La fièvre de la grande distribution s’empare de l’Afrique

Les projets de centres commerciaux sont en plein boom en Afrique. Mais avec le coût des terrains et les problèmes logistiques, les échecs seront peut-être aussi nombreux que les succès.

Le supermarché Nakumatt, à Kigali, au Rwanda. Antonin Borgeaud/JA

Le supermarché Nakumatt, à Kigali, au Rwanda. Antonin Borgeaud/JA

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 4 novembre 2013 Lecture : 6 minutes.

Un investissement de 80 millions de dollars (environ 58 millions d’euros), 260 000 m2, un hôtel, un centre de conférences, un supermarché… L’espace de quelques mois, Bujumbura a cru se réveiller avec l’un des plus grands centres commerciaux du continent. Raté : la capitale burundaise devra encore attendre un peu pour se doter d’un si luxueux complexe.

À l’image de ce projet un tantinet décalé par rapport au pouvoir d’achat du pays, mais aussi des retards ou des blocages qui ont affecté le Dar Village à Dar es-Salaam, le Forum Andalus à Tripoli ou le Sunshine City à Kumasi, les annonces d’ouverture de centres commerciaux sont bien plus nombreuses que les bâtiments qui sortiront effectivement de terre.

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Classe moyenne

En mai, le cabinet d’intelligence économique Sagaci Research, recensait ainsi 129 projets de ce type en Afrique. Une situation sans précédent, largement alimentée par l’émergence d’une classe moyenne africaine. « Dans les 18 principales villes d’Afrique le niveau de dépenses atteindra 1 300 milliards de dollars par an en 2030 contre 539 milliards pour la France actuellement », insiste Michael Chu’di Ejekam, directeur immobilier chez le capital-investisseur Actis, l’un des principaux constructeurs de malls au sud du Sahara.

Michael Chu’di Ejekam, directeur immoilier chez Actis

« Rien qu’à Lagos, il y a de la place pour 15 centres commerciaux »

Actis Michael ChudiAlors que les projets de centres commerciaux se multiplient en Afrique, Michael Chu’di Ejekam, directeur immobilier chez Actis, l’un des plus sérieux acteurs dans ce domaine en Afrique répond aux questions de Jeune Afrique.

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Jeune Afrique : Combien de centres commerciaux avez-vous construit ?

Michael Chu’di Ejekam : Cinq. Deux à Lagos (The Palms et Ikeja), un à Accra (Accra Mall), un à Nairobi (The Junction) et à Maurice. Et nous avons quelques projets en cours. Garden City, à Nairobi, est le plus important, avec 48 000 m2 de GLA. Les travaux ont commencé pour une livraison en 2015.

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Sur tout le continent, le taux de pénétration de la distribution moderne est si bas (dans un grand nombre de pays, seuls 5% des habitants sont clients des grandes surfaces), que le marché laisse de la place à un grand nombre d’acteurs.

Le boom spectaculaire du secteur au Kenya, au cours des quinze dernières années, donne également beaucoup d’espoir. En Algérie, c’est le portugais Sonae Sierra, gestionnaire de 70 centres commerciaux à travers le monde, qui mène l’offensive.

Au sud du Sahara, c’est le français Carrefour, numéro deux mondial, qui fait ses premiers pas. Dans l’Ouest et dans le Centre, il a officialisé son alliance capitalistique avec le groupe panafricain de distribution spécialisée CFAO. À l’est du continent, « Majid Al Futtaim, le partenaire de Carrefour au Moyen-Orient, a des objectifs de développement », concède, sous le sceau de la confidentialité, un proche du groupe.

Flops

Essor de la classe moyenne, demande pour des marques internationales et des produits plus sophistiqués… Le discours marketing est bien rodé. Pourtant, la profession garde aussi en mémoire un certain nombre de flops. Le départ précipité d’Auchan du Maroc en 2007, suivi quelques mois plus tard de l’échec de son implantation au centre commercial Les 4 C, à Dakar. Ou la bérézina de Carrefour en Algérie, parti du pays moins de trois ans après son arrivée…

Africa CEO Forum« C’est un métier très compliqué, qui comporte de véritables risques, estime Mohamed Ali Mabrouk, patron du pôle grande distribution du groupe Mabrouk et partenaire de Casino en Tunisie. Il y a évidemment les risques liés à la sécurité, dans des lieux qui peuvent accueillir des milliers de personnes chaque jour. Et le problème de la sécurisation des approvisionnements. Car dans une grande surface, on doit pouvoir trouver tout, tout le temps. »

Importations

En Tunisie, au Maroc, ou même au Kenya et en Afrique du Sud, où la production agro-industrielle locale existe, la tâche est compliquée mais pas impossible. Dans la majeure partie des pays du continent, c’est une autre paire de manches. « Il y a une configuration spécifique en Afrique, explique Gilles Blin. Au Brésil, vous vendez brésilien à 98%. En Côte d’Ivoire, c’est 40% d’import. Au Congo-Brazzaville, 80%. » Le directeur international alimentaire du Groupe Mercure, franchisé Casino dans plusieurs pays subsahariens, aime d’ailleurs souligner que sa « première préoccupation n’est pas le prix mais d’avoir le produit », précisant qu’il faut parfois « douze jours de mer pour acheminer certains produits vendus au Sénégal ».

Avec des droits de douane de 30% au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (20% dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine) et entre 18 et 19% de TVA, la grande distribution a encore du mal à séduire une classe moyenne constituée encore pour l’essentiel de ménages à faibles revenus.

CFAO, Direction grand public

CFAO DRQuinze ans après avoir décidé de se recentrer sur une poignée de métiers, dont l’automobile et la pharmacie, l’ancien comptoir commercial multiproduit CFAO prend un nouveau virage.

Le 29 mai 2013, le groupe français a pris de court les observateurs en annonçant la création d’une société commune pour l’Afrique avec Carrefour, numéro deux mondial de la grande distribution : un virage aussi risqué que prometteur.

Les deux partenaires développeront ensemble des enseignes Carrefour mais aussi des centres commerciaux dans huit pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Objectif : atteindre 1 milliard d’euros de revenus,

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« Il est clair que les grandes surfaces, surtout celles sous enseigne internationale, resteront un certain temps des commerces pour les riches, rappelle Julien Garcier, directeur général de Sagaci Research. Les revendeurs de rue, eux, ne supportent aucun coût ou presque, et ne paient pas d’impôts… »

Les enseignes locales, qui fleurissent par exemple au Cameroun ou en Côte d’Ivoire, ne se fixent pas non plus nécessairement les mêmes contraintes en termes de services et de qualité… Nouvel arrivant sur la zone, Carrefour a réfléchi à ce problème : « Nous voulons miser de plus en plus sur des produits locaux », explique Xavier Desjobert, directeur général de CFAO Retail et partenaire de Carrefour dans huit pays.

Mais, rétorque Gilles Blin, « il ne faut pas trop rêver. Lorsqu’il y a des producteurs agroalimentaires locaux, comme c’est le cas au Cameroun dans les bananes, au Sénégal avec les tomates ou au Gabon avec les produits de la mer, ils préfèrent tout exporter que vendre l’équivalent d’un conteneur à un distributeur local ».

Foncier

Michael Chu’di Ejekam énumère plusieurs autres défis de taille. « Le premier consiste à trouver le bon terrain au bon prix. Le second à trouver les financements : notre mall d’Ikeja a coûté environ 90 millions de dollars, dont la moitié financée par la dette. Il y a aussi le coût de la construction : 70% des matériaux étant importés, il revient deux fois et demie plus cher de construire un centre commercial au Nigeria qu’en Afrique du Sud. »

Le foncier de qualité, bien placé, est disproportionnellement coûteux dans de nombreux pays, et le développement du moindre supermarché ou hypermarché, avec galerie commerciale attenante, requiert un investissement global de plus de 10 millions d’euros.

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Défis de taille

« Il ne faut se tromper ni de taille ni de format, ajoute Julien Garcier. Regardez le Morocco Mall à Casablanca. Il est très loin du centre, le design intérieur n’est pas optimal et il s’est fait couper la route par l’Anfa Place, un centre de plus petite taille mais mieux placé et plus adapté aux besoins des Marocains. »

Mohamed Ali Mabrouk, dont le groupe gère une soixantaine de supermarchés et trois hypermarchés en Tunisie, estime d’ailleurs que « les centres commerciaux du Moyen-Orient, trop grands et trop haut de gamme, ne peuvent pas fonctionner dans la plupart des pays d’Afrique ».

La tendance, chez les professionnels, serait plutôt au développement de centres de taille intermédiaire (de 5 000 à 40 000 m2 selon qu’on est au Sénégal ou au Nigeria) plutôt qu’à d’immenses complexes de 200 000 m2 comme c’est le cas à Dubaï ou au Morocco Mall. « Il ne faut pas négliger les problèmes de circulation dans des villes où les infrastructures n’ont pas toujours suivi le rythme de croissance de la population, insiste Gilles Blin.

Du coup, nous préférons les formats avec un supermarché de 2 000 m2 auxquels s’ajoutent 2 000 à 3 000 m2 de commerces. » À Abidjan, CFAO et Carrefour proposeront, quant à eux, dès 2015, 18 000 m2 entre l’aéroport et le centre-ville. À moins de 1 km, Prosuma, le leader ivoirien de la distribution moderne, travaille déjà à l’extension de son centre commercial Cap Sud. La guerre est lancée. Mais la messe est loin d’être dite.

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