Biodiversité malgache : un poisson nommé Joba Mena
À l’Aquarium tropical de la Porte dorée (Paris), une exposition retrace les aventures de scientifiques partis à la recherche d’un petit poisson de Madagascar, que l’on crut un temps proche de l’extinction. Une BD signée Singeon l’accompagne.
Deux petits poissons derrière la vitre de leur aquarium. La scène pourrait être d’une tristesse infinie. Et pourtant, il faut se réjouir de les voir là, au sous-sol du Musée national de l’histoire de l’immigration, ces représentants de l’espèce Ptychochromis insolitus, de la famille des Cichlidés, car ils reviennent de loin. L’Aquarium tropical de la Porte dorée, bien connu des Parisiens pour son ambiance intimiste un tantinet surannée, consacre d’ailleurs toute une exposition à leur histoire. Intitulée Il faut sauver le Joba Mena, elle est ouverte jusqu’au 1er septembre 2024.
Derniers représentants
Joba Mena ? C’est le nom malgache de ce poisson endémique de la Grande Île, que l’on pensa, un temps, disparu. Une histoire que Charles-Edouard Fusari, le directeur de l’Aquarium, raconte avec beaucoup d’émotion. Elle commence en 2012, au zoo de Londres. Le conservateur, Brian Zimmerman, qui faisait l’inventaire des collections ichtyologiques en s’intéressant de près aux espèces d’eau douce en danger, découvrit alors qu’il n’existait plus que deux représentants mâle de ce cichlidé.
Le statut IUCN [Union internationale pour la conservation de la nature] du Joba Mena n’était pas clair, mais il semblait probable qu’il ait disparu à l’état sauvage. Alerté, inquiet, Brian Zimmerman se mit alors en quête d’autres représentants de l’espèce. Une réponse positive lui arriva de Berlin, où vivaient encore un mâle et une femelle. Malheureusement, les tentatives pour les pousser à se reproduire se soldèrent par la mort de la femelle !
« Wanted »
Brian Zimmerman eut alors l’idée de lancer une campagne médiatique, par le biais des réseaux sociaux, pour tenter de retrouver des Joba Mena, décrétés « gorgeously ugly » (« magnifiquement hideux ») par les aquariophiles. Habile, portée par une affiche « Wanted » pleine d’humour, la campagne remporta un large succès d’audience… mais n’apporta qu’une seule piste solide. Dans un courriel envoyé depuis Madagascar, Guy Tam Hyock, un bon connaisseur des poissons malgaches, soutenait qu’on pouvait encore trouver des Joba Mena dans une rivière proche de la zone protégée de Marotandrano. Une expédition fut alors montée pour sauver d’éventuels rescapés – et c’est cette expédition que raconte l’exposition de l’Aquarium tropical de Paris.
Santé et résilience
Pourquoi partir à la recherche d’un petit poisson dont le sort n’intéresse qu’une poignée de scientifiques ? Parce que les aquariums, comme les zoos, sont désormais sommés de travailler à la conservation des espèces – en particulier quand la survie desdites espèces dans leur milieu naturel est menacée par les activités de l’homme (pollution, déforestation, irrigation, surpêche, etc.). Parce que le maintien de la biodiversité est la condition essentielle d’un environnement sain et résilient. Parce qu’il faut faire œuvre de pédagogie face aux bulldozers sans foi ni loi du capitalisme contemporain.
Après quelques jours de recherches infructueuses, les scientifiques ont fini par retrouver la trace du Joba Mena dans la rivière Amboaboa. En prélevant quelques individus, ils sont parvenus à mettre en place des « populations de secours », élevées dans les étangs de pisciculture de Guy Tam Hyock et gérées avec l’Association des producteurs privés d’alevins d’Andapa (APPA). C’est de ces populations de secours que proviennent les deux Joba Mena que l’on peut voir aujourd’hui, dans la section consacrée aux poissons d’eau douce de Madagascar, à l’aquarium de la Porte dorée.
Une expédition en bande dessinée
Immersive, l’exposition Il faut sauver le Joba Mena permet aux enfants comme aux adultes de découvrir les coulisses d’une expédition scientifique. Faisant la part belle à la bande dessinée, elle s’accompagne d’un album, Comme un poisson hors de l’eau, signé Singeon. Le dessinateur, qui s’est rendu célèbre en illustrant la série Bienvenue, de l’Ivoirienne Marguerite Abouet, y raconte sa participation à une expédition menée en 2022 à Madagascar par l’équipe de l’aquarium.
Sauver le Joba Mena n’était en effet que le début d’une mission de long terme : dans le cadre du programme Fish Net et en partenariat avec des structures malgaches et britanniques, les scientifiques entendent bien œuvrer à la restauration de l’environnement dégradé de la région, ainsi, éventuellement, qu’à la sauvegarde d’autres espèces menacées.
La bande dessinée de Singeon offre une sorte de long reportage, dans lequel l’auteur se met en scène à la manière d’un Tintin moderne – sans la dimension raciste, évidemment – découvrant Madagascar à l’occasion d’un voyage scientifique. Avec une rare sincérité, il raconte son périple en compagnie de Charles-Edouard Fusari et de ses collègues, mêlant habilement informations scientifiques, anecdotes et péripéties. Surtout, il s’attache à décrire ses rencontres et les personnes qui, de près ou de loin, sont concernées par la survie de quelques poissons d’eau douce endémiques de Madagascar. Français, Malgaches, peu importe, il s’agit d’évoquer les relations de l’être humain avec son environnement. Et, en la matière, nous sommes tous concernés.
Il faut sauver le Joba Mena, Aquarium tropical de la Porte dorée, sous le commissariat de Charles-Edouard Fusari et de Brian Zimmerman, jusqu’au 1er septembre 2024.
Comme un poisson dans l’eau, de Singeon, éd. Dargaud, 72 pages, 15 euros.
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