Tunisie, 14 janvier 2011 : « Ben Ali, dégage ! »
Après l’immolation par le feu du jeune Mohamed Bouazizi, la Tunisie bascule dans la révolution, et le président Zine el-Abidine Ben Ali fuit le pays. Voici le récit qu’en faisait, à l’époque, Abdelaziz Barrouhi dans JA.
Jeudi 13 janvier, Zine el-Abidine Ben Ali, qui se trouve à Hammamet, dans le palais d’été du couple présidentiel, convoque ses plus proches collaborateurs : Abdelaziz Ben Dhia, ministre d’État, chef du cabinet présidentiel et porte-parole officiel, Abdelwaheb Abdallah, ministre conseiller, et le général Ali Seriati, chef de la redoutable garde présidentielle.
Ce petit conclave passe la situation en revue. L’idée d’une éventuelle éclipse tactique, juste le temps que la révolte populaire soit matée, a-t-elle été évoquée ? D’anciens proches du palais le pensent. La position d’Abdallah et de Ben Dhia est sans surprise. « Tout ce que vous estimez bon est bon, Sayid ar-Raïs (monsieur le président) », glisse-t-il, promettant que les médias seraient à l’unisson du régime.
Sauf que, pendant ce temps, à Tunis, le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, reçoit successivement des représentants du syndicat UGTT, et les trois dirigeants de l’opposition : Néjib Chebbi (Parti démocratique progressiste), Mustapha Ben Jaafar (Forum démocratique pour le travail et les libertés) et Ahmed Brahim (Ettajdid). Tous sont prêts à soutenir un scénario de sortie de crise honorable, pourvu qu’il y ait des réformes. Ghannouchi faxe le compte rendu des entretiens à Ben Ali.
Le peuple mordra-t-il à l’hameçon ?
Une aubaine pour le dernier carré, convaincu qu’il faut donner l’apparence de céder aux revendications. Le mensonge et la ruse comme seule porte de sortie. Un mystérieux rédacteur propagandiste rédige le fameux discours du 13 janvier aux accents gaulliens (« Je vous ai compris ») et reprend, presque mot pour mot, les formules des leaders de l’opposition. À 20 heures, Ben Ali est à la télévision et pense s’être tiré d’affaire. Le peuple mordra-t-il à l’hameçon ? Réponse le lendemain, date de la grève générale à laquelle a appelé l’UGTT dans le Grand Tunis.
Vendredi 14 janvier. Solidaire du mouvement de contestation dès le 17 décembre et l’immolation du jeune Mohamed Bouazizi, l’UGTT a maintenu son mot d’ordre. Un rassemblement a lieu vers 9 heures place M’hamed-Ali. Une heure plus tard, le cortège se dirige vers l’avenue Bourguiba. La foule les rejoint. Vers 10 h 30, le centre-ville est noir de monde. Devant le ministère de l’Intérieur, la colère gronde.
« On ne nous la fera plus. Nous ne croyons plus aux promesses », lance Ali, un historien. « Ben Ali, dégage ! », « Game over ! » scandent les manifestants. On reconnaît à leurs toges les avocats, aux côtés de cadres en costume-cravate, d’ouvriers, de femmes, d’enfants venus avec leurs parents et de jeunes. Beaucoup de jeunes. Pacifiquement, ils forcent le cordon de sécurité devant le ministère de l’Intérieur. La police finit par charger et tire des grenades lacrymogènes.
« Attendez-moi, je serai de retour »
Revenu au palais de Carthage, Ben Ali est tenu informé minute par minute. Vers 11 heures, l’étau se resserre. « Ben Ali a sorti Bourguiba, l’avenue Bourguiba a sorti Ben Ali », disent déjà les plus avertis. La statue du dictateur vacille, mais il aura tout de même fallu un coup de pouce de l’armée pour qu’elle s’effondre. Des blindés sont déployés autour du palais. Ben Ali comprend le message et multiplie les appels téléphoniques. La partie est finie.
L’armée place des hommes à tous les points stratégiques de la capitale en vue de l’instauration de l’état d’urgence et de la fermeture de l’espace aérien, qui prennent effet à partir de 17 heures. Une heure plus tôt, le Palais envoie un ordre : il faut faire le plein de kérosène du Boeing 737 présidentiel garé sur le tarmac de l’aéroport de Tunis-Carthage. Vers 17 heures, trois limousines aux vitres teintées quittent le palais en direction de l’aéroport.
À 17 h 45, le Boeing décolle. L’équipage est composé d’un pilote, d’un copilote et d’une hôtesse. Ben Ali, son épouse Leïla et leur jeune fils, Mohamed, sont les seuls passagers. Selon nos sources, le futur président déchu passe les six heures de vol Tunis-Djeddah dans le cockpit avec un revolver à la main. Méfiant, il redoute qu’un ordre de rebrousser chemin ne vienne de Tunis.
Arrivé à Djeddah au petit matin, il est aussitôt pris en charge par les services de sécurité. Sur la passerelle, il lance à l’équipage : « Attendez-moi, je serai de retour. »
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