En Algérie, le milieu associatif alerte sur la hausse des féminicides

Au moins une femme est assassinée chaque semaine en Algérie, souvent par un proche. Un chiffre probablement sous-évalué. Plusieurs associations réclament une évolution de la loi, encore trop favorable aux agresseurs.

Marche, à Alger, le 8 mars 2021, à l’occasion de la Journée internationale des femmes. © Billel Bensalem/APP/NurPhoto/AFP

Marche, à Alger, le 8 mars 2021, à l’occasion de la Journée internationale des femmes. © Billel Bensalem/APP/NurPhoto/AFP

Publié le 29 novembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Chaque semaine en Algérie, au moins une femme est assassinée. Les associations réclament la criminalisation de ces féminicides. Mais, si la Constitution déclare protéger les femmes contre toutes les formes de violence, la « clause du pardon », incluse dans le code pénal, ainsi que le silence des proches des victimes permettent encore d’en absoudre les auteurs.

« Avant de finir au cimetière, je veux contribuer à changer les choses », confie une lycéenne qui n’a pas souhaité être identifiée et qui assiste à un atelier, organisé par l’association Djazairouna (« notre Algérie »), pour élaborer une charte des droits des victimes de violences sexuelles non encore pénalisées en Algérie. En montrant sa cuisse couverte d’hématomes, elle raconte que son frère la battait constamment, justifiant le harcèlement sexuel qu’elle subissait de la part de son professeur par ses tenues vestimentaires, qu’il jugeait « provocantes ».

la suite après cette publicité

Depuis, la jeune fille, qui s’est réfugiée chez une amie à Alger pour échapper aux coups, milite pour qu’une peine de prison sanctionne la non-dénonciation, par l’entourage, de violences sexuelles. Dans son cas, ni son établissement scolaire ni sa mère ne lui ont porté secours, se plaint-elle.

Aucun recensement officiel

Le drame vécu par cette lycéenne met en lumière l’impuissance des femmes face à leurs bourreaux. Depuis le début de 2023, pas moins de 33 féminicides ont été recensés par la cellule de veille indépendante Féminicides Algérie. Le total de ces quatre dernières années est de 261. Un chiffre sous-évalué, affirment les fondatrices de ce site, qui, faute de dispositif de recensement officiel, tentent de rassembler les éléments attestant de cette terrible réalité à partir des réseaux sociaux et des rares faits relatés dans les médias.

Leur travail, bénévole, contribue aussi à donner un visage, un nom et une histoire aux victimes afin qu’elles ne deviennent pas un fait divers vite oublié et que leur mort donne à réfléchir. Un apport d’autant plus important que l’une des caractéristiques des féminicides en Algérie est l’omerta qui entoure ces assassinats.

Les raisons souvent invoquées par les meurtriers sont la jalousie, de supposés crimes d’honneur et des troubles mentaux. « Près de 80% des féminicides sont commis par un membre de la famille de la victime », précise Wiame Awres, cofondatrice de Féminicides Algérie. Dans 61% des cas, il s’agit du conjoint ou, comme dans le cas de Racha, 19 ans, égorgée cette année par son père, d’un proche réagissant à des accusations d’infidélité supposée.

la suite après cette publicité

« Par le biais de ce recensement, nous voulons montrer qu’il s’agit d’un fait de société qui se répète, et selon les mêmes mécanismes. C’est le résultat d’une violence sociale et institutionnelle banalisée, voire encouragée et entretenue », dénonce Wiame Awres. Le rapport montre également que, parmi les criminels, figurent de nombreux jeunes qui ont tué leur mère ou leur grand-mère. Le document cite le cas d’une femme de 75 ans, menottée puis poignardée par son petit-fils de 22 ans, au début de 2023. Le jeune homme a également aspergé sa propre sœur d’essence, lui causant une invalidité permanente.

Dans son rapport, Féminicides Algérie dénonce, en outre, les lacunes du système judiciaire algérien, qui ne protège pas suffisamment les femmes contre ce type de violences et sanctionne trop légèrement certains auteurs. En l’espace de quatre années, treize condamnations à mort ont été prononcées, toutes commuées en peines de prison en vertu du moratoire sur la peine de mort en vigueur depuis 1993 dans le pays.

la suite après cette publicité

Certes, l’article 40 de la Loi fondamentale précise que l’État protège les femmes contre toutes les formes de violences, aussi bien dans l’espace public que dans la sphère professionnelle et privée. Mais il y a une contradiction entre la Constitution et le code de la famille, qui, lui, place la femme sous la tutelle de l’homme.

Peu de plaintes

La capacité d’action des pouvoirs publics a pourtant été renforcée, en 2016, grâce à l’entrée en vigueur d’un amendement du code pénal, qui criminalise les violences conjugales, introduit le concept de harcèlement et alourdit les peines en cas d’agression physique contre une femme.

Il n’empêche, arguent les militantes des droits des femmes, la plupart de ces violences, qui se déroulent dans la sphère familiale, ne font pas l’objet d’une plainte. Pis, l’article 279 du code pénal prévoit une réduction de la peine, qui peut-être ramenée à moins de cinq ans de réclusion pour les meurtres commis dans le cadre d’un flagrant délit d’adultère. Un autre article de loi permet à l’agresseur d’échapper aux poursuites pénales si la victime lui pardonne, ce qui arrive souvent sous la pression familiale.

Les violences à l’égard des femmes, enracinées dans la société algérienne et qui finissent souvent par un meurtre, sont particulièrement tangibles : pas moins de 12 616 cas ont été recensés par la Direction générale de la sûreté nationale entre 2021 et 2022.

Dans une tribune rendue publique le 25 novembre dernier, des associations algériennes des droits des femmes et des droits humains ainsi que de nombreux universitaires rappellent qu’en 2020 FACE, un collectif d’associations œuvrant en faveur « du changement et de l’égalité », avait adressé aux autorités des propositions destinées à la prévention des féminicides. Il s’agissait d’abord de reconnaître la spécificité de ces crimes et, ensuite, de supprimer du code pénal la « clause du pardon », qui entraîne l’extinction de l’action civile.

Les organisations signataires de la tribune – parmi lesquelles figurent Djazairouna, le Réseau Wassila et Amnesty International – estiment que leur présence continue sur le terrain depuis des décennies leur ont permis de repérer les lacunes de la législation ainsi que les pratiques qui constituent des obstacles à la pleine protection des femmes. « Nos propositions représentent une source [d’idées d’une valeur] inestimable pour faire avancer [cette] cause », affirment-elles. Pour avancer, poursuivent-elles, il est « primordial de [nous] associer activement à l’élaboration de politiques publiques cohérentes et de mécanismes concrets pour que la protection des femmes devienne une réalité palpable, une conquête tangible. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Manifestation contre le harcèlement sexuel des femmes le 17 mars 2012 à Rabat (photo d’illustration). © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Maroc : les chiffres alarmants des violences faites aux femmes

Contenus partenaires