Nobel : Mongi Gabriel Bawendi et ses illustres pairs tunisiens
Annoncé en octobre, le prix Nobel de chimie a été remis ce dimanche 10 décembre au chercheur franco-tuniso-américain. Coup de projecteur sur d’autres talents scientifiques tunisiens, qui évoluent le plus souvent dans des universités étrangères.
Contexte politique oblige, la remise des Nobel 2023 a été, cette année, plus discrète qu’à l’accoutumée. Mais l’affaire est suivie en Tunisie avec plus d’intérêt que d’ordinaire depuis que, le 4 octobre dernier, le Nobel de chimie a été attribué au Franco-Tuniso-Américain Mongi Gabriel Bawendi, du Massachusetts Institute of Technology (MIT), conjointement avec l’Américain Louis Brus, de la Columbia University, et le Russe Alexei Ekimov, de Nanocrystals Technology Inc, pour « la découverte et la synthèse de points quantiques ».
L’annonce du nom de Mongi Gabriel Bawendi, 62 ans, a pourtant d’abord donné lieu à une polémique autour de ses multiples nationalités qui dans un premier temps a pris le pas sur la qualité de ses travaux. L’opinion tunisienne aurait voulu qu’il fût « d’abord tunisien », estimant visiblement que la distinction attribuée à un compatriote était de nature a redonner des couleurs à un pays plongé dans la morosité.
Se penchant sur le parcours du nouveau nobélisé, certains ont souligné qu’il est né en France de père tunisien, ce qui ferait plutôt de lui un « Franco-Américain d’origine tunisienne ». Beaucoup moins nombreux sont ceux qui ont remarqué que Mongi Gabriel Bawendi est aussi le père de l’éminent mathématicien Salah Bawendi, qui a enseigné à l’université de Californie, à San Diego, et fait carrière aux États-Unis, après avoir brièvement enseigné en Tunisie.
Le père de Mongi, Mohamed Salah Bawendi, est également mathématicien. Il a planché sur les équations aux dérivés partielles et les fonctions à plusieurs variables complexes, tandis que les travaux de son fils ont contribué au développement de nanoparticules – ou points quantiques – et à des avancées remarquables de la technologie, avec des applications dans les écrans Qled, les cellules photovoltaïques, le traçage des tissus tumoraux dans l’organisme, le pilotage de réactions chimiques et le développement d’une électronique flexible.
Le chimiste, qui s’est dit étonné de recevoir le prix en octobre dernier, est aujourd’hui l’une de ces pointures que le MIT est fier de compter dans ses rangs et de mettre en avant. « Nous ne pouvons rien imaginer de plus électrisant, a commenté l’administratrice universitaire du MIT, le professeur Sally Kornbluth, à l’annonce du palmarès 2023. Cette excitation reflète évidemment notre respect pour cet honneur extraordinaire, mais elle est plus profonde, car il est difficile de trouver une communauté plus respectueuse de la merveilleuse beauté de la découverte scientifique fondamentale et de l’incroyable pouvoir de l’innovation pour améliorer notre monde que les gens du MIT. J’espère que ce prix et tous les Nobel scientifiques de cette semaine serviront à rappeler à la nation et au monde pourquoi la science fondamentale mérite notre soutien soutenu et enthousiaste. » Pour elle comme pour la plupart de ses collègues, le degré d’excellence scientifique du lauréat a évidemment bien plus de valeur que les questionnements sur ses nationalités.
Le génial Abbas Bahri
Un sentiment partagé par les scientifiques tunisiens de haut niveau qui ont fait carrière à l’étranger, dont la liste est plus longue qu’on ne le croit. Parmi les plus illustres, il faut citer le mathématicien de génie Abbas Bahri, trop tôt disparu – à 61 ans, en 2016 –, qui a inspiré des générations d’étudiants. Celui qui a fait l’essentiel de sa carrière à l’Université de Rutgers, dans le New Jersey (États-Unis), avait fait coup double en 1990 en recevant le Prix Fermat de l’Institut de mathématiques de Toulouse, avec Kenneth Alan Ribet, et le Prix Langevin de l’Académie des sciences de Paris.
Actif au sein du milieu syndical estudiantin tunisien durant ses études à Paris, cet esprit curieux et de grande culture avait créé en Tunisie le colloque annuel de Dar El Hout et a enseigné à l’école doctorale de l’École polytechnique de Tunis. Après s’être fait connaître à la fin des années 1980 grâce à sa théorie des « points critiques à l’infini », introduisant alors des méthodes nouvelles en calcul des variations, Abbas Bahri avait continué à se montrer prolifique, s’accordant la liberté d’explorer des champs allant de l’analyse aux équations différentielles, en passant par la géométrie. Les mathématiques étaient le langage de cet homme qui n’a eu de cesse de vouloir transmettre aux jeunes générations la faculté de s’étonner et de penser.
Dans le prestigieux sillage d’Abbas Bahri, on trouve Nader Masmoudi, 51 ans, qui enseigne aujourd’hui l’analyse fonctionnelle, la géométrie différentielle et les nombres complexes au Courant Institute of Mathematical Sciences de l’Université de New York. Ce natif de Sfax a le goût de la compétition scientifique : en 1992, il était le premier Arabe et Africain à remporter une médaille d’or aux Olympiades internationales de mathématiques. Après son baccalauréat, Nader Masmoudi a étudié à Normale Sup, à Paris, puis à l’Université Dauphine, avant de s’envoler lui aussi pour les États-Unis, où il évolue depuis 2002.
Lauréat du prix du meilleur article scientifique publié dans Les Annales Henri Poincaré en 2011, il reçoit, en 2017, avec l’Allemand Simon Brendle, le Prix Fermat « pour ses travaux remarquables de profondeur et de créativité en analyse des équations aux dérivées partielles non-linéaires et en particulier pour ses contributions récentes à la résolution rigoureuse et complète de problèmes de stabilité hydrodynamique soulevés dès la fin du XIXe siècle par les pères fondateurs de la mécanique des fluides moderne ».
La relève arrive
La consécration, Nader Masmoudi l’a aussi connue dans le domaine de la recherche fondamentale, lorsque ses pairs lui ont attribué, entre 2018 et 2020, la Chaire Schlumberger à l’Institut des hautes études scientifiques (IHES) de Paris-Saclay. En 2022, il a également reçu le prix du roi Fayçal pour la science, ex aequo avec le Britannique Marin Hairer. Comme son aîné Salah Bawendi, il est aussi membre de l’American Academy of Arts and Sciences.
Ces prestigieux exemples ont logiquement inspiré certains jeunes scientifiques tunisiens. Parmi les plus remarquables : Amine Marrakchi, 30 ans, qui a reçu en 2022 le prix Claude-Antoine Peccot pour ses recherches sur les algèbres de von Neumann de type III auxquelles il a consacré quatre conférences au Collège de France. Un talent à suivre, assurent ses prédécesseurs et ses professeurs, qui estiment que le jeune chercheur a tous les atouts en main pour décrocher un jour le graal des mathématiciens : la fameuse médaille Fields, équivalent du Nobel pour leur discipline.
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