Militants en prison, organisations interdites… La rapporteuse spéciale de l’ONU est à Alger

Mary Lawlor, rapporteuse spéciale de l’ONU chargée de la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains, est en Algérie. Au menu de sa visite : des entretiens avec les autorités et avec des militants, dont certains sont emprisonnés. Elle rendra un rapport en mars 2024.

Mary Lawlor, le 13 octobre 2023. © UNPHOTO

Mary Lawlor, le 13 octobre 2023. © UNPHOTO

Publié le 4 décembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Mary Lawlor, la rapporteuse spéciale de l’ONU chargée d’examiner la situation des défenseurs des droits de l’homme, en visite en Algérie depuis le 26 novembre et jusqu’au 5 décembre, a pu avoir accès aux prisons d’El Harrach (Alger), de Koléa et de Tiaret.

C’est une première, dans ce pays, pour un expert onusien. Mary Lawlor a aussi assisté, le 2 décembre, à l’ouverture du procès des membres de la section d’Oran de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), dissoute, au tribunal de Dar El Beida.

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Photos sur Facebook

Ces représentants – Saïd Boudour, Kaddour Chouicha et Jamila Loukil – « ne devraient pas être poursuivis pour leur travail en tant que défenseurs des droits humains », a-t-elle déclaré à sa sortie de l’audience. Elle a marqué sa solidarité avec les prévenus en publiant des photos, quelques heures plus tard, sur son compte Facebook.

Tous les trois comparaissaient pour répondre d’accusations de « complot portant atteinte à la sécurité de l’État et d’appartenance à une organisation terroriste », sur la base de l’article 87 bis du code pénal amendé en juin 2021, qui élargit la définition de l’acte terroriste à une « volonté d’accéder au pouvoir ou de changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels ».

Deux jours plus tôt, la rapporteuse avait pu échanger, à la prison d’El Harrach, avec le lanceur d’alerte anticorruption Noureddine Tounsi et avec la militante Karima Naït Sid, coprésidente du Congrès mondial amazigh, arrêtée en août 2021 et condamnée à trois années de prison pour « réception de fonds destinés à saper l’unité nationale et la sécurité de l’État », « utilisation de la technologie pour propager de fausses informations », et « adhésion à une organisation terroriste ».

Selon nos sources, d’autres visites à des prisonniers sont prévues – notamment avec Ahmed Manseri, l’ancien président de la section LADDH de Tiaret, qui purge une année de détention pour « diffusion de documents portant atteinte à l’intérêt national » et « incitation à une assemblée non armée ».

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Quel avenir pour la LADDH ?

Mary Lawlor, qui a consacré une grande partie de son programme à s’enquérir de la situation des militants de la LADDH, dissoute en janvier 2023, s’est également entretenue avec Abdelmoumene Khelil, son ancien secrétaire général. « J’ai expliqué à la rapporteuse qu’il fallait que les autorités garantissent aux citoyens la possibilité de défendre les droits humains individuellement ainsi qu’au sein d’associations autonomes, conformément à la Constitution algérienne et aux instruments internationaux de protection des droits humains. Au regard de cet impératif, la dissolution de la LADDH ne saurait être définitive », résume Abdelmoumene Khelil.

À Tizi-Ouzou, à l’hôtel Ittourar, la rapporteuse de l’ONU a également rencontré un groupe d’avocats engagé dans la défense des détenus d’opinion et du blogueur et militant Merzoug Touati. Selon Me Yamina Alili, ces échanges ont permis d’évoquer les poursuites judiciaires et les ISTN (interdictions de sortie du territoire national) prises à l’encontre d’une dizaine d’avocats sans qu’aucune action judiciaire ait été engagée au préalable. « Mary Lawlor m’a demandée si j’étais, moi aussi, concernée par cette mesure. J’ai répondu que je ne le savais pas, puisqu’on ne découvre qu’on est sous le coup d’une ISTN qu’une fois arrivé au contrôle de police, à l’aéroport », confie Yamina Alili.

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Au cours de son séjour, la rapporteuse de l’ONU a, en outre, animé des réunions avec l’équipe des Nations unies en poste dans le pays ainsi qu’avec le corps diplomatique, rencontré des journalistes, des universitaires et des représentants du mouvement associatif pour tenter de comprendre comment les principales lois et certaines décisions politiques affectent la liberté d’expression, d’association ou de réunion, et comment ces problèmes peuvent être résolus.

Mary Lawlor a également été reçue par des responsables officiels : les ministres Brahim Merad (Intérieur et Collectivités locales), Abderrachid Tabi (Justice) et Mohamed Lagab (Information et Communication). Elle s’est aussi entretenue avec le président du Conseil supérieur de la jeunesse, Mustapha Hidaoui, et avec Leïla Aslaoui, membre de la Cour constitutionnelle, qui représentait le président de l’institution, Omar Belhadj.

Facilités

Ces discussions ont permis de « passer en revue les réformes constitutionnelles et juridiques visant à protéger et à promouvoir les droits de l’homme et les libertés en Algérie, ainsi que les moyens de coopération avec les organisations et les mécanismes régionaux [qui travaillent sur ces sujets] », ont commenté les autorités algériennes. Pour sa part, la rapporteuse a évoqué avec plusieurs hauts responsables algériens « les questions liées à son mandat » et a salué « les facilités » dont elle a bénéficié pour accomplir sa mission en Algérie, qui s’achève ce mardi par une conférence de presse à l’hôtel Saint-Georges. L’experte présentera son rapport au Conseil des droits de l’homme de l’ONU en mars 2024.

Lors d’une conférence de presse organisée à Alger avant son départ, Mary Lawlor a enfin affirmé avoir constaté, à travers les entretiens qu’elle a eus lors de sa visite,  l’existence de « schémas de violations utilisés pour réprimer » les défenseurs des droits. Elle a notamment cité « l’acharnement judiciaire (…) par le biais de multiples poursuites pénales  » et a exhorté le gouvernement algérien à « libérer tous les défenseurs des droits emprisonnés pour l’exercice de leur liberté d’expression, d’opinion et d’association ». La rapporteuse a été particulièrement critique à l’égard de l’article 95 bis du code pénal. « La législation actuellement en vigueur est utilisée pour limiter et sanctionner le travail des défenseurs de droits de l’Homme », a-t-elle déploré, notant le recours à cet article en lien avec les questions terroristes pour « réprimer » ces militants. Selon elle, la définition du terrorisme dans cet article est si vague et si large qu’elle laisse aux services de sécurité une grande marge de manœuvre pour arrêter les défenseurs de droits de l’Homme.

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