À Biarritz, le quartier de « La Négresse » doit être rebaptisé
La décision appartient désormais au tribunal administratif de Pau, qui statuera le 7 décembre.
Le 7 décembre 2023, le tribunal administratif de Pau sera le décor du premier procès antiraciste et antisexiste portant sur l’odonymie d’un des quartiers les plus cotés de France, le quartier dit « de La Négresse », à Biarritz.
Il semblerait que ce soit aux soldats de Napoléon Bonaparte, stationnés en ces lieux au début du XIXe siècle pendant la campagne de répression du soulèvement anti-français en Espagne, que l’on doive cette dénomination sur laquelle la justice est invitée à se prononcer. Une femme noire, tenancière de l’auberge Harausta, probablement déportée dans le Pays basque par son propriétaire avec l’autorisation de la police des Noirs de 1777, revient aujourd’hui sur le devant de la scène.
De cette époque date le nom du quartier « Hameau de Harausta dit La Négresse ». Jusqu’à une délibération du conseil municipal de Biarritz du 1er juillet 1986 qui nomme « La Négresse » la nouvelle voie desservant la zone artisanale, consacrant ainsi une dénomination colonialiste et raciste que beaucoup regrettent aujourd’hui.
Haïti, « l’eldorado des Aquitains »
Rappelons que du Pays basque, et plus précisément du port de Bayonne, sont partis une vingtaine de navires participant à la traite des Noirs au XVIIIe siècle. La présence en métropole de captifs Africains était alors courante, à l’époque où Saint-Domingue, actuelle Haïti, était « l’Eldorado des Aquitains », selon l’historien Jacques De Cauna.
Depuis plusieurs années, des Français sont nombreux à dénoncer la survivance du nom de « La Négresse », une appellation qui, selon eux, heurte les valeurs républicaines d’égalité et de fraternité. Participant de la « débasquisation patronymique » des années 1970-1980 mais aussi d’un imaginaire postcolonial indifférent à l’impact de la signalétique urbaine sur les consciences, ce nom de quartier ne semble cependant pas choquer les élus de la ville…
Caricature de femme noire
En 2015, une banderole placardée dans la ville pour annoncer « les fêtes de la négresse » reproduisait une image caricaturale d’une femme noire, les lèvres proéminentes et peintes en rouge. La goutte de trop pour l’enseignante Virginie Sassoon. Son tweet (« Depuis hier « Fêtes de la négresse » à Biarritz. Ce nom. Ce visuel. Est-on vraiment en 2015?#malaise #racisme « ), aussitôt repris par celui du président de la Licra de l’époque, Alain Jakubowicz, déclenche une polémique.
Parce que notre responsabilité face au racisme implique de s’engager activement pour démanteler les structures et les attitudes qui perpétuent la discrimination raciale, nous devons agir en faveur d’un changement de nom pour le quartier, toujours appelé « La Négresse ». Le moment est venu de reconnaître l’importance du langage dans la construction de notre société et de notre identité collective. Ce nom reflète une époque révolue où des termes inappropriés et offensants étaient couramment utilisés. Il est étroitement lié à une période où les préjugés raciaux et la discrimination étaient monnaie courante. Il rappelle une époque où les individus étaient jugés en fonction de leur couleur de peau. En maintenant ce nom, nous perpétuons les stigmates du passé et contribuons à maintenir une culture de nonchalance envers la dignité humaine.
Violence symbolique
Des établissements du Pays basque qui portaient des noms offensants et irrespectueux ont déjà traduit en actes leur prise de conscience. L’aéroport et la gare de Biarritz ont changé de nom, comme le Café Negro de Bayonne et la pharmacie « la négresse » qui ont supprimé de leur devanture ces termes dégradants. Le changement de nom du quartier serait une étape positive vers une société plus inclusive et respectueuse. En optant pour un nom qui reflète les valeurs de diversité, d’égalité et de compréhension mutuelle, nous montrons notre engagement envers un avenir où chacun se sent accepté et respecté, indépendamment de sa couleur de peau, de son origine ou de son passé.
L’audience au tribunal administratif du 7 décembre prochain, suite au recours déposé par l’avocat William Bourdon au nom du réseau Mémoires & Partages mobilisé depuis 2019 sur la question, offre l’occasion d’une nécessaire pédagogie sur le sens de ce travail de réparation. L’acte 2 du « procès de la négresse » sera l’occasion d’attirer l’attention des citoyens sur la continuité de cette violence symbolique.
Le pouvoir des mots ne doit pas être sous-estimé. En choisissant des noms qui célèbrent notre patrimoine culturel et notre diversité, nous envoyons un message fort aux générations futures. Nous leur montrons que nous avons appris des erreurs du passé et que nous aspirons à créer un monde où chacun a sa place. Le changement du nom du quartier « La Négresse » ainsi que celui des établissements commerciaux qui continuent à arborer cette appellation est une occasion de contribuer à la réconciliation, à l’éducation et au progrès continu de notre société. Ensemble, nous pouvons bâtir un avenir meilleur et plus respectueux pour tous.
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