que leur demande soit examinée.
Nouveau traité
À peine ce camouflet infligé, et sous la pression de son propre camps qui l’enjoint de respecter sa promesse de mettre fin aux arrivées illégales de migrants, Rishi Sunak a par ailleurs indiqué que son gouvernement travaillait déjà à l’élaboration d’un « nouveau traité » avec Kigali susceptible de répondre aux objections de la Cour suprême. Il s’est entretenu avec le président rwandais, Paul Kagame, et les deux dirigeants ont « réitéré leur ferme engagement à permettre à [leur] partenariat de fonctionner », tout en annonçant de futures mesures « pour s’assurer que cette politique soit solide et légale ».
Pour lever l’opposition de la justice, le dirigeant britannique a annoncé, lors d’une conférence de presse, l’adoption prochaine d’une « loi d’urgence » qui classerait le Rwanda comme un « pays sûr ». Et il a durci le ton contre le risque d’obstacles qui proviendraient de la Cour européenne des droits de l’homme, assurant qu’il ne « permettra[it] pas à une cour étrangère de bloquer ces vols ». « Si la Cour de Strasbourg décide d’intervenir contre la volonté du Parlement, je suis prêt à faire tout ce qu’il faut pour que ces avions décollent », a-t-il menacé.
Risque de « persécutions »
Annoncé il y a un an et demi, à l’époque où Boris Johnson était Premier ministre, le projet d’envoyer au Rwanda des migrants – quelle que soit leur origine – n’a jusqu’ici jamais été mis en œuvre. Mi-2022, un premier vol avait été annulé in extremis après une décision de la CEDH.
Ce projet vise à produire un effet dissuasif sur l’immigration clandestine, mais ses détracteurs le jugent « inhumain » et réclament la mise en place de voies légales pour accéder au système d’asile au Royaume-Uni sans que les migrants n’aient à traverser illégalement la frontière. Ils s’indignent en outre de la compensation financière que Londres s’engage à verser à Kigali dans le cadre de ce partenariat.
À quelques mois des législatives prévues en 2024, la décision de la Cour suprême sonne comme un revers cuisant pour le Premier ministre, qui avait fait la promesse d’ « arrêter les bateaux » de migrants traversant la Manche. Elle marque également un désaveu envers les autorités rwandaises, victimes collatérales de cette alliance avec la droite radicale britannique en dépit de leurs bonne intentions affichées.
Plus de 27 000 migrants ont effectué la traversée depuis le début de 2023, après que ce chiffre avait atteint le record de 45 000 en 2022.
(Avec AFP)
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