Les enfances métissées de Philemona Williamson
La galerie Semiose (Paris) expose les œuvres colorées et théâtrales de l’artiste africaine-américaine jusqu’au 30 décembre 2023.
Les dernières foires d’art contemporain africain à Londres (1-54) et à Paris (AKAA) l’ont de nouveau prouvé : la mode, en peinture, est au « black portrait » réaliste. Comme pour compenser la faible représentation de la figure noire dans l’histoire de l’art telle qu’elle se raconte en Occident depuis quelques siècles. Faible, sans doute, mais pas inexistante, ainsi que l’a récemment rappelé la vaste exposition When We See Us : A Century of Black Figuration in Painting, au Zeitz Mocaa (au Cap, en Afrique du Sud), sous le commissariat de la Camerounaise Koyo Kouoh.
Cette plongée dans un siècle de représentation noire permettait de se rendre compte que de nombreux artistes africains-américains s’étaient attachés, depuis longtemps, à représenter leur vie quotidienne, leurs proches, leur communauté. Née à New York en 1951, Philemona Williamson ne faisait pas partie de cette rétrospective, mais elle y aurait eu toute sa place. En revanche, son œuvre est aujourd’hui exposée en France, à la galerie Semiose (Paris), jusqu’au 30 décembre.*
Entre l’enfance et l’adolescence
Rassemblées sous le titre The Borders of Innocence, ses huiles sur toile (entre 9 000 et 37 000 euros) frappent par leur composition rigoureuse et leurs couleurs vives. Les personnages que la peintre représente se situent souvent entre l’enfance et l’adolescence. Placés dans des positions étranges, souvent en déséquilibre, ils offrent au spectateur des expressions difficiles à déterminer, dans des décors peuplés de végétaux, d’animaux et d’objets en relation avec l’enfance, comme par exemple des poupées.
Philemona Williamson joue volontiers avec les transparences, les superpositions, les dégradés. Et, même si ses tableaux évoquent d’une manière toute personnelle la vie des Africains-Américains, ils demeurent ambigus. Comme cet adolescent noir avec une bouée jaune autour du cou, sur laquelle on peut discerner des représentations de statuettes africaines…
Éloge de l’ambiguïté
« J’ai toujours une histoire en tête quand je peins, mais l’histoire peut changer en cours de route, dit-elle. J’improvise avec des lignes de mouvement, les décisions interviennent en cours de peinture et je laisse des preuves de mon processus de création. » Les étreintes sont-elles voulues ? Les couleurs de peau sont-elles significatives ? Les jeux sont-ils amusants ou cruels ? Williamson ne donne pas de réponse, pas plus qu’elle n’impose de morale. « Je pense mes peintures comme des poèmes, qui évoluent en fonction du moment où ils sont lus et en fonction de qui les lit », explique-t-elle.
« Corps juvéniles, jouets, flore et faune flottent et s’ébattent dans des paysages oniriques aux couleur vives, écrit Adrienne L. Childs, commissaire de la Collection Phillips et historienne de l’art. Mais la mémoire est une narratrice peu fiable, et les histoires captivantes de l’artiste sont fragmentées, mystérieuses et ouvertes à l’interprétation. »
Question raciale et histoire personnelle
Restent, néanmoins, des détails qui ne trompent pas, tels ces oiseaux noirs observés sur la pelouse de la Maison-Blanche et représentés sur la toile January-March 2016, dominée par les roses, que l’artiste a peinte « juste après l’horrible élection de cette personne dont je tairai le nom ». Ou comme cet enfant perché dans un arbre surplombant un bâtiment qui ressemble à s’y méprendre au Lincoln Memorial de Washington, sur une toile intitulée A contemplative Perch.
« En tant qu’artiste africaine-américaine travaillant aux États-Unis, Philemona Williamson a été contrainte de s’engager, de prendre position sur les questions politiques et historiques liées à la race et au racisme, poursuit Adrienne L. Childs. Cependant, même si l’artiste a certainement connu le climat de ségrégation raciale, son œuvre à plusieurs niveaux de lecture est enracinée dans l’expérience complexe et unique de son enfance. Pour explorer les thèmes communs de l’adolescence, qui transcendent les frontières raciales et sexuelles, elle s’est inspirée de ses propres souvenirs. »
Monde théâtral
De fait, l’expérience personnelle de Philemona Williamson ne relève pas du cliché habituel. Si ses parents étaient employés à demeure dans une luxueuse maison new-yorkaise, propriété d’une famille grecque riche et excentrique, la future peintre s’est toujours sentie valorisée et traitée comme une sœur par les filles, adolescentes, de cette famille. « Dans la mémoire de Philemona Williamson, ces années sont magiques, remplies de musique, de jeux théâtraux et de nombreux drames familiaux », écrits Childs, et c’est bien là ce qu’expriment souvent ses toiles : un monde théâtral, dans lequel les corps dansent, se touchent, s’entrechoquent, et où flotte une sourde atmosphère de violence – ou d’érotisme – parfois presque imperceptible.
Formée à l’université de New York, enseignante reconnue, peintre fréquemment exposée et lauréate de plusieurs prix (dont l’Anonymous Was A Woman Grant, en 2022), Williamson ne se glisse pas volontiers dans les habits de l’artiste engagée. « Les personnes de couleur ne devraient pas être réduites à leur histoire ou définies par elle, dit-elle. Notre histoire, faite de résistance et de persévérance, est une source d’inspiration qui me donne envie de peindre et de développer mes propres récits. »
Pas étonnant, dès lors, qu’elle affirme « ne pas avoir réfléchi à la couleur de peau » quand on l’interroge sur la signification de Here I Hold Becoming, où un enfant objectivement noir en porte un autre, objectivement blanc. « Vous avez toujours quelqu’un sur le dos, explique l’artiste. Il peut vous aider, ou pas. » Sans doute faut-il toujours en revenir à l’enfance pour comprendre l’œuvre de Philemona Williamson. À l’enfance et, peut-être, à ces poupées Topsy-Turvy qui reviennent fréquemment dans son travail (Red Buckled Shoe) : elles ont la particularité d’être à moitié blanches, à moitié noires.
*Exposition Philemona Williamson : The Borders of Innocence – Galerie Semiose, 44, rue Quincanpoix – 75004 Paris – du mardi au samedi, de 11h à 19h, jusqu’au 30 décembre 2023.
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