En Tunisie, un événement culturel européen interrompu par des manifestants hostiles
À Tunis, le 22 novembre, la soirée d’ouverture des Journées du film européen a viré au fiasco. Une illustration des tensions géopolitiques actuelles et, surtout, un nouveau rendez-vous manqué entre Bruxelles et les Tunisiens.
En dépit de l’actualité, Marcus Cornaro, ambassadeur de l’Union européenne (UE) en Tunisie, avait décidé de maintenir les Journées du film européen à Tunis. L’inauguration de cet événement, au CinéMadart, à Carthage, le 22 novembre en début de soirée, devait être, pensait le diplomate, l’occasion de souligner l’excellence des relations entre la Tunisie et Bruxelles, loin du tumulte et des tristes événements de Gaza.
Mal lui en a pris. Mercredi soir, la projection, organisée en présence d’ambassadeurs (européens, mais pas uniquement), avait à peine commencé qu’une poignée d’activistes envahissait la scène en brandissant des drapeaux palestiniens et en scandant des slogans hostiles aux pays accusés d’apporter leur soutien à Israël. Silence décontenancé dans la salle.
« Nous ne sommes pas dupes »
Parmi les présents, certains se sont étonnés qu’un dispositif de sécurité n’ait pas été prévu. Dans une première vidéo, on voit plusieurs invités stupéfaits et muets, figés dans leurs fauteuils quand la projection du film est interrompue. En l’espace de quelques secondes, ils sortent de la salle, sans un mot pour la plupart.
« Il faut bien que quelqu’un pose les bonnes questions aux Occidentaux, et surtout à nos partenaires européens, qu’ils sachent que nous ne sommes pas dupes. Il faut qu’ils soient contraints de cesser de se réfugier dans le déni à propos du génocide qui se déroule dans la bande de Gaza », précise une étudiante qui soutient ce mouvement de jeunes en faveur de la cause palestinienne. Pour eux, « les Occidentaux, amis des sionistes, ne sont pas les bienvenus en Tunisie », tout simplement.
Maladresses
Si le ton reste moins virulent que celui d’une partie de l’opinion tunisienne, dopée aux idées nationalistes, souverainistes et panarabes, beaucoup s’interrogent sur le choix de la délégation de l’UE de maintenir cette soirée, malgré le risque évident qu’elle reçoive un mauvais accueil. Une attitude que certains vont jusqu’à assimiler à une provocation, en rappelant que la Tunisie avait annulé, à la fin d’octobre, les Journées cinématographiques de Carthage (JCC), festival de cinéma panafricain et panarabe de premier plan.
« Dans quel état d’esprit voulez-vous que l’on suive les Journées du film européen ? La délégation de l’UE à Tunis était avertie, il suffisait de lire les commentaires sur les réseaux sociaux. Mais elle n’a pas pris en compte le sentiment des Tunisiens et n’a pas exprimé d’empathie vis-à-vis du drame palestinien », commente un consommateur du café voisin du CinéMadart, témoin de l’incident. Il relève également la maladresse de Marcus Cornaro, le représentant de l’UE, qui a tenté d’interrompre par des « Chut, chut ! » la jeune Channa Jawher, chef de file de cette manifestation, dont les propos exprimaient, certes, de l’hostilité à l’égard de l’Occident, mais également une immense déception quant à la position européenne. « Il aurait suffit de rien pour entamer un dialogue, mais, en réalité, l’ambassadeur avait peur de nous », relate un protestataire.
Cette déception à l’égard d’un Marcus Cornaro jugé par trop approximatif n’est pas nouvelle. Elle était également perceptible chez les eurodéputés qui, le 7 novembre, l’ont questionné sur son manque d’empressement à défendre la délégation, chargée par la commission des Affaires étrangères du Parlement européen de mener une mission d’information sur le recul de la démocratie en Tunisie. En septembre, la visite de cette délégation avait été interdite in extremis par les autorités tunisiennes. « Malgré les critiques acerbes des députés sur son manque de transparence et de leadership lorsqu’il s’est agi de défendre la délégation du Parlement européen, Cornaro s’est montré très langue de bois », confirme un élu depuis Bruxelles.
Une situation préjudiciable à l’Europe, qui, avec les incidents du 22 novembre, perd encore un peu du capital sympathie dont elle bénéficiait en Tunisie. Certains attendent maintenant avec impatience la fin de la mission de Cornaro, en 2024, et espèrent que son successeur valorisera réellement les relations euro-tunisiennes. Ces dernières ont souffert d’une forme de mépris des Européens, notamment avec l’affaire avortée du Mémorandum d’entente pour un partenariat stratégique et global. « Les représentants de l’UE doivent aider la vénérable institution [Bruxelles], tellement pléthorique et complexe que son discours en est devenu incompréhensible, à adopter une approche plus simple, moins compassée et moins paternaliste », conseille un politologue familier des organisations internationales.
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