Mosab Hassan Youssef, petit prince du Hamas devenu espion israélien
« Si le Hamas ne libère pas les otages dans les délais impartis, Israël doit exécuter les principaux leaders du mouvement détenus dans ses prisons. » Les déclarations récentes de l’ancien agent du Shin Bet, fils du cheikh Hassan Youssef, l’un de ces responsables incarcérés, ont parachevé son statut de célébrité controversée.
Dans le chaotique flux d’informations sur la guerre entre le Hamas et Israël, une vidéo surprenante diffusée sur le web a fait les gros titres des médias. Avec des propos calmes, dépassionnés, un homme demande à l’État hébreu « d’éliminer les chefs du Hamas, y compris [son] propre père, si cela peut garantir la libération des otages détenus par le Hamas ». Cet inconnu à l’allure d’ascète et au regard perçant est Mosab Hassan Youssef, le fils du cheikh Hassan Youssef, prédicateur influent et membre fondateur du groupe classé « organisation terroriste » par de nombreux pays.
À Gaza, il vaut d’ailleurs mieux citer le diable que de prononcer le nom de celui que son propre père et que toute sa famille ont maudit plus d’une fois et renié dès 2010. Comme si Mosab, 45 ans, avait été à l’origine des malheurs qui se sont abattus sur les siens. « Des épreuves d’Allah », dirait son père, mais celles-ci sont particulièrement hors normes.
Tout prédestinait l’aîné des neuf enfants de Hassan Youssef à prendre la relève du chef de famille. Éducation rigoureuse, connaissance approfondie de l’islam et de l’idéologie des Frères musulmans… Mosab a à peine 9 ans quand son père contribue à fonder le Hamas. Natif de Ramallah en Cisjordanie, il baigne, dès 1988, dans la contestation palestinienne de la première Intifada qui embrase les Territoires occupés et se trouve aux premières loges de l’escalade des hostilités envers les colons israéliens qui petit à petit grignotent les terres des siens.
Un mélange explosif qui conduit naturellement cet héritier à devenir, adolescent, le héraut de la nouvelle lutte pour l’indépendance palestinienne. Loué par les uns et les autres, on en vient même à le surnommer le Prince vert, titre d’un documentaire, primé au festival de Sundance en 2014, qui fait allusion à l’islamisme et à son engagement. Si l’homme assure ne pas avoir été élevé dans la haine, on voit mal comment il aurait pu ne pas en éprouver contre l’occupant israélien. Il vient de fêter ses 18 ans lorsqu’il est arrêté une première fois, pour possession d’armes.
Retourné par le Shin Bet
Pour le Shin Bet, c’est une prise de choix : non seulement il révèle au cours d’interrogatoires des informations utiles, mais il présente aussi le profil d’un jeune homme malléable, de ceux qui peuvent être « retournés » par les méthodes habiles et éprouvées des renseignements militaires israéliens. Le fils d’un chef du Hamas, agent de Tel-Aviv ? L’occasion est trop belle pour la laisser échapper. Mosab n’y verra que du feu. Tout en douceur, les professionnels des services mettront tout en œuvre pour amadouer et modeler cet esprit jeune, rebelle et sensible. Son ancien agent traitant, Gonen Ben Itzhak, que Mosab a connu comme le « capitaine Loaï », rapporte que, comme tout prisonnier, il a d’abord été malmené, privé de sommeil, avant qu’on lui propose de devenir un informateur.
Mosab accepte, pensant pouvoir rompre l’arrangement plus tard. Mais des semaines à la prison de Megiddo, dans le nord d’Israël, le mettent en contact avec une réalité méconnue : la barbarie dont fait preuve le Hamas dans sa chasse aux indics dans les geôles israéliennes. Une situation insupportable, bouleversante pour le jeune homme qui découvre combien « les valeureux combattants se révèlent souvent derrière les barreaux, n’être que de décevants bigots, des hypocrites ». Son idéal en prend un coup. Il finit par craindre tout le monde sauf le « capitaine Loaï », l’agent arabophone qui expliquera plus tard qu’« une bonne source ne se recrute pas avec de l’argent ou des menaces, mais par l’affect ».
Mission accomplie : en sortant de prison, Mosab est un agent israélien. Il reste un peu naïf, s’étonne que l’unique recommandation du Shin Bet soit « de poursuivre ses études et d’être un bon fils » – il croit les Israéliens magnanimes. En fait ceux-ci lui confectionnent une couverture : sa légende. À 22 ans, Mosab est le bras droit de son père. Il exerce une autorité certaine, évolue parmi les dirigeants du Hamas, est respecté, au-dessus de tout soupçon.
Au démarrage de la deuxième Intifada, il est « opérationnel » aux yeux du Shin Bet. Il va livrer à ses commanditaires une liste des attentats kamikazes ciblant des civils israéliens, aide à déjouer une tentative d’assassinat de Shimon Peres, ministre des Affaires étrangères, permet l’arrestation d’Abdallah Barghouti, artificier du Hamas, apporte les preuves du financement des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa par Yasser Arafat et fait démanteler des cellules terroristes.
Converti au christianisme
Partagé entre « Israël et la civilisation » et « la guerre au nom de l’Islam », Mosab est aussi en proie à des crises de doute. Les Israéliens lui remettront la main dessus à plusieurs reprises, simulant des arrestations qui permettent au « capitaine Loaï » d’ajuster les curseurs de l’informateur, pendant que les jeunes Palestiniens continuent à le considérer comme un héros. À l’époque, il parvient à protéger son père des opérations commando de l’armée israélienne, décidée à en finir avec les dirigeants du Hamas.
Mosab est pris entre tous les feux et dans tous les tourments quand il a la révélation de Jésus. À partir de 1999, il fréquente un groupe de prière évangéliste qui change sa vie, se convertit en secret au christianisme, croyant avoir trouvé là la voie de la rédemption. Elle passe par les États-Unis, où il se rend, officiellement pour soigner une déformation de la mâchoire, après de longues négociations avec le Shin Bet. Les services israéliens ont une bonne raison de se montrer si bienveillant : pour eux Mosab est fini. Devenu trop vulnérable, il perd en fiabilité. « À chaque seconde, il mentait à quelqu’un », se souvient Gonen Ben Itzhak, le « capitaine Loaï », qui s’est employé, pendant dix ans, à consolider l’estime de soi de son protégé.
En Californie, à San Diego, le Palestinien rejoint une communauté évangélique. Livré à lui-même, Mosab décide alors de révéler, dans les colonnes du quotidien Haaretz, sa conversion. Désormais considéré comme un apostat par les siens, il sait sa rupture consommée, sans retour possible.
Lâché par le service de renseignement intérieur israélien et empêtré dans des problèmes avec l’immigration américaine, Mosab avouera bientôt avoir été agent de l’État hébreu. « Nous avons entièrement renié l’homme qui était notre fils aîné et se prénomme Mosab », annonce alors le patriarche, Hassan Youssef. Il ne le sait pas encore mais, comme dans une tragédie antique, il sera quelques années plus tard amené à renier également son fils cadet, « coupable » d’avoir en 2019 dévoilé la corruption qui touche certains dirigeants du Hamas.
Nationalité américaine refusée
Mosab, lui, fait l’expérience de l’exil. Il vit un temps en Thaïlande, où il devient adepte du yoga ashtanga. Et demande la nationalité américaine. Mais celle-ci lui est refusée du fait de son lien avec une organisation terroriste. Le voilà souffrant d’un revers inattendu : personne ne semble tenir compte des services qu’il a rendus. Il joue alors son va-tout – avec une excellente maîtrise de sa communication – en publiant, en 2010, Son of Hamas [Le fils du Hamas, non traduit], un récit autobiographique. Le témoignage de Gonen Ben Itzhak, qui enfreint pour l’occasion son devoir de réserve, sauve Mosab d’une expulsion et permettra finalement sa naturalisation.
Malgré cela, la nouvelle vie du citoyen américain Mosab se solde vite par des déconvenues. Lorsqu’il rend explicite son refus de se poser en « symbole de la suprématie du christianisme sur l’islam », l’intérêt pour son livre de confessions se tarit et les conférences auxquelles il était invité, au départ, se font de plus en plus rares.
Depuis le 7 octobre dernier, la guerre du Hamas contre Israël lui a redonné une certaine visibilité. On le voit siéger avec la délégation israélienne, le visage émacié et portant la barbe, lors du Conseil de sécurité des Nations unies. Il apparaît dans les médias pour exhorter les Palestiniens et libérer Gaza du joug du Hamas.
Lorsque les journalistes tentent de l’interroger sur des sujets plus personnels, il esquive, leur demandant de le « laisser en paix avec son fardeau ». Il confie tout de même ressentir, parfois, la nostalgie de Ramallah. Sur les réseaux sociaux, il tente de prendre des nouvelles de ceux qui étaient les siens. Et surtout de ses neveux, qu’il ne connaît pas.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Le livre « Algérie juive » soulève une tempête dans le pays
- Maroc-Algérie : que contiennent les archives sur la frontière promises par Macron ?
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- En Algérie, le ministre Ali Aoun affaibli après l’arrestation de son fils pour cor...
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police