Denzel Washington est-il trop noir et trop vieux pour incarner Hannibal Barca ?

Polémique en Tunisie, alors que l’acteur africain-américain de 68 ans est pressenti pour incarner le général carthaginois dans une production de la plateforme californienne Netflix.

Illustration de la seconde guerre punique (218 à 201 av. J.-C).. © North Wind Pictures/Bridgeman Images

Illustration de la seconde guerre punique (218 à 201 av. J.-C).. © North Wind Pictures/Bridgeman Images

Publié le 18 novembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Prenez un grand acteur, de préférence populaire et primé, faites lui jouer le rôle d’un héros antique et vous obtiendrez très probablement un succès cinématographique. C’est la formule gagnante envisagée par la plateforme Netflix, qui prépare un film ambitieux sur le général carthaginois, Hannibal Barca, né en 247 av. J.-C. à Carthage et mort entre 183 av. J.-C. et 181 av. J.-C à Libyssa (mer de Marmara).

Une peau trop foncée

L’entreprise californienne mise sur une réalisation confiée à Antoine Fuqua et un rôle titre tenu par son acteur fétiche, l’Américain Denzel Washington. Les deux hommes ont fait un bout de chemin ensemble, avec à la clé un Oscar en 2002 pour Training Day et une belle performance au box office pour la saga Equalizer. Ils se retrouveront de part et d’autre de la caméra mais également en tant que coproducteurs de ce film historique scénarisé par John Logan, co-auteur de Gladiator de Ridley Scott.

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L’affiche a beau être alléchante, l’annonce faite par Netflix a enflammé la toile tunisienne avec l’apparition soudaine d’une profusion de spécialistes autoproclamés du général carthaginois. Jamais Tunisiens ne s’étaient montrés si soucieux de vérité historique et si fins connaisseurs de la seconde guerre punique (218 à 201 av. J.-C). Cause de toute cette frénésie : Denzel Washington ne serait pas très crédible en Hannibal…

La polémique enfle et s’installe. Si tous apprécient Denzel Washington et évoquent ses grands rôles, rien à faire, il ne peut pas incarner Hannibal. Évidemment, il s’agit essentiellement d’une question de couleur de peau. La sienne serait trop foncée pour représenter un Carthaginois, descendants de Phéniciens. « On n’a pas de représentation d’Hannibal, mais toutes les études du génotype maghrébin montrent une présence prépondérante des caractères méditerranéens ou berbères et de très faibles traces africaines », écrit un médecin biologiste sur les réseaux sociaux. D’autres en appellent aussi à la science avec la reconstitution anthropométrique et la dermoplastie, effectuée en 2010 par le laboratoire Daynès à partir d’un squelette de 2 500 ans découvert au sommet de la colline de Byrsa, à Carthage. Le séquençage de l’ADN de ce jeune homme contemporain d’Hannibal, surnommé Arish, montrait plutôt des caractéristiques génétiques de la péninsule Ibérique.

99 nuances de brun

Des démonstrations qui se veulent précises pour écarter tout soupçon de racisme et étayer une indignation. « Vin Diesel qui tenait à incarner Hannibal au grand écran avait une carnation plus claire, mais rien à voir avec le teint d’un méditerranéen. Être basané n’est pas être noir » : beaucoup se perdent dans 99 nuances de brun, mais d’autres crient à l’afrocentrisme. Ils dénoncent une tendance de Netflix à vouloir plaire à son public africain-américain et rappellent le tollé, au printemps 2023, qui avait précédé la sortie documentaire de Queen Cleopatra de Jada Pinkett Smith. Cléopâtre, dont on évoque plutôt le nez, était jouée par une actrice noire. Un crime de lèse-majesté qui a mobilisé l’Égypte, suscité des pétitions et la colère des autorités égyptiennes et du bouillonnant égyptologue Zahi Hawass. Pour tempérer une polémique déjà extrêmement houleuse, le documentaire a été diffusé comme docu-fiction.

Le public tunisien se souvient de l’incident et se braque à son tour. Il ne croit pas à une nouvelle erreur d’appréciation du géant de l’audiovisuel, mais bel et bien à une intention. Les plus lettrés signalent qu’Othello, le maure de Venise, n’aurait jamais dû être représenté, selon eux, par un personnage de couleur. Abdelaziz Belkhodja, grand admirateur d’Hannibal, dont il est un fin connaisseur, avance une explication donnée par le producteur Tarak Ben Ammar, qui estimait que « le public noir américain n’a pas de référence et de figures de héros liées à ses origines africaines ni à la période antique du continent. Dans l’imaginaire, un amalgame s’est opéré entre Afrique subsaharienne et Afrique du Nord. ». Mais Abdelaziz Belkhodja s’étonne surtout d’un anachronisme gênant : « Denzel Washington a 68 ans, Hannibal quand il a traversé les Alpes, moment clé de la seconde guerre punique, avait 29 ans ». La limite d’âge concerne aussi Vin Diesel, 56 ans, qui aspirait à être Hannibal, rôle qu’il a failli tenir pour Sony production, en 2000, mais dont le projet n’a pas avouti. Un élément qui devrait faire réfléchir Netflix avant le tournage.

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Patrimoine national

Hannibal, figure exemplaire pour les amateurs de stratégie militaire et pris comme référence par Napoléon Bonaparte, n’a pas suscité le même intérêt des producteurs que son homonyme anthropophage. Cinecitta s’est risquée à deux péplums : Scipion l’Africain de Carmine Gallone en 1937 et Annibale d’ Edgar G. Ulmer et Carlo Ludovico Bragaglia en 1959. La BBC a diffusé en 2006 un Hannibal : Le Cauchemar de Rome d’Edward Bazalgette. Insignifiant pour les cinéphiles au regard de l’historique Ben-Hur (1959) et des plus contemporains Troie et Alexandre (2004).

Le budget de production du projet Netflix, que l’on imagine colossal, n’est pas encore spécifié et l’on ne sait rien des historiens qui ont contribué au scénario. Un montage encore opaque pour un film dont le tournage est prévu en 2025, Denzel Washington et Antoine Fuqua ayant des projets arrêtés en 2024. De quoi laisser le temps à la Tunisie de réagir, de proposer ce qui peut être utile à une conformité historique, d’éventuellement être un lieu de tournage et de mettre à disposition une expertise.

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Mais la controverse ne semble pas avoir suscité l’intérêt du ministère des Affaires culturelles, qui peine à valoriser et conserver le patrimoine national et ne semble pas considérer Hannibal comme un héros essentiel. Ce fils de Barcides, puissants notables de la République de l’une des premières démocraties de l’humanité, qui a traversé les Alpes à dos d’éléphants avec 50 000 soldats pour défier les Romains ennemis de Carthage, a plus souvent inspiré les illustrateurs et les auteurs de bandes dessinées que les cinéastes. Le cinéma tunisien ne s’est pas emparé de cette figure. « Même en fiction, ce serait trop coûteux », selon un producteur qui imagine la vie mouvementée d’Hannibal plutôt sous forme de saga.

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