Antiracisme : pour l’avocat Hosni Maati, « la Tunisie est africaine »

Avec son documentaire « La Tête levée », l’avocat au barreau de Paris s’attaque au racisme en Tunisie. Rencontre.

Hosni Maati© Montage JA; DR Hosni Maati
© Montage JA; DR

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Publié le 6 décembre 2023 Lecture : 4 minutes.

Hosni Maati est connu et reconnu en tant qu’avocat au barreau de Paris depuis quinze ans. Son métier l’incline à la défense des personnes lésées, dont les victimes de racisme et de discriminations. En 2018, il a lancé la campagne « Stoppons le racisme au Maghreb » après le meurtre raciste de Falikou Coulibaly, président de l’Association des Ivoiriens en Tunisie. Il avait rallié à cette campagne des personnalités comme Lilian Thuram, Aïssa Maïga , Reda Kateb, etc.

« La tête levée » est un documentaire d’Hosni Maati sur le racisme que subissent les Africains noirs en Tunisie. © Artware

« La tête levée » est un documentaire d’Hosni Maati sur le racisme que subissent les Africains noirs en Tunisie. © Artware

Pour que sa parole s’adresse au plus grand nombre, Hosni Maati a réalisé La Tête levée, documentaire qui dénonce le racisme anti-Noirs en Tunisie. À travers des témoignages édifiants sur des scènes vécues de racisme, des échanges saisis sur le vif, le réalisateur franco-tunisien regarde en face le racisme, encore plus décomplexé sous la présidence de Kaïs Saïed.

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Jeune Afrique : Vous aviez lancé une grande campagne contre le racisme anti-Noirs sur les réseaux sociaux. Le racisme vous touche-t-il personnellement ?

Hosni Maati : Le racisme est une réalité à laquelle j’ai été confronté très jeune. Mon père est arrivé en France en 1968 et nous a expliqué qu’il y avait des ratonnades, à l’époque. À la sortie de l’usine, malheur à celui qui sortait seul car des fachos attendaient pour s’en prendre à des Maghrébins. Pour autant, il nous a toujours enseigné de répondre sans haine, mais avec fermeté. Notre respect n’est jamais négociable.

Pourquoi avez-vous, avocat, décidé de réaliser un documentaire, La Tête levée?

Le documentaire s’est imposé comme une suite logique de mon combat contre ce fléau mondial. Je voulais toucher en dehors des prétoires, à commencer par mes enfants qui, comme moi, subissent le racisme. L’idée est que même dans l’adversité, on peut créer des choses positives et ne jamais baisser la tête.

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D’où vient cette idée dans le discours politique et médiatique que la Tunisie n’est pas en Afrique ?

Selon moi, elle vient d’un complexe post-colonial vis-à-vis de l’Occident. De façon sous-jacente, il y a l’idée que pour être civilisé et moderne, il faut être occidental. La Tunisie est africaine, berbère, méditerranéenne et de culture arabe. Pourtant, seules ces deux dernières composantes viennent à l’esprit. Il faut croire que c’est d’abord et avant tout une question de prestige qui chasse certains vestiges.

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Y a-t-il une dimension culturelle au racisme tunisien, liée à la traite des esclaves noirs ?

L’esclavage au Maghreb n’était pas dirigé uniquement contre les populations noires. Mais l’idée qu’un Noir est nécessairement un esclave n’est pas nouvelle. Elle entraîne dans l’inconscient collectif toute une série de représentations fantasmées et dévalorisantes. Il ne faut pas se laisser enfermer dans des clichés qui empêchent d’aborder la femme et l’homme noirs de façon humaine et l’Afrique de façon non-essentialisée. Beaucoup d’hommes d’affaires tunisiens l’ont compris et prospèrent en Afrique de l’Ouest. Il faut croire que l’information n’est pas encore arrivée au plus grand nombre.

La loi organique n°2018-50 du 23 octobre 2018, relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, a-t-elle changé quelque chose dans la lutte contre le racisme ?

Cette loi, qui a fait la fierté de la Tunisie pour certains, n’a eu à mes yeux quasiment aucun effet. Elle est le fruit de la lutte d’associations locales et de personnalités comme Saadia Mosbah, feu Jamila Debbech Ksiksi, et du souhait du gouvernement de l’époque de remplir les critères internationaux pour se voir octroyer des financements. Seulement aucun budget n’a été alloué pour réaliser les objectifs de la loi. Aujourd’hui, le gouvernement d’extrême-droite italien propose activement de l’aide à la Tunisie. Je ne l’ai pas encore entendu appeler à la mise en œuvre effective de la loi 2018-50.

L’élection de Kaïs Saïed a-t-elle décomplexé le discours raciste en Tunisie ?

La Tunisie n’a pas fondamentalement changé sous Kaïs Saïed. Il y a beaucoup de Tunisiens de bonne volonté, mais les moyens à leur disposition ne sont pas à la hauteur. L’expression de la nécessaire et légitime gestion de la souveraineté du pays ne peut pas se régler uniquement par des politiques répressives. Dans le même temps, la Tunisie ne peut pas traiter seule ce problème à la source, en permettant à chacun de profiter des richesses de son pays pour éviter la migration et ses drames. Les seules solutions proposées par l’Union européenne sont un déshonneur. L’Europe renonce à ses propres valeurs et droits fondamentaux pourvu que les Africains ne viennent plus sur son territoire.

Le discours raciste en Tunisie se rapproche-t-il de celui que l’on observe en Europe, avec la montée de l’extrême-droite ?

Il s’en rapproche tout en étant différent. Quand j’ai commencé à travailler sur la question, j’étais rassuré de constater qu’il n’y avait pas de partis politiques susceptibles de porter des discours comme ceux de Marine Le Pen ou de Éric Zemmour en France. Aujourd’hui, cette tentation existe, même si elle reste marginale. Les réactions de la société civile tunisienne et de l’Union africaine ont, jusque-là, permis cette résistance.

La Tête levée, d’Hosni Maati, est un film documentaire de vingt-cinq minutes projeté le jeudi 7 décembre 2023 à 18 heures au Grand Rex, à Paris.

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