Baloji, le Congolais touche-à-tout, en lice pour les Oscars avec « Augure »
Le Belgo-Congolais dévoile un premier film à l’image de ses albums, entre abstraction et contemplation. Cette œuvre globale, qui s’accompagne de la sortie de quatre albums, représentera la Belgique aux Oscars.
Ne surtout pas limiter Baloji à sa carrière de rappeur, il vous rappellerait aussitôt à l’ordre. Poète, auteur, compositeur, beatmaker, scénariste, acteur, performeur, réalisateur et styliste… Tel est l’éventail des activités qu’il se plaît à dérouler dans sa biographie sur YouTube. « Quand on est pluridisciplinaire, on nous perçoit comme indiscipliné. On se moque souvent de nous. Or c’est une qualité et non une tare », revendique-t-il dans un épais bomber doré noyant son interminable silhouette, un large chapeau en feutre auréolant son visage.
Le Belgo-Congolais s’est pourtant d’abord fait un nom dans le milieu du hip-hop, de la danse au graffiti, et au sein du groupe de rap belge Starflam, à seulement 15 ans. Trente ans, trois albums solo et quatre à venir, une flopée de clips, de courts-métrages et de spots publicitaires plus tard, il se dit encore affilié à une musique urbaine qui souffre de préjugés. « Le genre reste assimilé à un truc d’ados, qui n’est pas respecté ni respectable », pointe ce touche-à-tout de 45 ans, qui cherche encore sa légitimité.
Couteau suisse
Baloji dit avoir mis douze ans à voir son film aboutir. Mais cet enfant de la débrouille, qui a quitté l’école à 14 ans et le foyer familial un an après, a fini par accoucher d’Augure, aussi inclassable que son auteur. Une fois n’est pas coutume, l’artiste a joué les couteaux suisses pour fabriquer ce film avec seulement 1,2 million d’euros. « Faute de moyen, j’ai dû me coller au maquillage, mais aussi au costume. Il a fallu être créatif avec le décor et les vêtements, être dans la culture du DIY [Do it yourself] », relate-t-il. Cet autodidacte n’a pas suivi de cursus en école de cinéma ni été premier assistant sur un tournage. Un parcours « rédhibitoire pour l’industrie », selon lui. « Par ailleurs, les gens attendaient de moi que je fasse un film dans la dynamique de Grand Corps Malade et d’Abd al Malik avec un caractère autobiographique. Mais je ne voulais pas. »
Ce film choral en forme de conte mystique se concentre sur la trajectoire de quatre personnes en proie à des accusations de sorcellerie. Ici, les rites et les croyances vaudoues s’opposent à la modernité, à travers des personnages féminins qui tentent de s’affranchir des traditions familiales en brandissant des idéologies progressistes comme le polyamour. « Deux femmes noires sont au cœur de mon dispositif narratif, elles incarnent un féminisme intersectionnel. » Baloji n’hésite pas à lâcher les grands concepts pour décrypter ses personnages, qui font l’objet de quatre albums concept qui accompagnent la sortie du film.
« Augure n’est pas verbeux comme les longs-métrages français. J’ai travaillé le langage du corps, sa musicalité », théorise-t-il. Mais ce film peu bavard veut pourtant trop en dire, quitte à brouiller la narration au moyen d’images (un peu trop) contemplatives. Une proposition qui s’inscrit néanmoins dans la continuité du travail de Baloji. Son court-métrage Zombies, sorti en 2019 se présentait comme « un voyage entre espoir et dystopie dans un Kinshasa halluciné ». Avec Augure, même modus operandi.
Afrique fantasmée
Le cinéaste nous invite à voyager dans une Afrique fantasmée. Un trip extraordinaire aux allures de clip à rallonge, où s’imbriquent des séquences léchées et des tableaux tout droit sortis d’un magazine de mode qui a, quoiqu’en dise son auteur, fini par séduire les institutions. Sa proposition lui a valu le prix de la nouvelle voix au festival de Cannes en 2023 dans la catégorie « Un certain regard », mais aussi le prix de la mise en scène au festival d’Angoulême.
Après Beyoncé (Black is King) et Marvel (Black Panther), l’Afrique continue d’être le terreau de représentations imaginaires et hallucinatoires à travers l’œil de Baloji, qui se dit pourtant concerné par l’actualité de son pays. « Je retourne chaque année depuis 2009 au Congo. J’ai vu le pays évoluer, la transition Kabila père et fils, et j’observe avec beaucoup d’attention la période que l’on vit à l’approche des élections », prévient-il.
C’est pourtant loin de la réalité du territoire qu’il campe son histoire, empruntant aux codes du réalisme magique chers à la nouvelle génération de cinéastes africains, comme la réalisatrice sénégalaise Ramata-Toulaye Sy. « Ramata est proche d’une Toni Morrison ou d’une Maryse Condé et de son Moi, Tibuta, Sorcière. On a des sensibilités différentes, souligne-t-il. De mon côté, j’ai créé une géographie totalement onirique. L’histoire se déroule dans deux villes en réalité séparées par 3 000 kilomètres et qui n’en font qu’une. C’est une réponse au gouvernement, qui fait en sorte que Kinshasa et Lubumbashi ne soient ni joignables par la route ni par le chemins de fer ou par les airs, à moins de dépenser un billet plus cher que pour se rendre en Europe. Il y a une volonté sécessionniste depuis la fin du colonialisme, et je trouvais ça intéressant de mettre tout cela à l’épreuve de la narration. »
« L’hypocrisie du cinéma dit africain »
L’intrigue commence pourtant en Belgique, dans un décor à l’esthétique naturaliste. Koffi se prépare pour son grand retour au pays, après quinze ans d’absence, pour payer la dot familiale et présenter sa femme Alice à ses proches. Ce personnage blanc n’a pas été choisi au hasard. « Je l’ai retiré au moment de présenter le scénario auprès des commissions, mais le processus d’identification avait dû mal à opérer. Je l’ai donc rajouté, c’est ce qui est attendu un certain type de spectateur », raisonne-t-il. Perçu comme un zabolo (un magicien) par les siens, en raison de sa tâche de vin et de ses crises d’épilepsie, Koffi entame un voyage qui vire bientôt au bad trip. « Koffi est dans la culpabilité, il incarne la fragilité de la diaspora à l’égard de son identité, il subit le poids judéo-chrétien et s’y soumet totalement. C’est mon antithèse. »
Pourtant, comme Koffi, Baloji est né à Lubumbashi, et vit en Belgique depuis 1981. Et comme lui, encore, cet oiseau de mauvaise augure dont le prénom signifie « groupe de sorciers » en tshiluba, souhaite conjurer le sort. « J’observe la façon dont on peut renverser les stigmates. Il y a un an et demi, quand on demandait à un Congolais de prononcer mon prénom à voix haute, c’était compliqué. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de complexe », réalise celui qui s’est vu escorter par des élus du gouvernement congolais lors de la montée des marches cannoises. « Ces images sont devenues virales. On avait d’abord présenté le film en avant-première au Congo, et c’était hyper important. Là-bas, on est reconnus pour notre musique, pas pour notre cinéma, qui reste un territoire inaccessible. »
Présenté comme le premier long-métrage de fiction congolais à Cannes, Augure ne représentera pourtant pas le Congo aux Oscars. Faute d’un catalogue de films conséquent, le pays n’est pas reconnu par l’académie. « C’est le premier pays de financement qui l’emporte et donne la nationalité à un film », précise celui qui a reçu le soutien des Belges francophones et des Hollandais. « C’est là toute l’hypocrisie du cinéma dit africain. » Le cinéaste est toutefois fier de voir les choses s’accélérer au Congo avec le projet de création d’un comité local. Une procédure qu’il doit à la reconnaissance de son film à l’international. Une revanche pour l’artiste qui travaille déjà à l’écriture d’un nouveau projet.
Augure, de Baloji, dans les salles française le 29 novembre.
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