Shlomo Sand : « Le fait qu’Israël bombarde Gaza signifie que les terroristes ont gagné »

L’historien israélien a milité toute sa vie pour la reconnaissance d’un État palestinien et contre la politique de colonisation. Il est l’auteur de « Deux peuples, un État ? Relire l’histoire du sionisme », à paraître en janvier 2024 au Seuil.

Shlomo Sand, le 14 mai 2014. © Richard RAY/PHOTOPQR/NICE MATIN/MAXPPP

Shlomo Sand, le 14 mai 2014. © Richard RAY/PHOTOPQR/NICE MATIN/MAXPPP

Publié le 23 novembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Né en Allemagne au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l’historien Shlomo Sand a été soldat en Israël pendant le conflit de 1967, militant de gauche et enseignant à l’université. Ses recherches sur la fondation de l’État d’Israël et, plus largement sur l’identité juive, l’ont amené à développer une critique sévère du sionisme et à rejeter le lien entre la citoyenneté israélienne et le fait d’être de confession juive. En 2013, il publiait un ouvrage intitulé Comment j’ai cessé d’être juif.

Jeune Afrique : Dans votre prochain livre sur le binationalisme, vous semblez de plus en plus sceptique quant à la coexistence de deux États égaux. Ce qui s’est passé le 7 octobre confirme-t-il votre conception ?

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Shlomo Sand : Oui et non. À la fin de mon livre, c’est vrai, je suis pessimiste. Le seul avenir possible, c’est d’avoir un territoire binational. Mais pour arriver à cet état de compromis historique, je crains qu’il faille passer, encore, par des catastrophes. Et j’ai écrit cela bien avant le 7 octobre. Mais les deux peuples ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Pourquoi doit-on passer par des périodes sombres pour voir se profiler cette issue heureuse ? C’est la longue histoire des conflits depuis le XIXe siècle. À travers le monde, plusieurs fédérations sont passées par des périodes de grandes violences pour faire cohabiter les peuples. Jusqu’en 1848, la Suisse était une terre de violences entre catholiques et protestants, francophones et germanophones. En Irlande du Nord, deux communautés nationales se sont battues jusqu’en 1998.

Donc je ne suis pas fataliste, mais pessimiste. Qu’on le veuille ou non, la haine entre Israéliens et Palestiniens, les inégalités profondes que ces derniers vivent, la situation d’apartheid sont des terreaux féconds de violences. Le feu ne s’éteindra pas tout de suite. Mais, finalement et indéniablement, cela se terminera par un compromis. On comprendra qu’il n’y a pas d’autre issue. C’est le sens de l’histoire.

Qui veut vraiment la paix ? À quel moment les rêves d’un territoire binational se sont-ils évanouis ?

On ne s’est jamais rapprochés de la paix car Israël n’a pas eu durablement cette volonté de reconnaître des droits égaux aux Palestiniens. Israël a continué de dominer ces derniers et c’est la source de la violence que nous connaissons aujourd’hui, il n’y a pas d’autres explications. Je ne justifie rien. Et je n’accepte pas certaines déclarations palestiniennes, mais il faut reconnaître la rancœur des Palestiniens à l’égard des Israéliens qui ont le pouvoir, qui occupent la Cisjordanie et ont mis Gaza dans une situation de siège. Je crois que le plus fort est toujours le plus responsable. Sans notion d’égalité, il n’y aura jamais de paix au Proche-Orient.

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Le 7 octobre n’est pas plus un conflit de territoire qu’un massacre de masse. Vous le dites, Israël fait face à un régime empreint de fanatisme, mais s’en accommode…

Attention, le Hamas a perpétué un acte terroriste, mais ce n’est pas Daech qui sème la terreur à travers le monde. Ce mouvement populaire qu’est le Hamas, cette synthèse entre nationalisme et fanatisme religieux possède un programme politique qui exclut complètement l’existence des Israéliens. Le Hamas reconnaît seulement un certain droit des minorités pour les croyants juifs. Le fait qu’Israël bombarde Gaza aujourd’hui signifie que les terroristes ont gagné. Israël est tombé dans un piège. Parce que l’État hébreu a fermé les yeux sur sa responsabilité. La moitié de la population de Gaza est constituée des enfants des réfugiés de 1948. Le siège israélien dans cette bande a créé une sorte de prison au sein de laquelle a grandi une haine irrationnelle contre tous les citoyens israéliens. On savait que ça allait éclater. Ce constat n’est en aucun cas une justification du massacre du 7 octobre, mais le contexte était trop enflammé pour perdurer.

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Pensez-vous que le fait que Netanyahou revienne au pouvoir avec une majorité incluant des partis religieux et/ou d’extrême droite a mis le feu aux poudres et précipité l’éclatement d’un nouveau conflit ?

C’est un élément supplémentaire, bien sûr, mais ce n’est pas l’origine. Netanyahou n’a jamais voulu reconnaître de droits aux Palestiniens. Rien n’a progressé. Au contraire, l’existence invivable des Palestiniens a perduré. Et Netanyahou a nié cette humiliation quotidienne.

La vague de normalisation des relations entre Israël et plusieurs pays arabes peut-elle reprendre ?

Israël a pensé pouvoir faire des ponts avec le monde arabe, tout en mettant de côté la question palestinienne. Mais ce n’était pas possible. La décision du Hamas de mettre le feu dans les kibboutz est justement due au fait que le problème palestinien n’était pas envisagé dans les discussions arabo-israéliennes. Les Saoudiens et les Israéliens n’ont pas assez considéré la souffrance du peuple gazaoui. Ajoutons une autre injustice : le monde arabe n’est pas un ensemble soudé et compact, rappelons que ni l’Égypte ni la Jordanie n’ont accepté d’accueillir les réfugiés palestiniens. De toute façon tout est remis à plat, avec ces nouvelles hostilités, aucun pays arabe ne reprendra d’échanges avec Jérusalem pour le moment.

Vous êtes un militant de la fin de « l’occupation israélienne » : aujourd’hui, les consciences et les émotions sont à vif. Avez-vous des amis juifs et israéliens, des proches qui se disent choqués par votre position ?

Oui, hélas, ces derniers mois j’ai perdu plusieurs amis. L’ambiance est très tendue. La nuance n’existe plus. Mais vous savez, le patriotisme est le refuge des salauds, comme on dit. Ce qui m’intéresse, en tant qu’historien, c’est d’expliquer la situation présente à la lumière du passé. Mais expliquer ce n’est pas justifier, comprendre ce n’est pas pardonner. Rien ne justifie la violence du Hamas. Mais on peut comprendre d’où elle vient.

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