Maghreb : pourquoi l’arabisation a échoué ?

Parce qu’il est mal maîtrisé et peu adapté aux relations commerciales avec l’Europe, l’arabe classique, imposé dans l’enseignement, freine l’insertion professionnelle des jeunes diplômés.

En Tunisie, un système bilingue a prévalu, mais le français est de moins en moins parlé. © Fethi belaid/AFP

En Tunisie, un système bilingue a prévalu, mais le français est de moins en moins parlé. © Fethi belaid/AFP

Publié le 7 novembre 2013 Lecture : 4 minutes.

Comme une évidence. Leur indépendance acquise, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont choisi d’arabiser leur enseignement pour contrebalancer l’acculturation imposée par l’ancienne puissance coloniale. Tous ont fait de l’arabe classique – qu’il ne faut pas confondre avec les dialectes souvent utilisés dans la vie courante – leur langue officielle.

Faibles en français… et en arabe

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Un demi-siècle plus tard, les experts dénoncent fermement les dégâts de cette politique à marche forcée. Au moment où le chômage des jeunes atteint un niveau record, et alors que le français demeure une langue prépondérante dans le milieu des affaires au Maghreb, cette situation pénalise principalement les diplômés de l’enseignement supérieur.

Le manque de compétence linguistique des jeunes ne favorise pas l’ouverture du pays à la mondialisation

« Une réforme de l’éducation est indispensable. Nous n’arrivons pas à sortir de cette transition entamée depuis l’indépendance », note avec dépit Farouk Moukah, directeur général de l’Institut international de management (Insim) d’Alger. Et d’ajouter : « En fin de cycle universitaire, de nombreux diplômés sont faibles en français et en arabe. Ce qui réduit leurs chances d’embauche. »

« nilingues »

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Le phénomène a pris tellement d’ampleur qu’on qualifie désormais ces étudiants de « nilingues ». « La faiblesse en langue des nouvelles générations est un gros problème en Algérie. Ce manque de compétence linguistique ne favorise pas l’ouverture du pays à la mondialisation », déplore Mohamed Benrabah, professeur de linguistique anglaise à l’université Stendhal-Grenoble 3 (France).

Devenu une langue étrangère à part entière, le français est enseigné à partir de la troisième année de primaire à raison de trois heures par semaine et de cinq heures l’année suivante. Les matières scientifiques sont également étudiées en arabe. Ce qui limite le champ de recherche des étudiants à l’université, car une grande partie des ouvrages de référence ne sont disponibles qu’en français ou en anglais. Faut-il y voir une conséquence directe? Seulement 20 % des étudiants valident leur première année dans les facultés de sciences.

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Au Maroc, l’arabisation – imposée dans le primaire puis le secondaire à partir des années 1980 – fait aussi débat. Son bilan est pourtant moins dramatique qu’en Algérie, où la guerre d’indépendance a provoqué un repli idéologique vers l’arabe. Sans parler des effets positifs de la présence importante des écoles de la Mission laïque française et du poids du secteur touristique dans l’économie.

Grand malaise

« Je ne vois pas l’intérêt d’enseigner en arabe à l’université. Cela ne prépare pas au monde du travail. Nous demandons un retour à la francisation depuis 2004 », déclare néanmoins Asmae Benthami, professeure à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, à Salé, dépendant de l’université Mohammed V-Souissi de Rabat. « Personne n’ose dire qu’il faut revenir à un enseignement bilingue, voire trilingue, si on veut que les étudiants puissent suivre leurs cours en anglais ou en français à l’université », renchérit Jawad Kerdoudi, président de l’Institut marocain des relations internationales.

Pour Karim Bernoussi, PDG d’Intelcia, société marocaine spécialisée dans l’outsourcing (externalisation), « le système éducatif marocain vit un grand malaise, dû aux multiples réformes non abouties. Et l’arabisation a eu un impact très négatif ».

Mieux lotie que ses voisins, la Tunisie bénéficie d’un système d’enseignement bilingue où le français n’a jamais réellement disparu. « La Tunisie est le pays qui a le mieux conduit son arabisation, car celle-ci y a été conçue et réalisée dans un cadre de bilinguisme arabe-français et dans un esprit de valorisation du passé et d’ouverture au monde moderne et laïc », estime le Français Gilbert Grandguillaume, anthropologue et spécialiste du Maghreb et du monde arabe. Mais, là encore, pas de miracle, la langue française est de moins en moins bien maîtrisée, selon un rapport publié en 2010 par l’Organisation internationale de la francophonie.

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Réformes désordonnées

Il ne s’agit pas de remettre en cause l’arabisation au Maghreb, mais de réinsérer ce mouvement dans un cadre de multilinguisme et d’échanges. « Certes, le niveau des étudiants a baissé, mais cela est dû à des réformes désordonnées et incohérentes », nuance Grandguillaume.

Face à l’incurie du système public, on assiste depuis une décennie à un développement important de l’enseignement privé dans tous les pays du Maghreb.

Voie royale

Au Maroc, de plus en plus d’établissements privés préparent par exemple au baccalauréat français, qui reste la voie royale pour être ensuite admis dans les meilleures écoles de commerce ou d’ingénieur du royaume. Mais avec des frais de scolarité dépassant souvent 1 000 euros par an, ces formations demeurent réservées aux classes moyennes et supérieures, accroissant ainsi les inégalités.

De fait, la maîtrise du français est devenue un véritable marqueur social, laissant sur la touche une grande partie de la jeunesse. Même si le débat existe, aucune décision politique pour rectifier cette situation n’est à l’ordre du jour au Maghreb. À terme, « c’est même l’anglais qui pourrait surpasser l’apprentissage du français », s’inquiète Mohamed Benrabah.

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