Guerre Israël-Hamas : cette France qui nous fait mal

Dans l’Hexagone, les débats autour du conflit entre le Hamas et Israël installent un climat délétère et mortifère.

Un bombardement israélien a visé un camp de réfugiés dans la bande de Gaza le 17 novembre 2023. © MAHMUD HAMS/AFP

Un bombardement israélien a visé un camp de réfugiés dans la bande de Gaza le 17 novembre 2023. © MAHMUD HAMS/AFP

Fawzia Zouria

Publié le 26 novembre 2023 Lecture : 3 minutes.

Une bouffée d’air que ce voyage en Martinique ! Je n’en pouvais plus de Paris, de la France métropolitaine, de ses médias, de cette atmosphère de plomb et de soupçon que j’avais vécue pendant la guerre du Golfe et après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis puis du 13 novembre 2015 en France, où tout accusait l’Arabe et la musulmane que je suis d’être responsable de chaque malheur qui frappait l’Europe et l’Occident.

Complice du Hamas

Ces derniers temps aussi. Les regards me rendaient complice des massacres du Hamas. Je devais avaliser les réactions d’un gouvernement français qui semblait acquis à la politique d’Israël, le deux poids deux mesures dans le traitement du conflit, le blanc-seing donné aux soldats de Tsahal pour punir et détruire, l’interdiction des manifestations parce que propalestiniennes, en gros, cette quasi-justification des massacres infligés aux civils et aux enfants de Gaza en raison d’un massacre perpétré par une poignée de fous de Dieu. Je voulais crier qu’on ne répond pas au crime par le crime et que c’est une imposture de faire croire que défendre la cause palestinienne c’est être antisémite ou s’aligner sur l’idéologie du Hamas. En vain. J’ai perdu des amis juifs dans la bataille. J’ai vu se délocaliser les débats dans d’autres pays où il est permis d’exprimer sa solidarité aux Gazaouis sans être accusé de haïr les juifs, de rappeler la cause légitime et juste d’un des derniers peuples colonisés au XXIe siècle.

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C’est dire si j’ai respiré en atterrissant sur cette île aussi verte que mon Afrique est jaune : la Martinique ! On avait beau me rappeler que j’étais en France, je ne voulais pas le savoir. J’avais envie de dépaysement. Et je me suis retrouvée au milieu d’une belle brochette d’écrivains invités « En Pays rêvé », un festival créé par la romancière et chanteuse Viktor Lazlo. Le thème du jour était le postcolonialisme. J’y suis allée avec ma façon de voir les choses, loyale et sans rancœur. J’ai dit qu’il fallait arrêter de tout mettre sur le dos des anciens colons. L’Afrique, contrairement aux Antilles, entend sortir du statut d’ex-colonisé. J’ai martelé qu’il fallait cesser de parler esclavage, racisme et autres méfaits dont on ne se lasse pas d’accuser la France. Nous, Africains, avons dépassé la question coloniale. Fait le choix de nous pencher sur ce que nous avons fait de nos indépendances et sur notre part de responsabilité dans le désenchantement qui a suivi. Nous voulons – et moi plus que d’autres, en tant que femme et écrivaine – nous engager dans l’avenir, pouvoir oublier et pardonner, devenir sujets de notre propre histoire. Bref, La colonisation, c’est fini.

Silence dans la salle. Je n’ai pas su comment mes paroles ont été perçues. Vérité, provocation, suffisance ou déni ?  Un discours naïf de « bonne femme » tout simplement ?

Au cœur du postcolonialisme

Retour à l’hôtel. C’est Maurice, un Martiniquais pure souche, qui conduit et qui parle avec le brio et l’érudition souvent rencontrés chez mes amis subsahariens. Et bien sûr la discussion revient sur l’actualité. Pourquoi parle-t-on de « guerre » – les moyens du Hamas et d’Israël sont-ils les mêmes – ; peut-on, sans hypocrisie, dissocier les revendications du Hamas de celles du peuple de Palestine ?

« Chère Madame, a continué Maurice, il fut un temps où les juifs et les musulmans étaient les meilleurs amis du monde. D’ailleurs, les Arabes aimaient acheter mes ancêtres esclaves et les juifs étaient là pour les leur vendre. Mais passons. Les juifs font partie de vos peuples depuis la nuit des temps. Les musulmans en ont ramené dans leurs bagages d’Andalousie, parce qu’ils étaient victimes, comme eux, de l’Inquisition. En plus, vous partagez tant de choses ensemble. Qui a rompu ce lien ? Qui a été responsable des pires crimes contre les fils d’Israël ? Pas vous. Qui a découpé les territoires, redessiné les cartes et fondé à sa guise de nouveaux États ? Qui a signé les accords Sikes-Picot et Balfour ? Et vous me dites que vous ne voulez plus parler du passé colonial ? Ne subissez-vous pas les conséquences du colonialisme, en l’occurrence ? Ne sommes-nous pas, tous, au cœur du post-colonialisme ? »

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Je suis restée sans voix. Sans argument. Il va falloir que je réfléchisse de nouveau à la question. Au risque de tomber dans le piège mémoriel auquel j’ai toujours voulu échapper.

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