Dominique Lafont : « Plus de 80 % des cadres de Bolloré Africa Logistics sont africains »
Recruter les talents africains et les convaincre de rester dans l’entreprise. C’est le choix du groupe français Bolloré Africa Logistics, qui soigne sa politique salariale et crée des formations ciblées pour les attirer.
Grand connaisseur du continent, qu’il sillonne la moitié de l’année, Dominique Lafont dirige depuis 2005 l’ensemble des activités du groupe Bolloré dans la zone, sous la marque fédératrice Bolloré Africa Logistics. Un véritable empire, qui compte 250 filiales, 25 000 collaborateurs et réalise un chiffre d’affaires d’environ 2,7 milliards d’euros, dans pas moins de 55 pays, dont 45 en Afrique.
Avant de rejoindre Bolloré, Dominique Lafont, diplômé de Sciences-Po Paris et de l’Essec, a débuté sa carrière en 1987 au sein du cabinet d’audit Arthur Andersen, pour lequel il a effectué des missions au Maghreb. Il est également passé par le groupe Rivaud, avant de devenir directeur administratif et financier de la division Afrique de Bolloré. Sous sa houlette, le holding a mis en œuvre une stratégie d’africanisation poussée des cadres de ses filiales et s’est davantage internationalisé.
JEUNE AFRIQUE : Quelle est votre politique de recrutement au sein de vos filiales africaines ? Faites-vous la part belle aux expatriés ou privilégiez-vous les embauches locales ?
DOMINIQUE LAFONT : La question des ressources humaines est fondamentale. C’est l’un des premiers enjeux de notre société. Depuis 2005, nous avons créé 10 000 emplois environ, et sur les 25 000 employés permanents que nous comptons seuls 300 sont des expatriés. Depuis mon accession à la tête de Bolloré Africa Logistics, j’ai veillé à ce que l’on accélère l’accès des Africains aux postes exécutifs. Aujourd’hui, plus de 80 % de nos cadres sont africains.
Ce mouvement va-t-il se poursuivre ?
Oui. Nous connaissons une croissance à deux chiffres depuis sept à huit ans. Il nous faut sans cesse de nouveaux patrons, de nouveaux managers. Dans ce contexte, le pourcentage d’Africains recrutés pour des fonctions exécutives ne cesse d’augmenter au fil des années. Un exemple : chez Sitarail, qui exploite le chemin de fer entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso et compte 1 350 salariés, seul le poste de directeur des achats est occupé par un expatrié. Il ne s’agit pas d’être politiquement correct, mais de faire un choix stratégique. Car un décideur africain apportera des connaissances, une vision, une présence dans la durée, un grand sens de l’anticipation… qui épousent notre stratégie de développement.
Recruter des cadres africains, ce n’est pas être ‘politiquement correct’, c’est un choix stratégique!
Si 80 % de vos cadres sont africains, qu’en est-il des 20 % restants ?
Ils sont de toutes nationalités : française, chinoise, britannique, américaine, brésilienne, portugaise, indienne… Nous avons recruté une quarantaine de managers chinois, positionnés dans chaque pays afin de développer nos relations commerciales avec leur pays, mais également des lusophones pour le commerce avec le Brésil, etc.
En résumé, notre stratégie de développement repose sur deux piliers : attirer toujours plus de talents africains et diversifier nos profils à l’international.
Quelle politique suivez-vous pour attirer les talents ?
Il y a deux façons d’y parvenir : les identifier en interne et promouvoir le groupe à l’extérieur. Bien sûr, nous avons établi un plan de gestion de carrière destiné à nos cadres en Afrique. Nous organisons aussi des séminaires à leur intention. Enfin, nous renforçons également notre système de formation dans différents métiers. Vous avez fondé une école des métiers portuaires à Abidjan, codirigée par une Ivoirienne, Fatou Cissé.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ce centre a été créé en 2008 et a déjà reçu plus de 2 000 collaborateurs. Tous nos employés occupant une fonction liée aux métiers portuaires, qu’ils travaillent au Niger, aux Comores ou au Nigeria, s’y rendent. Par ailleurs, nous élaborons une formation similaire, axée sur le transit et le shipping. Elle sera déployée dans les 45 pays où nous opérons. Notre objectif est d’en faire bénéficier 3 000 personnes d’ici à 2014.
Quelle est votre politique salariale ?
Nous mettons en place une grille de salaires plus flexible, en accord avec le potentiel et les compétences de chacun. Elle doit devenir plus attrayante et répondre aux attentes de tous, tout en restant homogène. Par exemple, un Congolais formé en Belgique demandera un salaire plus élevé que l’un de ses compatriotes n’ayant jamais quitté son pays.
Nous essayons par ailleurs de mieux connaître les spécificités de chaque marché national. Le Burundi n’est pas le Kenya. Les différences sont particulièrement sensibles dans les pays où l’activité pétrolière et/ou minière est importante. Dans ces secteurs, les entreprises ont tendance à proposer des salaires supérieurs de 20 % à 30 % à ceux du marché. Mais nous n’avons pas à nous plaindre. Globalement, notre turnover reste relativement faible et inférieur aux moyennes du continent. Peu de nos managers nous ont quittés pour rejoindre des groupes pétroliers ou miniers.
À quoi attribuez-vous ce faible turnover ?
À la stratégie que nous avons développée et au temps que nous avons passé à l’expliquer. Notre groupe offre des perspectives de carrière à long terme, avec notamment une mission forte : désenclaver le continent. Cela donne une visibilité de long terme à nos employés. En outre, nous menons une action cohérente et investissons 300 millions d’euros par an aujourd’hui, contre 50 millions il y a sept à huit ans. Et puis nous nous impliquons sur d’autres continents émergents comme l’Asie ou l’Amérique latine. Nos cadres en sont conscients.
Concernant l’éducation, vous avez été sollicité par le panel des Nations unies qui réfléchit aux Objectifs du millénaire pour le développement de l’après-2015. Quel a été votre principal message ?
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Qui sont les meilleurs employeurs en Afrique ?
Nous avons été conviés à une réunion au Liberia en début d’année. J’ai insisté sur le fait que, si le continent progressait dans beaucoup de domaines de façon significative, l’éducation primaire et secondaire, elle, devait faire l’objet d’une attention plus soutenue.
L’entreprise peut apporter une formation pratique – comme nous le faisons au sein de nos écoles -, mais elle n’a pas vocation à combler les lacunes existant au niveau des connaissances de base.
Ce problème constitue-t-il un frein au développement du continent ?
Si le décollage économique de l’Afrique est avéré, il faut maintenant préparer l’avenir des nouvelles générations, pour qu’elles puissent accéder au marché du travail en disposant d’une formation de base. Or dans certains pays, le système éducatif a été mis à mal par de longues périodes de troubles politico-militaires.
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