Au Cameroun, la « journalistes Academy » Esstic face au défi du numérique

L’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication de Yaoundé vient de célébrer son cinquantième anniversaire. Portrait d’un fleuron du paysage académique camerounais en pleine transformation.

Entrée principale de l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication de Yaoundé (Esstic),  le 12 janvier 2024. © J. Abomo

Entrée principale de l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication de Yaoundé (Esstic), le 12 janvier 2024. © J. Abomo

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Publié le 28 janvier 2024 Lecture : 5 minutes.

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Dans les vastes couloirs de l’aéroport international d’Istanbul, en cet après-midi d’octobre 2023, une foule immense se mélange. En provenance de Paris, nous nous hâtons de rejoindre le hall C, point d’embarquement des voyageurs à destination de Yaoundé, la capitale camerounaise. Et c’est là que nous croisons Musi Ngum Ruth, 24 ans, présentatrice sur la chaîne d’information panafricaine Africa 24. Après avoir effectué une mission à Riyad, en Arabie saoudite, elle transite elle aussi par la Turquie pour rentrer au Cameroun. Mais son vol est retardé de deux heures, ce qui nous offre l’opportunité d’échanger. « Je voulais aussi couvrir le combat de Francis Ngannou [le boxeur camerounais affrontait le Britannique Tyson Fury, le 28 octobre dernier, à Riyad], mais il y avait trop de tracasseries », confie-t-elle, l’air las.

Finalement, l’avion décolle et, après plus de sept heures de vol, nous voici à l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen. Musi Ngum Ruth choisit de ne pas prendre de risques : « J’ai du matériel de production avec moi. Ce n’est pas prudent de me déplacer avec cela la nuit. Je préfère attendre qu’un taxi vienne me chercher ici [à Nsimalen] demain matin. »

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Une semaine après son retour de Riyad, nous retrouvons notre consœur dans les locaux d’Africa 24, où travaillent une dizaine de journalistes issus, comme elle, de l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic) de Yaoundé.

Pôle d’excellence Unesco

Originaire de Mbengwi (Nord-Ouest), Musi Ngum Ruth fait partie de la 47e promotion de journalisme de l’Esstic. Diplômée en 2020 et immédiatement recrutée par Africa 24 en tant que présentatrice, elle est « convaincue » que ses années à l’Esstic ont été et seront déterminantes dans sa carrière. « Les valeurs d’excellence inculquées par l’école ont nourri [sa] passion pour le métier et façonné [son] engagement envers un journalisme de qualité », assure-t-elle, bien décidée à suivre les traces de ses éminents prédécesseurs, parmi lesquels Charles Ndongo, directeur général de la Cameroon Radio Television (CRTV), Denise Epoté, désormais directrice marketing de TV5 Monde, Jean-Baptiste Placca, éditorialiste sur RFI, Paul Célestin Ndembiyembe, ancien directeur de Cameroon Tribune, l’écrivaine, photographe et réalisatrice Osvalde Lewat, ou encore le journaliste burkinabè Norbert Zongo, fondateur et directeur de l’hebdomadaire L’Indépendant, assassiné le 13 décembre 1998 à Sapouy, au Burkina Faso.

Auparavant réservé à une élite, l’établissement, qui est rattaché à l’Université de Yaoundé-II et reconnu pôle d’excellence par l’Unesco, a augmenté sa diversité sociale grâce aux politiques d’inclusion et d’équilibre régional, qui permettent désormais à tous les bacheliers ou titulaires du certificat général d’éducation (GCE) de se présenter au concours d’entrée – les droits d’inscription pour chaque année de licence s’élevant à 50 000 F CFA (environ 76 euros) et à 600 000 F CFA pour les masters professionnels.

Le processus de recrutement n’en demeure pas moins extrêmement sélectif puisque, chaque année, 1 000 à 1 500 candidats se présentent au concours pour seulement 300 places. En plus du dossier scolaire, ce qui fait la différence, c’est la curiosité manifestée par les candidats, leurs centres d’intérêts, mais aussi leur aisance à l’oral et leur sociabilité.

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Moments clés

Mais pour mieux (re)découvrir la grande école, rendez-vous est pris sur le campus de Ngoa-Ékélé, ancien siège administratif de la toute première université du Cameroun, à quelques pas du rectorat. Passé l’entrée, où des agents contrôlent discrètement les tenues vestimentaires (shorts, sandales, faux cils et ongles, coiffures extravagantes et vêtements moulants, notamment, sont interdits sur le campus), les photos encadrées sur les murs du bloc administratif sont autant d’instantanés capturant les moments clés de l’évolution de l’école.

L’établissement a été fondé le 17 avril 1970, sous le nom d’École supérieure internationale de journalisme de Yaoundé (Esijy), par le journaliste français Hervé Bourges, en collaboration avec l’État camerounais (par décret du président Ahmadou Ahidjo) et avec cinq autres États africains (Gabon, Centrafrique, Rwanda, Tchad et Togo). En 1976, Hervé Bourges cède la direction de l’école au Gabonais Jean-Paul Nyalendo, à son tour remplacé, en 1981, par Jacques Fame Ndongo (actuel ministre camerounais de l’Enseignement supérieur), puis Marc-Joseph Omgba Etoundi (1993), Laurent-Charles Boyomo Assala (2008), Alice Nga Minkala (2021) et François Marc Modzom (2023).

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En 1982, l’institution est nationalisée et devient École supérieure des sciences et techniques de l’information (Essti). « Comme cela arrive pour les organisations sous-régionales, les États traînaient les pieds pour se mettre à jour de leurs cotisations. L’État camerounais a donc décidé de la reprendre pour la sauver », explique le Pr Jean Nta À Bitang, actuel directeur adjoint, chargé des études.

Les défis du numérique et de l’emploi

En 1991, l’Essti élargit son offre académique aux filières de la documentation, de la communication, de la publicité et de l’édition, marquant ainsi sa transformation en École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic). « On aurait pu créer une école de communication en dehors d’une école de journalisme, mais l’option de l’ouverture a été choisie pour permettre à d’autres secteurs de former le plus de Camerounais possible », poursuit Jean Nta À Bitang. Sans pour autant exclure les étudiants étrangers tient-il à préciser : « Il n’y a pas une seule promotion où il n’y ait pas d’étrangers. » Lesquels viennent, ces dix dernières années, du Tchad, du Gabon, de Centrafrique, du Rwanda et de Côte d’Ivoire.

Depuis qu’il a pris la direction de l’Esstic en juillet 2023, année du cinquantenaire de l’établissement (célébré au Palais des congrès de Yaoundé en octobre dernier), François Marc Modzom, journaliste vedette de la CRTV et ancien élève de l’école (vice-major de sa promotion en 1987), a déjà introduit plusieurs innovations, notamment en matière de transformation digitale.

Il s’agit aussi de donner aux futurs diplômés les meilleures chances de trouver leur place sur le marché du travail – « dont nous devons être plus que jamais à l’écoute », confie Jean Nta À Bitang. Pour relever ces défis, l’école mise sur l’entrepreneuriat et les technologies, en particulier l’intelligence artificielle (IA), qui « influencent à la fois la manière d’enseigner et de traiter l’information », souligne le directeur adjoint. Elle renforce aussi son ouverture internationale en développant des partenariats avec des universités étrangères, telles que Lumière-Lyon-2 et Bordeaux-Montaigne, en France, ou Moncton, au Canada.

Cinq filières en licence

L’Esstic applique le système LMD (licence, master, doctorat) et propose cinq filières de licence – journalisme, édition et arts graphiques, information documentaire, communication des organisations, et publicité –, au cours desquelles les étudiants acquièrent des compétences théoriques et pratiques.

Après la licence, l’école dispense des formations de masters professionnels dans plusieurs spécialités, telles que la communication et la coopération internationale, la communication des entreprises et le marketing, le journalisme d’agence virtuelle et multimédia, ou encore l’ingénierie documentaire et archivistique. Elle propose par ailleurs un master recherche en sciences de l’information et de la communication (SIC), qui ouvre la voie vers un doctorat à ses étudiants qui, après avoir achevé leurs cursus, peuvent accéder à des bourses d’études, notamment dans les universités françaises et canadiennes partenaires.

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