Ibrahim Traoré prononcera-t-il bientôt des allocutions en langue « officieuse » ?

Le gouvernement burkinabè a présenté un projet de loi révisant la Constitution, notamment sur la classification des langues nationales en « langues officielles » et du français en « langue de travail ».

Le gouvernement burkinabè a présenté un projet de loi révisant la Constitution, prévoyant de faire du français une “langue de travail” © Damien Glez

Le gouvernement burkinabè a présenté un projet de loi révisant la Constitution, prévoyant de faire du français une “langue de travail” © Damien Glez

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Publié le 9 décembre 2023 Lecture : 2 minutes.

En matière de langues, les territoires anciennement colonisés peuvent considérer celle du colon comme un « butin de guerre » – comme le revendiquait l’écrivain algérien Kateb Yacine –, un trophée à exploiter, voire à exhiber. Pour d’autres, il faut s’en détacher pour mieux affirmer sa souveraineté, comme la transition malienne de janvier dernier qui rétrogradait le statut de la langue française. Comme depuis quelques mois, le Burkina Faso emboîte à nouveau le pas de son voisin.

Mooré, fulfudé, dioula, bissa…

Le gouvernement burkinabè a adopté ce mercredi un projet de loi révisant la Constitution et consacrant les langues nationales comme langues officielles, tandis que le français est relégué, lui, au rang de « langue de travail ». Annoncée en Conseil des ministres, la décision devrait passer comme une lettre à la poste, l’Assemblée législative de transition ne faisant guère preuve d’anticonformisme et le Conseil constitutionnel ayant réussi l’exploit d’investir en 2022 deux putschistes présidents d’une République qui prévoit des élections.

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Voilà l’occasion parfaite de sacraliser le mooré, le fulfudé, le dioula ou encore le bissa. La suite du processus de révision constitutionnelle cadrera-t-il ou non les systèmes linguistiques propres aux pays, alors que, selon les universitaires, « une soixantaine » de langues nationales y coexistent ?

Le divorce complet avec le français aurait été périlleux, tant elle est utilisée dans les supports administratifs, tant elle unifie les échanges nationaux et tant les Burkinabè sont peu alphabétisés dans les langues qu’ils parlent et chantent pourtant beaucoup. Par ailleurs, comment un chef d’État qui revendique une dose non péjorative de populisme va-t-il alors s’adresser à son peuple ?

Quelle langue pour Ibrahim Traoré ?

Une allocution de fête nationale et une présentation de vœux sont censées représenter davantage qu’un travail administratif. Un président souverainiste pourra-t-il employer une langue qui n’est plus officielle, devenue comme « étrangère » ? Ibrahim Traoré enregistrera-t-il une soixantaine de messages ? Panachera-t-il les langues dans sa déclaration ? Comme ses compatriotes, il est peu probable qu’il maîtrise la locution de toutes les langues officielles…

Ce léger casse-tête a le mérite de consacrer, en marge d’une reconquête annoncée du territoire, une réappropriation culturelle. Il « trahit » également une méthode de révision de la Constitution qui, cette fois, pourrait échapper au suivisme. Par touches successives, le régime de transition va-t-il relooker la loi fondamentale, sans passer par la case référendaire ? Contournera-t-il d’ailleurs durablement le suffrage universel direct ou indirect ?

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Le 1er décembre dernier, le Premier ministre Apollinaire Kyélem de Tambèla vantait « la démocratie » dans laquelle vivaient les « sociétés traditionnelles », sans « campagnes électorales coûteuses et ruineuses », ni « discours alambiqués et procédures incompréhensibles pour le plus grand nombre ». Le 6 décembre, le conseil des ministres préconisait la création d’un « Conseil national des communautés ». Verra-t-on, d’ici quelques mercredis, un Ibrahim Traoré élu « démocratiquement » président du Burkina Faso par ces « grands électeurs » non élus ?

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