Bamba Lô : « Le Sénégal a su faire progresser son écosystème tech »

Actualité au Sénégal, économie régionale, Zlecaf ou encore rôle des entrepreneurs à l’aube de la prochaine élection présidentielle de février 2024, le cofondateur de la start-up sénégalaise Paps fait le point sur les faits saillants qui émaillent son quotidien.

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Publié le 2 décembre 2023 Lecture : 8 minutes.

L’ACTU VUE PAR – Fondée en 2016, par Rokhaya Sy et Bamba Lô, Paps s’est rapidement transformé de la simple application de livraison à la demande, mettant en relation clients et livreurs, en une start-up de la logistique incontournable au Sénégal, mais aussi en Côte d’Ivoire et au Bénin, ces deux dernières implantations.

Aujourd’hui, l’entreprise emploie une centaine de personnes, dispose d’une flotte de 500 véhicules et fait fructifier ses partenariats avec de nombreux acteurs de la sous-région tel le géant du e-commerce Jumia.

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Grand invité de l’économie RFI – Jeune Afrique du mois de décembre, il évoque pêle-mêle la situation politico-économique au Sénégal, les contraintes et réalités du secteur de la tech en Afrique de l’Ouest francophone, et aborde également le sujet central de la formation et de l’emploi des jeunes. Rencontre.

Jeune Afrique : Pour démarrer cet entretien au cœur de l’actualité, avec la campagne présidentielle au Sénégal, estimez-vous que l’on y parle suffisamment d’économie et des entrepreneurs ?

Bamba Lô : Comme tout bon citoyen, je suis la campagne avec attention et attends de voir le programme que nous offrira le prochain président ou la prochaine présidente.

Pour autant, pour le moment, on n’a pas encore entendu de sujets économiques ou liés à l’entreprise de manière générale. Or, il y a vraiment beaucoup de choses que l’on pourrait faire. En tout cas, j’attends un peu plus de substance sur ce qu’est un entrepreneur, avec une centaine d’employés, aujourd’hui. Quelle collaboration pourra-t-il avoir avec l’État afin de pouvoir créer encore plus d’emplois et d’opportunités pour nos clients ?

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Avez-vous des recommandations à ce propos ?

J’agis sur mon environnement direct : ma famille, mon entreprise, mon quartier. C’est ce que je maîtrise. Au-delà de cela, je reste un entrepreneur qui a pour vocation de créer de la valeur et apporter des solutions.

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Parmi les attentes de la population, on retrouve les questions sociales. Dans votre secteur, que pouvez-vous dire des conditions de travail ou encore de la féminisation du transport et de la logistique ?

Pour apporter de la performance dans une entreprise, il faut à un moment donné avoir de bonnes conditions de travail. Tant bien que mal, mettre le « top du top » en termes de conditions de travail pour que nos employés disposent d’un bon environnement pour travailler, de contrats décents, et surtout puissent avoir envie tous les matins de venir et de porter la mission de Paps.

S’agissant de la féminisation, nous avons réussi à féminiser notre entreprise à 40 % aujourd’hui en nous basant uniquement sur des compétences.

Donc il y a des « Papseuses » aujourd’hui ?

Absolument, des « Papseuses » qui sont convoyeuses, livreuses, mais travaillent également à des postes administratifs.

En juin dernier, Dakar et plusieurs grandes villes au Sénégal se sont embrasées, en lien avec l’affaire Ousmane Sonko et un certain rejet de la classe politique. Quelles conséquences ces événements ont-ils eu sur vos activités ?

Nous avons souffert des conséquences en effet. Mais nous avons surtout été marqués par le silence, à ce moment-là, du gouvernement. Un silence qui a fait du mal à beaucoup de monde.

Et d’un point de vue pratique, comment avez-vous pu effectuer vos livraisons, faire transiter vos marchandises, durant cette période ?

C’est simple, nous n’avons pas travaillé ! Nous avons fermé car, pour dire les choses de manière très claire, nous avons une responsabilité, celle d’être un tiers de confiance pour nos clients. Nous transportons du matériel, parfois de valeur, mais aussi et surtout nous avons des employés qu’on ne peut pas amener au front, au risque de se faire agresser, là où tout peut se passer.

Le peuple compte sur ses élites pour le rassurer

Bamba LôCofondateur de Paps

Vous dites que vous regrettez le silence du gouvernement à l’époque. Qu’aurait-il dû dire, selon vous ?

Je pense que vous allez anticiper ma réponse : « dû », c’est un grand mot. Ce que beaucoup ont attendu durant cette période-là, c’est une prise de parole plus tôt. Ce qui a été fait un peu tard.

Prendre la parole, c’est rassurant. Le peuple compte sur ses élites, sur ses role models, sur son leader. Et quand on n’a pas ce retour, cela fait du mal à beaucoup de monde. Les élites, de manière générale, ont sous-estimé ce mouvement dans un premier temps, considérant que les choses allaient se calmer.

Baïdy Agne, le président du Conseil national du patronat, interrogé par Jeune Afrique en septembre, pointait le rôle du secteur privé pour répondre aux attentes de cette jeunesse embarquée dans ce mouvement de contestation. Qu’en pensez-vous ?

Je suis tout à fait d’accord, il faut que chacun connaisse son rôle. Dans la société, le rôle de l’entreprise est d’apporter des solutions, de créer de la valeur, de créer de l’emploi. Et puis dans une certaine mesure, d’avoir un impact sur son environnement.

Cette jeunesse aussi, utilise internet, les réseaux sociaux… Quand on sait le risque de coupures aux abords de tels événements, et sans doute à l’abord de l’élection présidentielle, cela vous inquiète-t-il ?

Clairement oui, parce qu’on parle de moyens de communication et mais aussi de transaction. Par exemple, en Asie, Tik Tok est devenu une plateforme d’e-commerce. Avec le format vidéo, les gens se filment et vendent leurs produits à travers le réseau social. Nous n’avons pas encore cette version de Tik Tok en Afrique, mais ça arrivera. Il ne faudrait alors pas que les gens soient contraints de ne plus pouvoir faire des affaires comme ils le souhaitent.

De l’autre côté, il y a le sujet de la liberté d’expression. La communication et l’accès à des réseaux sociaux ou à des lignes téléphoniques. C’est quand même un problème quand on coupe ces moyens de communication. Et il se trouve qu’on s’adresse plutôt aux jeunes, donc on cible la coupure.

L’environnement est plus propice à l’entreprenariat

Bamba LôCofondateur de Paps

Venons-en plus précisément à cet écosystème tech en Afrique qui est bien plus dynamique en Afrique anglophone (Nigeria, Kenya) qu’en Afrique francophone. Seuls 5% des investissements sont captés par les seconds, alors que les premiers raflent l’essentiel des levées de fonds. N’y a-t-il pas un problème selon vous ?

Non, ce n’est pas un problème en soi. Il s’agit du cycle naturel des choses. Lorsqu’on compare les différents écosystèmes, les anglophones ont une taille de marché beaucoup plus conséquente, donc, de fait, les investisseurs sont davantage attirés par leur exposition.

Beaucoup de fondateurs de start-up au Nigeria ou au Kenya ont travaillé dans des GAFA. Ils ont l’expérience des levées de fonds. Mais surtout, leur écosystème existe depuis plus longtemps. Il ne faut pas oublier quand on parle de Jumia par exemple, l’entreprise a été d’abord lancée au Nigeria. C’est une bonne chose car cette expérience a ensuite ruisselé dans l’écosystème francophone.

Les rapports de force pourraient-ils évoluer jusqu’à s’inverser ?

En réalité, je ne sais pas s’il y a un rapport de force. Lorsqu’on est un investisseur américain par exemple, que l’on voit qu’il y a plus de levées de fonds au Nigeria et qu’en face une start-up sénégalaise demande de l’argent, va-t-on systématiquement vers le marché énorme où les levées de fonds sont régulières ?

Peut-être que certains ont ce réflexe-là, d’autres regardent l’Afrique comme un ensemble de pays avec, pour chacun des avantages et des inconvénients, et certains sont considérés pour leur position stratégique de « hub ». C’est le cas du Sénégal. Donc tout est une question de perspective.

Effectivement, le Sénégal est l’un des pays africains qui ont adopté un Start-up Act avec une série de mesures d’incitation. Le cadre réglementaire convient-il à une jeune pousse qui veut s’installer aujourd’hui dans le pays ?

Il convient mieux qu’avant, on a fait des progrès par rapport aux générations précédentes qui se sont lancées. L’environnement est plus propice à l’entreprenariat, on a une couverture technologique, un réseau internet de haut niveau et au coût accessible. Le problème aujourd’hui c’est qu’il y a beaucoup de jeunes, beaucoup de monde, et peu d’opportunités.

Est-ce que justement vous pourriez, à votre niveau, faire évoluer votre modèle vers plus de stockage, plus de logistique, pour prendre de l’ampleur ? Un modèle d’« Amazon africain » comme votre partenaire Jumia vous fait-il rêver ?

Ce qui me fait rêver, c’est de faire en sorte que nos clients locaux puissent vous vendre ici en France et vice-versa. Donc faire le pont entre l’Afrique de l’Ouest et la France, permettre à toutes ces grandes entreprises du CAC 40 de ne pas forcément miser sur un seul marché mais pouvoir aller un peu plus loin et cibler cibler la francophonie.

Quand on connaît la situation du moment dans certains pays du Sahel, avec des bouleversements politiques importants, comment fait-on pour anticiper les difficultés logistiques ?

On est obligé d’être flexible et agile. L’idée c’est de pouvoir s’orienter vers les pays qui offrent plus de stabilité. C’est pour cela que nous avons choisi les pays dans lesquels nous nous trouvons [Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin, NDLR].

Aujourd’hui, pour pouvoir atteindre des pays frontaliers, nous passons par des partenaires, via des acteurs locaux qui maîtrisent les pays, connaissent l’environnement. Ensemble, nous essayons de construire quelque chose qui tient la route pour que notre client puisse être servi au bon moment.

Vous devez avoir de fortes attentes vis-à-vis de la Zlecaf, la zone de libre-échange continentale africaine…

Nous vivons l’intégration à petite échelle en Afrique de l’Ouest, au sein de la zone Uemoa où nous avons une monnaie commune. Avec la Zlecaf, il y a la crainte que les écarts se creusent au niveau continental. Il faudra réfléchir à une manière de faire en sorte qu’on réussisse à ne pas protéger, mais peut-être encadrer le commerce entre les grandes puissances africaines et les petits pays du continent.

Bamba Lô, vous avez été formé en France et au Canada. Si l’on regarde l’initiative du banquier nigérian Herbert Wigwe, qui a décidé d’investir massivement dans l’éducation en Afrique, êtes-vous d’accord avec le fait qu’il n’y a pas assez de grandes écoles, notamment dans la tech, sur le continent ?

Il n’y en a pas assez, et celles qui sont sur le continent servent souvent des sociétés qui sont hors du continent. Ce qui fait qu’on a une fuite de compétences. Et même si ces jeunes diplômés de la tech restent sur le continent, ils travaillent fréquemment pour des sociétés qui ne créent pas directement de valeur sur le continent.

Comment éviter cette fuite des compétences ?

Digitaliser, rendre accessible la formation, rendre accessible l’entreprise. Que les universités et les écoles écoles supérieures puissent co-construire des programmes avec des entreprises. Qu’il y ait plus d’immersion.

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