Dina Bensaïd et la baguette magique
Pianiste formée au Conservatoire national supérieur de Paris, la Marocaine Dina Bensaïd est la première cheffe d’orchestre du monde arabe. Retour sur un parcours aussi fluide qu’extraordinaire.
Dina Bensaïd a commencé à jouer du piano à l’âge de quatre ans. Par défaut. Dans le Casablanca des années 1990, les cours de musique étaient rares, et le choix était très limité. Sinon, elle aurait choisi le violoncelle, sans hésiter.
Dans la famille Bensaïd, le père, Farid, est violoniste. Il a fondé l’Orchestre philharmonique du Maroc (OPM), en 1996, puis la Fondation Ténor pour la culture, en 2007. Parmi les activités de cette fondation, le programme Mazaya, qui offre (entre autres) une formation combinant cursus scolaire et cursus musical aux enfants issus de milieux défavorisés. La mère, Btissam, est, elle, « une oreille », « parce qu’il faut bien des gens pour venir écouter les musiciens », dit-elle. Pour leur fille, donc, « faire de la musique a toujours été naturel ». Avec le lot d’aventures et d’épreuves que cela implique.
À moi Paris !
Dina Bensaïd n’a que 12 ans quand Jacques Rouvier, pianiste virtuose et professeur au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, remarque son talent et la prend sous son aile. Les stages d’été se succèdent, à Paris, à Nice, au Canada. Insuffisant, pour Rouvier. « Tu dois venir à Paris, lui dit-il, voir des expositions, aller à des concerts pour te nourrir en tant qu’artiste. »
Dina Bensaïd, 15 ans, se retrouve donc dans la Ville lumière, seule. « J’ai eu de la chance, mes parents avaient un appartement dans la capitale. Et comme mon père est musicien, il m’a soutenue. Mais, en même temps, j’avais beaucoup de pression sur les épaules. Ce n’était vraiment pas le moment de déconner », raconte la jeune femme avec une spontanéité désarmante.
Caractère bien trempé
À son arrivée à Paris, en juillet 2007, elle se heurte aux incohérences de l’administration française. « Il me fallait un lycée à horaires aménagés afin de suivre, parallèlement, une formation musicale. Or, ma langue maternelle étant l’arabe, je me suis retrouvée en Zone d’éducation prioritaire. » Mais Dina Bensaïd a un caractère bien trempé. La voilà, avec son petit baluchon, qui frappe à la porte de tous les lycées de la capitale, jusqu’à ce qu’elle convainque la principale du lycée Racine (8e arrondissement) de l’accepter en filière scientifique.
Et là, la chance lui sourit. En octobre 2007, elle réussit le concours d’entrée au Conservatoire à rayonnement régional de Paris. Puis celui du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, « statistiquement plus difficile d’accès que Polytechnique », souligne-t-elle. « C’est un univers très sélectif, hyper-compétitif, où tout le monde se jauge et se juge. C’est aussi un endroit un peu austère. Et le fait d’être pianiste, donc soliste, isole. On n’appartient pas à l’orchestre, on ne fait pas corps [avec les autres musiciens] », explique Dina Bensaïd.
Dans ce conservatoire conservateur, cette rousse aux yeux verts n’a pas peur de défendre ses idées, de déranger. Son approche artistique ? Un mélange d’intuition, tout un tas de connaissances, et un parti pris. « Un interprète se met au service de la musique et du compositeur, mais il doit aussi avoir quelque chose à dire. Je suis le porte-parole du compositeur, qui vit à travers moi, à travers mes idées et ma sensibilité », dit-elle.
« On y croyait plus que moi »
Lorsqu’elle obtient (brillamment) son bac scientifique, Dina Bensaïd hésite entre la musique et des études d’ingénieur ; elle est même acceptée dans une grande école parisienne d’aéronautique. Son père, en son temps, avait été confronté au même dilemme. Il a fait le choix de la raison, elle fera celui de la passion. « Justement parce que j’avais un soutien financier, et que l’époque est plus moderne », estime-t-elle.
Frustrée de ne pas faire partie d’un orchestre, Dina Bensaïd envisage alors d’en diriger un. « J’ai passé un entretien pour apprendre la direction d’orchestre. J’y suis allée sans y croire : une fille, Marocaine… Devant le jury, j’ai dit qu’il n’y avait pas de chef d’orchestre au Maroc, et là, à mon grand étonnement, j’ai été prise. »
La jeune femme suit cette formation quelques années, obtient de bonnes notes à chaque examen. « Puis j’ai arrêté, j’avais l’impression que les autres y croyaient plus que moi. Soudain, la pandémie de Covid-19 est arrivée, et l’Orchestre philharmonique du Maroc, qui faisait venir des chefs assistants de l’étranger, s’est retrouvé sans personne. J’ai commencé à faire répéter l’orchestre. » Et tout s’est bien passé. « Être “fille de”, c’est à double tranchant. Il a fallu convaincre, faire mes preuves, faire adhérer les musiciens à mon projet. »
Au fil des répétitions et des remplacements, Dina Bensaïd se découvre une passion, une vocation. Elle voyait la vie en noir et blanc, elle la voit dorénavant en couleur et en trois dimensions. « Je me suis fait phagocyter par l’orchestre, au sens positif du terme. Je porte, je fédère. Avec lui, je ne suis plus ni un homme ni une femme, mais une musicienne qui défend une vision. »
C’est ainsi que Dina Bensaïd est devenue la première cheffe d’orchestre du Maroc et du monde arabe. Et qu’elle a rejoint un club très restreint : sur 778 chefs d’orchestre dans le monde, seuls 7,9% sont des femmes, selon une étude réalisée par la musicologue Nathalie Krafft en 2020. Depuis sept ans, elle est en outre la directrice générale de la Fondation Ténor, mais confesse déléguer la partie « diplomatique et commerciale », de ses fonctions, qui ne fait pas partie de son ADN.
Neuvième symphonie de Beethoven
De l’Orchestre philharmonique du Maroc Dina Bensaïd est extrêmement fière : « Celui de Vienne a 250 ans, le nôtre un peu plus de 25 ans. C’est un orchestre qui s’est battu pour en arriver là, soutenu par une vraie volonté et au prix d’un travail de fond. »
Ses plus beaux souvenirs ? Le jour où elle a remplacé au pied levé un chef – Wolfgang Dörner – deux heures avant un concert, une mission impossible « qui s’est transformée en un moment d’entraide et de complicité incroyable ». L’orchestre a joué la neuvième symphonie de Beethoven dans un immense complexe sportif de Casablanca. « On a commencé avec une heure de retard, l’affluence était folle », se souvient Dina Bensaïd, qui se dit toujours étonnée par la jeunesse, la curiosité et l’enthousiasme du public marocain. Autre moment fort, le concert donné par l’OPM devant le roi Mohammed VI et le pape François, à Rabat, en 2019. Pour l’occasion, Dina Bensaïd avait créé un arrangement : un Ave Maria, sur fond d’appels à la prière et de chants hébreux. Tout un symbole.
Pianiste et cheffe d’orchestre, Dina Bensaïd, malgré sa casquette de directrice générale de fondation, reste avant tout une artiste. Elle a joué, à la fin de novembre, à la Philharmonie de Paris sous la direction de Christian Vasquez et avec l’Orchestre Pasdeloup. « J’aspire à jouer plus souvent à l’étranger et à y diriger des orchestres pour stimuler ma créativité, élargir mon horizon et donner encore plus au Maroc », confie-t-elle.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Stevie Wonder, Idris Elba, Ludacris… Quand les stars retournent à leurs racines af...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- En RDC, les lampions du festival Amani éteints avant d’être allumés
- Bantous : la quête des origines