Qui est Malik Lemseffer, l’architecte du renouveau des magasins Tati de Barbès à Paris
Avec son associé Édouard Bettencourt, ce jeune franco-marocain a remporté le concours « Réinventer Paris 3 » pour rénover les magasins emblématiques du quartier Barbès, dans le nord de la capitale française. Portrait.
À l’extravagance et au grandiose – limite show-off – des réalisations de Zaha Hadid, on pourrait opposer la sobriété et l’humilité de la démarche de Malik Lemseffer, jeune architecte marocain en charge de la rénovation des magasins Tati, dans le quartier Barbès, à Paris.
Aujourd’hui âgé de tout juste 32 ans, c’est une personnalité marquée par la mesure, l’écoute et le respect d’autrui, et le désir d’œuvrer en faveur d’une architecture en harmonie avec son environnement, qui prend en compte la géographie et les matériaux locaux.
« Notre philosophie, c’est l’anti-bling-bling, à l’opposé de la génération d’architectes stars qui nous a précédés et qui avait tendance à la démesure, parfois au détriment du sens », nous lance d’entrée de jeu cet architecte natif de Casablanca. « Nous appartenons à une époque différente, le temps où tous les robinets étaient ouverts est fini. Il y a une conscience qu’il faut décélérer et tendre vers plus de sobriété, parce que nous avons des préoccupations différentes aujourd’hui, notamment en matière de climat, de développement durable, etc. »
Préservation du patrimoine
C’est ce même état d’esprit qui a permis à l’agence Studio Belem – qu’il a cofondée avec son associé et ami Édouard Bettencourt – de décrocher le concours pour la rénovation des emblématiques magasins Tati, face à pléthore d’architectes autrement plus expérimentés et connus. « Je me suis retrouvé en finale contre mes anciens employeurs, c’était vraiment incroyable, se souvient Malik Lemseffer. La mairie de Paris a été séduite par notre postulat de base en faveur de la préservation d’un patrimoine parisien, au-delà même de l’idée de mixité que nous avons intégrée dans Barbès Connexion. »
Le projet prévoit notamment la cohabitation « sur un îlot parisien classique à la fois du bureau, du logement, du logement social, un équipement culturel sur 1 000 m2 axé autour de l’Afrique et un hôtel, avec de nombreuses terrasses et espaces communs ». « L’idée n’est pas de démolir à outrance et d’arriver avec un objet ego trip d’architecte, mais plutôt de pouvoir garder tout ce qui peut l’être pour s’intégrer de manière la plus naturelle dans le contexte existant et offrir aux habitants de ce quartier un lieu qui leur ressemble », met en avant le jeune architecte. C’est ainsi que le bâtiment haussmannien d’angle, figure de proue des magasins Tati, sera conservé, ainsi que tous les bâtiments faubouriens qui remontent le long du boulevard Marguerite-de-Rochechouart.
La préservation du patrimoine, c’est aussi ce qui motivait la table ronde organisée par Malik Lemseffer et ses acolytes du Studio Belem, à Paris, le 14 octobre, sur le thème « Maroc post-séisme ou l’architecture mise à l’épreuve : comment réédifier la résilience ? », avec plusieurs experts de la reconstruction. Travaillant en France, l’homme reste en effet préoccupé par les problématiques de son pays. Surtout à la suite du drame qui a frappé le 8 septembre la région du Haouz, et après lequel un grand travail de reconstruction a été lancé par l’État.
Son idée pour contribuer à l’effort public est assez originale : ne pas venir avec un catalogue opportuniste de solutions toutes faites, mais plutôt prendre du recul sur le sujet : faire un état des lieux, un abécédaire des dispositifs architecturaux vernaculaires de ces régions-là qui prendrait la forme d’un ouvrage, répertoriant un maximum de données sur l’architecture traditionnelle, et organiser une exposition autour du sujet. De quoi rendre un peu au pays qui a vu sa passion pour le métier d’architecte éclore.
Influence paternelle… et sud-américaine
C’est aux côtés d’un père architecte (en architecture résidentielle principalement), qui l’initie à ce domaine en l’emmenant avec lui sur ses chantiers, que Malik Lemseffer a grandi au Maroc jusqu’à ses 18 ans. « Ces moments avec mon père sur son lieu de travail, que ce soit en agence ou pour aller superviser des travaux de construction, m’ont beaucoup marqué », se souvient-il, soulignant leur influence sur sa vocation, notamment avec les balades dans le centre-ville de Casablanca, véritable laboratoire architectural du XXe siècle.
C’est donc tout naturellement qu’après le baccalauréat, le jeune homme s’inscrit à l’École spéciale d’architecture (ESA), à Paris. Une période où les voyages et les échanges, qui le mènent au Pérou puis au Brésil, joueront un rôle clef. « Mes séjours en Amérique du Sud ont été de véritables claques d’architecture, de vernacularité, d’intelligence, de construction, d’assemblage. J’ai vu des choses là-bas beaucoup plus pertinentes et plus modernes que l’architecture que l’on fait aujourd’hui », confie Malik Lemseffer.
C’est à ce moment-là aussi qu’il rencontre son futur associé, Édouard Bettencourt, alors en échange au Brésil. À leur retour à Paris, tous deux travaillent pendant quelques années en agence, notamment chez Valode et Pistre, avant de fonder ensemble Studio Belem : « C’est vraiment un rêve de jeunes, issu d’une amitié née au Brésil et que nous avons voulu poursuivre par un partenariat professionnel. Dans un premier temps en travaillant sur des petits projets et concours en parallèle de nos jobs respectifs, puis en créant notre propre agence », expose l’architecte marocain.
Penser le logement après le Covid
Ensemble, Édouarc Bettencourt et Malik Lemseffer se font connaître grâce à l’Aula Modula, concept de logements collectifs post-crise du coronavirus, où les pièces à vivre sont réversibles et hybrides, permettant d’habiter et de travailler, avec des pièces qui proposent des espaces disponibles où les habitants ont le choix de programmer une diversité d’activités selon leurs envies et les exigences du quotidien.
« Aujourd’hui, le logement tel qu’il est dessiné en France et partout dans le monde, répond à des normes d’habitat qui n’ont pas forcément évolué depuis la Seconde Guerre mondiale, alors même que la composition et le fonctionnement des foyers aujourd’hui a beaucoup changé. Il faut pouvoir s’adapter à ces nouvelles contraintes », souligne Lemseffer.
À la suite de l’exposition de ce projet à la galerie Archilib à Paris, le binôme est approché par de nombreux professionnels de l’immobilier, dont le promoteur belge Immobel, qui leur propose de participer au concours « Réinventer Paris 3 », lancé par la ville de Paris pour le site des anciens magasins Tati de Barbès.
« Travailler sur ce site me tenait à cœur et me motivait à titre professionnel mais aussi personnel. Cela d’autant plus que j’ai vécu à Barbès, quartier bouillonnant de creuset culturel, au carrefour de plusieurs mondes, avec la Goutte d’or qui est plutôt d’essence maghrébine et Château rouge qui est plus sur l’Afrique subsaharienne », relate Malik Lemseffer, qui a remporté ce concours face à une trentaine de candidats.
Une agence en croissance
« Quand on a commencé à travailler sur ce projet, il n’y avait qu’Édouard et moi à l’agence. Aujourd’hui, on est à peu près une dizaine », poursuit le jeune architecte, convaincu que gagner ce concours à forte dimension cooptative a permis aux deux compères de Studio Belem d’être reconnus par le milieu, notamment après l’exposition du projet de rénovation au pavillon de l’Arsenal.
D’autres projets viendront ensuite autour des thèmes de la restructuration urbaine et de la mixité programmatique. Malik Lemseffer et Édouard Bettencourt ont été appelés par la Croix rouge pour travailler sur l’éco-campus Didot, situé sur le site de l’ancien hôpital Broussais, dans le 14e arrondissement de Paris (sud-est).
« Dans ce multi-programme d’à peu près 300 00 m2 qui abritera le siège de la Croix rouge [qui était jusque-là à Montrouge] et où il y aura des incubateurs, des écoles, etc., une partie logement est aussi prévue. Notre souhait est d’en faire des logements sociaux inclusifs, pour des personnes en situation de handicap qu’on mélangera avec d’autres types de populations, pour des personnes âgées, etc. Ce projet s’inscrit dans une démarche pas seulement économique et pécuniaire, mais vraiment dans le sens de l’humilité, qui symbolise de façon plus générale notre philosophie par rapport à l’architecture. »
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