Paix et sécurité : le vrai coût de la mise à l’écart des femmes africaines

Le quatrième Forum pour les femmes, la paix et la sécurité, organisé par l’Union africaine, s’est tenu les 13 et 14 décembre à Addis-Abeba, en Éthiopie. L’occasion, une fois de plus, de regretter le peu de place accordée aux femmes dans la recherche de la paix, alors même qu’elles sont les premières victimes des conflits et que leur efficacité lors de pourparlers a été démontrée.

Sahle-Work Zewde, la présidente de l’Éthiopie à inauguré l’Institut pour la femme, la paix et la sécurité en Afrique à Addis-Abeba, le 26 juillet 2023. © Karl Schoendorfer/REX/Shutterstock/SIPA

Sahle-Work Zewde, la présidente de l’Éthiopie à inauguré l’Institut pour la femme, la paix et la sécurité en Afrique à Addis-Abeba, le 26 juillet 2023. © Karl Schoendorfer/REX/Shutterstock/SIPA

Sihine Negede © DR
  • Sihine Negede

    Sihine Negede est experte en droits humains, basée à Addis-Abeba et diplômée de la School of Oriental and African Studies (SOAS), de l’Université de Londres.

Publié le 17 décembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Mieux vaut tard que jamais. Ce n’est qu’en l’an 2000, soit cinquante ans après sa création, que les Nations unies ont défini le statut spécifique de victimes de guerre des femmes, reconnaissant ainsi officiellement les répercussions disproportionnées qu’elles subissent lors des conflits. De nombreuses autres résolutions ont vu le jour depuis, et pourtant, vingt-trois ans plus tard, les progrès en matière de représentation des femmes lors des pourparlers ou des activités de consolidation de la paix dans le monde ont été plus que modestes. Les récents conflits en Éthiopie et ailleurs en Afrique ont jeté une lumière nouvelle sur ces lacunes, conduisant deux éminentes figures de la diplomatie éthiopienne, Kongit Sinegiorgis et Tadelech Hailemichael, à fonder l’Institut pour la femme, la paix et la sécurité en Afrique, inauguré le 26 juillet 2023 à Addis-Abeba en la présence de Sahle-Work Zewde, la présidente de l’Éthiopie.

Sous-représentation injustifiée

Grâce à la recherche, à la mise en place de formations et d’ateliers, cet organisme s’efforce de doter ceux qui suivent son cursus d’outils leur permettant de contribuer à renforcer la sécurité et la paix en misant sur les femmes et, donc, en favorisant l’égalité des genres. Maints travaux prouvent en effet l’influence positive des femmes sur la stabilité politique et les négociations de paix : si elles sont impliquées, un accord de paix a 20 % de chance supplémentaire de durer plus de deux ans et 35 % de chance de dépasser quinze ans. Pourtant, entre 1992 et 2019, elles ne représentaient que 13 % des négociateurs et 6 % des médiateurs dans les pourparlers de paix.

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L’exemple récent de l’Éthiopie, qui a mis un terme à deux ans de guerre civile en novembre 2022, illustre cette réticence à intégrer les femmes dans les discussions, en dépit de leur rôle crucial :  à Pretoria, les deux délégations éthiopiennes présentes ne comptaient qu’une seule femme. Une sous-représentation injustifiée au regard de l’incidence potentielle des femmes sur la paix, mais aussi au regard des répercussions démesurées, et bien réelles, de la guerre sur les femmes et les enfants.

Ces derniers sont en effet les principales victimes d’actes de violence extrême, tels que les viols collectifs, la transmission intentionnelle de virus comme celui du VIH, les mariages forcés et les enlèvements dans l’unique but d’intimider et d’humilier l’adversaire. L’utilisation des femmes comme boucliers humains et celle de leurs souffrances, physiques et psychologiques, comme armes de guerre est un fléau que l’on ne peut ni ignorer ni minimiser.

Autres conséquences de la guerre et des contextes d’incertitude, selon un rapport de l’Unicef : les jeunes filles sont davantage victimes de mutilations génitales ainsi que de décrochage scolaire. Les déplacements forcés font qu’une partie importante de la population vit en deçà du seuil de pauvreté, ce qui conduit souvent les familles à retirer leurs filles de l’école pour les marier précocement, et à les exciser pour augmenter leur « attractivité maritale ».  En 2022, l’Unicef a ainsi indiqué que le nombre de mariages forcés avait plus que doublé en Éthiopie du fait de la guerre civile.

Dans les camps de réfugiés, les femmes et les enfants continuent d’éprouver des difficultés à faire entendre leur détresse psychologique et à satisfaire leurs besoins essentiels. En Éthiopie, ces installations souffrent généralement d’un manque de personnel et d’un budget de fonctionnement insuffisant. Cette faiblesse de moyens dans des camps surpeuplés – quelques fois informels – crée donc une insécurité supplémentaire, exposant à nouveau les femmes et les enfants à des actes de violence.

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Des séquelles à vie

En ce qui concerne leurs besoins en matière de santé, les femmes traînent de lourdes souffrances. Victimes de viols collectifs, elles se retrouvent souvent avec des maladies sexuellement transmissibles et des grossesses non désirées. La réponse à ces besoins de santé spécifiques est souvent impossible dans le cadre de ces camps négligés et sous-financés.

Dans les situations post-conflit qui impliquent un retour dans les communautés, les femmes reviennent généralement avec des séquelles à vie et sont souvent stigmatisées en raison de leur santé mentale altérée – les maladies mentales demeurent encore taboues dans de nombreuses communautés –, leur grossesse consécutive à un viol ou même leur participation forcée à la guerre. Leurs blessures non traitées et leur stigmatisation les isolent et les enfoncent dans la pauvreté.

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Le fait de devoir encore convaincre et se battre pour que les femmes soient reconnues comme les principales victimes – collatérales ou non – de la guerre est regrettable. L’Institut pour la femme, la paix et la sécurité en Afrique s’est donné pour mission de dénoncer la faiblesse des moyens déployés à l’échelle mondiale dans la lutte contre le sort tragique et la détresse profonde des femmes lors de conflits. Il entend aussi démontrer que la sécurité et la paix durables ne peuvent être atteintes sans l’égalité des genres, c’est-à-dire si les femmes ne sont pas associées, au même titre que les hommes, à la recherche de solutions.

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