En Algérie, comment le prix de la pomme de terre a fait chuter le ministre de l’Agriculture

Abdelhafid Henni, déjà fragilisé par l’incapacité de son ministère à enrayer la hausse des prix de produits alimentaires de base, a été limogé après un échange particulièrement maladroit avec un journaliste.

Un marché ouvert à Alger, le 15 septembre 2022. Le prix du kilo de pomme de terre est le principal indicateur du coût de la vie en Algérie. © AFP

Un marché ouvert à Alger, le 15 septembre 2022. Le prix du kilo de pomme de terre est le principal indicateur du coût de la vie en Algérie. © AFP

Publié le 30 novembre 2023 Lecture : 3 minutes.

Les Algériens s’attendaient à ce que la nomination par le chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune, du nouveau Premier ministre, Nadir Larbaoui, samedi 11 novembre 2023, débouche sur un remaniement du gouvernement. En fait de remaniement, seul le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Abdelhafid Henni, en poste depuis novembre 2021, a été remercié dans la soirée du 28 novembre, sans explication officielle à cette éviction brutale.

Un incident survenu quelques heures plus tôt laisse à penser que la décision du président n’était pas préméditée, et ressemble plus à une réaction consécutive à une déclaration particulièrement maladroite du ministre. En marge d’une séance plénière au Parlement, celui-ci est interrogé par un journaliste sur la récente augmentation du prix de la pomme de terre, passé à 100 dinars le kilo. Abdelhafid Henni, agacé, commence par démentir l’information, mais le journaliste insiste : « J’en ai acheté hier dans mon quartier à 100 dinars le kilo. »

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Le ministre marque alors une pause, puis consent à répliquer que le pays dispose d’un stock stratégique de pommes de terre de 130 000 tonnes, dont 30 000, destinées à la consommation, ont été déjà déstockées le 4 novembre pour, justement, contenir le prix du kilo à moins de 80 dinars. « Si vous achetez votre pomme de terre à 100 dinars le kilo, alors changez de quartier », assène-t-il au journaliste.

Une réponse sèche considérée comme une bourde par les observateurs et qui, intervenant alors que le ministre était déjà sur la sellette en raison de dysfonctionnements dans le secteur de l’agriculture, a sans doute précipité son éviction.

Un indicateur clé du coût de la vie

Depuis le Conseil des ministres tenu fin octobre 2023, au cours duquel les questions des produits de large consommation et du pouvoir d’achat ont été au cœur des discussions, beaucoup de moyens ont été alloués ; le président lui-même ayant, à cette occasion, exprimé son souci de protéger la bourse des Algériens. Une volonté qui s’est traduite par l’affectation dans la loi de finance 2024 d’un budget de quelque 3 000 milliards de dinars aux transferts sociaux, augmentations de salaires, pensions de retraite, allocations chômage, aides au logement, ainsi qu’à la stabilisation des prix de certaines denrées, comme le sucre, l’huile de table, la farine, la semoule et les légumes secs.

« Ce qui est certain, c’est qu’en se comportant ainsi, Abdelhafid Henni a gaffé, confie un député présent durant l’échange entre le ministre et le journaliste. Un haut fonctionnaire doit argumenter les mesures prises par l’État pour régler le problème de la patate, qui est le principal indicateur pour mesurer l’augmentation du coût de la vie dans le pays, et non pas conseiller au journaliste de changer de lieu d’habitation pour acheter moins cher. Henni s’est tout de suite rendu compte qu’il n’aurait jamais dû parler ainsi, et il a quitté précipitamment l’Hémicycle, très contrarié. »

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La sanction est tombée le soir même. Le désormais ex-ministre de l’Agriculture est remplacé par le ministre des Transports, Youcef Cherfa, auquel succède Mohamed El Habib Zahana, anciennement secrétaire général du ministère de l’Intérieur.

En poste depuis deux ans, Abdelhafid Henni était déjà au cœur de la tourmente ces dernières semaines. Une conséquence de la hausse sans précédent du prix du kilo de poulet, qui s’élève à plus de 600 dinars. Plusieurs réunions de crise avec les différents intervenants du secteur avicole ont eu lieu la semaine dernière et ont abouti à la délivrance de licences d’importation de viande blanche au profit d’opérateurs publics et privés, afin d’approvisionner en urgence le marché national. Des mesures qui ne se sont pas soldées pour autant par une baisse du prix du poulet, qui oscille toujours entre 580 et 600 dinars le kilo.

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Manque d’anticipation

Dans sa note de conjoncture pour le troisième trimestre 2023, publiée mi-octobre, l’observatoire des filières avicoles algériennes a pointé du doigt le manque d’anticipation du ministère de l’Agriculture. Les experts soutiennent que les prix des produits avicoles (poulet de chair et œufs de consommation) ont enregistré des tendances à la hausse dès le mois de juillet : jusqu’à +48% pour le poulet et +17% pour les œufs.

Une augmentation des prix principalement due, toujours selon le rapport de l’observatoire, aux maladies aviaires et aux conditions climatiques, qui ont contraint un grand nombre d’éleveurs à cesser leur activité. Ainsi qu’à une mauvaise structuration de la filière avicole, car la plupart des éleveurs ne sont pas répertoriés et travaillent sans agrément, hors du circuit officiel, alors que leur production représente 50% du marché, fustige de son côté Mustapha Zebdi, président de l’Organisation algérienne de protection et d’orientation du consommateur et son environnement. Autant de griefs qui mettaient Abdelhafid Henni en mauvaise posture, et ce bien avant l’incident au Parlement.

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